La prochaine fois ? Il espérait sûrement que le clandestin ne serait pas là.
La prochaine fois ? Il serait judicieux de l’oublier, ce pauvre Lukas.
Certes, dans un autre monde, jamais Lukas n'aurait vécu jusque-là.
Mais dans ce monde, par égoïsme et croyance mondaine, ces dieux l'avaient sauvé d'une mort certaine…
On avait prôné la vie, comme dans ces livres religieux. On avait interdit à cette gamine de faire “ cet acte diabolique et affreux “.
On avait hurlé au scandale lorsque sa mort avait été souhaitée.
Même si aujourd'hui, il n'y avait plus de regrets.
La jeune fille devenue femme, la petite fille devenue mère, son fils, inconditionnellement elle l'aimait.
On avait aussi injurié le père de garçon mal élevé et irresponsable, mais à dix-neuf ans, n'est-ce pas normal ?
La vie est un cadeau mais parfois, elle se présente comme un fardeau. Quel avenir donner à un petit être venu trop tôt ? Surtout lorsque notre propre vie n'a pas encore pleinement démarré ?
Douces vies gâchées, par dévotion grotesque, il ne fallait pas le nier.
Une vie pour une vie ? La dette fut payée ?
N'était-ce pas là la clé ?
Dans un autre monde, Marie aurait continué son rêve.
Dans un autre monde, Hugo serait toujours vivant.
Les hommes seraient immortels et ces ouvrages ne défieraient pas le temps.
Mais, le plus important, c'est que dans un autre monde, nous aurions déjà dit adieu à cet enfant…
Enfant qui regrettait sa vie d'antan.
Le destin est lié à une fatalité qui nous échappe. Les angoisses de ces lendemains ne priveraient pas ces êtres choyés d’un avenir incertain. Innocente et candide, la fraternité comblait bien des vides ; ensemble, ils se sentaient certainement invincibles. Mais, l'immortalité n'existe pas. Contemplez donc ces dieux qui sont morts lorsque les hommes ont perdu la foi.
- Va falloir s’y habituer.
La routine de voir des êtres disparaître était de loin la plus pénible. Irvine, en avais-tu conscience ? Il n'y avait rien de plus horrible que de continuer sans eux notre existence. Ces personnes choyées et aimées qui ne vivaient plus qu'à travers des souvenirs sur le point d'être oubliés. Ces visages ancrés dans un passé déformé par le temps, Chronos finissait tôt ou tard par les effacer. Certains étaient prêts à tout pour rejoindre les être aimés. Oui, ils étaient prêts à tout sacrifier.
Et dans le parfait inverse, tu parlais comme si ta destinée était déjà tracée. Mais cette maladie, le fatalisme, était-elle vraiment incurable ?
L'apathie venait de détruire Espérance. L'empathie agonisait dans sa pureté. Elle terrasse la lourdeur de ces mots. Le doux son de la vie s'échappait avec mélancolie. Un soupire que l'on échappe avec affliction. Avait-il conscience des dégâts que ses paroles pouvaient déclencher chez ces autres garçons ? Les perles d'or s'étaient figées face à la noirceur des lingots que d’autres chasseurs avaient convoités. Il s'évade, l'effronté, celui qu’en apparence rien n'effraie.
Le stricte nécessaire avait été pris pour achever l'œuvre avec soin. Le grand garçon n'avait pas souhaité s'attarder sur les différentes réactions. N'était-ce pas là un moyen de fuir tes contradictions ?
- Eh, s’il dit des conneries, te retiens pas, dis-nous…
Étrange sensation, la bienveillance s'était ravivée au milieu de la réunion. Le requin, à l'apparence la plus dangereuse, avait glissé cette autorisation.
Lukas, si tu connais des choses qu’Irvine ne dit pas…
Par exemple, dis-leur où vous étiez et ce que vous faisiez avant tout ça.
Explique cette petite visite chez Medhi. Parle-leur de cette adolescente, oui, parle leur d’Hasna et mentionne Rayan, vas-y…
- Sérieux, tu penses vraiment qu’il en sait rien ?
Le gamin lui-même ne savait pas si il disait ou non des âneries. Les vices et les versus se posaient là sans qu'il ne sache initialement pourquoi. Alors, par quel miracle aurait-il pu déceler l'inimaginable ?
Les gains avaient été amassés. La peur qui s'était logée dans ces deux esprits suffisait aux adversaires. C'était une victoire qui servirait de prétexte pour festoyer, ce soir…
Deux esprits ? Ou trois ?
Le troisième s'était muré quelques instants dans l’affliction. Il avait une peur bleue de ce qui pouvait advenir. Ce garçon, c'était les affres d'une disparition qui venait de le saisir. Celui qu'il considérait comme un ami, un jour ou l'autre, allait-il partir sans prévenir ?
Le ciel s'évade de ses derniers constats et in fine, il s'écrase sur Lukas.
- Lukas, c’est ça ?
La mer agitée s'anime en entendant son prénom être prononcé. Son identité, on l'avait donc mémorisé…
Les doux traits fragilisés par la prudence s'étaient décorés d'un fin sourire. Définitivement, le miroir se fissure face à la différence de carrure.
- C’est marrant, ta tête me dit quelque chose… Mais… Ça me revient pas.
Pourquoi ?
Lukas, retient les battements effroyables de ton coeur. Ce n'était rien. Ces photos, il ne les avait peut-être jamais vues. Et le numéro d’Adam avait certainement suscité des regards indiscrets au self. Sur un malentendu, c'était dans les couloirs du campus que vous vous étiez déjà croisés.
La photo se colorie, elle revêt les couleurs d'une triste fête.
À terre, il finissait toujours par tomber. On ne comptait plus le nombre de fois où ce gamin s’était relevé. La boucle infernale allait-elle un jour se briser ?
Ce n'était pas le moment de laisser toutes ces pensées t'envahir.
Laisse la fatalité les incendier. Laisse le karma s’en charger.
Ces lignes sur ces réseaux sociaux laissent les tarir.
Ces élèves n'avaient rien de mieux à faire que de se moquer.
Calme ton coeur.
Elle n'était pas encore venue ton heure.
Calme ces frayeurs.
Ces ragots sur ton compte, elles écœurent.
Un baiser volé au détriment du gamin piégé.
Saviez-vous seulement ce qu'ils faisaient ensemble une fois les volets fermés ?
Rien de ce que vous avez jadis lu dans les premières pages données. Mais apparemment, chers lecteurs, vous aussi vous prenez pour argent content tout ce que vous lisez.
Lukas, tu n'as rien à te reprocher. Et admettons que tout se soit vraiment passé ? Quel changement cela apporterait ? Ton coeur serait-il plus éraflé ?
- Désolé pour tout à l’heure, ils arrêtent pas de me stresser, tous.
- Pas de soucis...
Ce stress était partagé. De toute évidence, il n'était pas à l'aise l'enfant ramené entre ces murs sacrés.
Il semblait bien nerveux pour un morveux qui n'avait rien à se reprocher. L'animation qui le gagnait était presque exagérée ? Infortune, chère amie, tu risquais pourtant de lui rappeler qu'il avait raison de se méfier.
Ils avaient l'air inoffensifs. Voilà la nuance téméraire, cette douceur et cette candeur, ce n'était peut-être qu'une apparence. Le diable qui s'immisce dans les plus beaux détails ; le loup se métamorphose en brebis pour qu'il puisse, à la fin, savourer tout le bétail.
- Vas-y plains-toi, on t’dira rien !
- C’est vrai ? Alors je vais pas me gêner !
Les chamailleries reprenaient. Étrange fraternité qui lentement s'élevait.
Elle est amusante à regarder cette solidarité née du Chao. Elle est certainement plus sincère que celle prônait là-haut. Ici bas, on ne se battait pas que pour soi.
- Attends, je me permets juste…
La mydriase d'Œdipe fut permanente lorsqu'il se creva les yeux. L'écrasante culpabilité et cette importante souffrance l'avaient déclenché cette calamité. Il avait appris la vérité et ne s'était pas relevé.
L’obscurité invitait la pupille à se dilater.
Au même titre que sa voisine, la seconde d’après.
La valse reprenait.
Des deux garnements, Lukas était celui qui avait le moins de risque de faire une hémorragie ; une crise cardiaque, en revanche, c'était plus réaliste…
- Ok, normalement c’est bon !
L'infirmier, gardien des âmes esseulées, s'était affairé à prendre soin de ces gamins.
- Et sinon… Ça va à peu près ? Tu veux manger quelque chose ? Ou boire, peut-être ? Attends, je reviens.
Le désir n'avait pas eu le temps de s'exprimer. L'envoyé des cieux s'était déjà envolé. Il était parti avec une rapidité exacerbée.
- Il va te ramener tout le stock.
La boutade laissait entrevoir les coulisses. Durant le périple de l'adolescence, ils étaient devenus complices. Ils se connaissaient, par coeur, au point de commenter ces minutes, en tant que spectateurs. Elle est magnifique cette candeur. Les bras chargés de trésor, il était revenu l’enfant aux boucles d’or.
- Voilà ! Si tu voulais un truc chaud, y’a aussi du café… J’aurais pu te faire une tisane, mais le temps que ça infuse… Je me dis que t’aurais plutôt envie de rentrer.
L'idée imposait une vision maligne. Effectivement, dans un monde idéal, il préférerait rejoindre ses draps.
- Des tisanes ? Mais téma la grand-mère…
Enfantine et fraternelle, cette ambiance s'installe dans l'éternel.
- Ben regarde son truc, il s’habille pareil que les vieux.
Le raffinement de ces habits ne semblait pas sauter aux yeux des modèles. Et c'était ce qui valut la raillerie de Sidney et d'Aurèle. Toutefois, ce style vintage bohème, il laissait Lukas sans voix. La délicatesse des choix et cet accoutrement contrastait en tout point avec cet instant. Diantre, pourquoi un chérubin se trouvait au milieu d'assassins ? Était-ce le fruit de son imagination ? Étaient-ils morts, sans qu'il ne le sache, oh, non.
Envieuse, la mer se trahit en posant son regard sur les boissons. Mais capricieuse, la volonté se réduit, ce serait malpoli de se jeter ainsi, garçon.
- Te gênes pas, tu peux prendre ce que tu veux !
L'invitation s'intensifie ; c'était l'hésitation que l'on souhaitait réduire.
- Merci…
Lukas s’était redressé pour attraper une canette de soda. Il fallait au moins ça.
La canette fut ouverte et la soif l’emporta. On l’avait presque entièrement vidé lors du combat.
Un combat où Sydney triompha.
Les rires éclatèrent au sein du royaume d’Eden.
Il avait malicieusement essayé de s’accaparer les gâteaux que l’ange avait ouvert plus tôt. Et si, au premier abord, il ne put récolter quelques gâteaux, il put tout de même partager avec Aurèle un magot.
La discussion avait ensuite été reprise entre les deux complices.
- Du coup… Ça va, toi ?
La bienveillance inondait la pièce de sa douce présence. Elle avait fait un long voyage pour venir jusqu'ici, cette étrange allié, ennemie de la tyrannie. Comment pouvait-elle fleurir ici, parmi ces guerriers, en quête de bain de sang, l’empathie ? Cet archange tombé du Paradis, était-il conscient des actes que ses amis effectuaient dans l'illégalité ?
- Je… Ouais…
Hypnos atténuait le peu d'énergie qui faisait encore vibrer l'esprit. On aurait aimé se reposer, Helios viendrait à peine de quitter son lit qu'un nouveau périple sera encore à traverser.
- Ce… Ce serait possible de me ramener ?
Elles n'étaient pas grandes ses ambitions mais c'était qu'il avait quelques devoirs qui l'attendaient le pauvre garçon. Et malgré ça, c’était lui qui allongeait sa claustration...
- Mais avant… Vous auriez un bout de feuille, et un stylo ?
Originale et paradoxalement banale, était-ce vraiment le moment propice pour faire un dessin ? À moins que ta volonté première était d’échanger des numéros de téléphone ? Ta demande avait laissé le jeune homme en face de toi aphone. Les traits exprimaient l'étonnement. Ce n'était pas une demande courante et pourtant, tu l'avais prononcé. L'égarement fut soudainement balayé par un sourire bienveillant. Il allait répondre à ta requête gentiment.
L'ange avait quitté les lieux saints pour repartir hors de la vue des siens. On ne savait pas où il était parti mais on avait bien reconnu sa répartie. Voilà que déjà il était réapparu avec entre les mains l'inattendu. Le temps s’était évanoui en une fraction de seconde, ces grains de sable s’étaient perdus à jamais dans la nuit. Où étaient-elles parties ces minutes évanouies ?
Le regard hagard avait plongé dans le ciel providentiel. Ce miracle, on ne l’expliquerait pas. Un bref moment d’inattention ?
Les doigts ornés d’encre s’étaient emparés du stylo et de la feuille.
- Merci…
Minutieusement, le blanc venait d’être une première fois pliée. L'opération avait été une deuxième fois réitérée ; soigneusement, on avait déchiré la pureté pour rétrécir l’emplacement de ses desseins.
Le gamin essaya de revoir ces quatre lettes et ces trois chiffres, qui pour le moment, lui faisaient défauts.
Dans la nuit, ces souvenirs s’évadaient, lui qui ordinairement savait si bien les ressasser.
Des nombres prenaient la fuite entre ces lèvres discrètes.
- 80… 90…
On plongeait dans ce souvenir anxiogène. Le gamin avait fermé les yeux pour se souvenir des moindres détails qui en valaient la peine.
Le regard avait bifurqué sur « l’avenue Jean Jaurès ». Le marquage blanc s’était répendu sur le sol, invitant les conducteurs à s’arrêter. Momentanément, pourtant, ce stop s’était transformé en « céder le passage » ; Irvine avait accéléré. L’écart entre la Mercedes et la Range-Rover s’était alors accentué empêchant l’encre de correctement s’étaler.
Lukas, concentre toi.
Lukas, on s’était curieusement approché.
Ne sursaute pas.
Trop tard. Le corps s'était exprimé.
- Désolé…
L’image sinistre tapissait les murs de l’endroit où on assistait à une étrange mise en scène. Le vide ambulant avait été fixé quelques instants. On attendait patiemment de couvrir le papier blanc.
Lukas, souviens toi…
Le gamin avait avalé la dernière gorgée de soda.
Et dans un excès de générosité, c’était la canette que Gabrièle avait récolté avant de retourner s’asseoir où il se trouvait. On avait peut-être compris que ces iris indiscrets nous ralentissaient. Mais toutes ses actions s’effectuaient réellement avec une telle rapidité ou était-ce les sens qui divaguaient ?
Qu’importe.
Aussitôt l’ange partie, la main s’était activée à inscrire sur le papier ces huit lettres, ces six numéros que l’on venait enfin de se remémorer dans leur intégrité. Ce papier, on l’avait ramassé soigneusement. Le gamin ne dévoilerait pas le secret qui venait d’être escortée jusqu’à cette poche zippée.
On avait alors relevé les yeux vers les autres enfants.
Le Roi était réapparu au même instant.
La demande, jamais elle ne fut prononcée, mais ce message, oh, oui. Tout le monde l’avait écouté. Ce regard invitait tout le monde à cesser ce jeu grossier. Il était l’heure pour eux de rentrer.
Tous les enfants s’étaient ainsi levés, dans la plus grande des obéissances envers sa Majesté.
À ses ordres insondables, on se pliait.
Dans ce jeu hasardeux, pour lui, on avait de nouveau jeté ses dés.
Il ignorait encore dans quel jeu macabre il se lancerait.
Mais il se débrouillera du mieux qu'il pourra. Même si sur un malentendu, le gamin retournerait, sans le vouloir, dans les bras d'Ésa.


















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à 18:09 le 15/11/2023
Être guidé dans les chemins que Nyx s’amusaient à dissimuler. Ce fut à un virage qu'Erebe s'était vicieusement glissé, à leurs côtés.
Le guide s’était arrêté et le suiveur avait cessé d’avancer.
Les sens étaient en alerte et l’ouïe, précieuse amie, déconcerte. C’était une porte que l’on venait de pousser. Après un dur labeur, on était enfin arrivé.
Et la marche reprenait dans une inquiétude grandissante.
La porte était lourdement abandonnée à son sort et elle s’était refermée dans un bruit fort.
Les doigts avaient attrapé les extrémités du bandeau, après qu’on lui ait donné l’autorisation, de retrouver la vision qu’il avait perdu plus tôt.
Le rat ne savait pas où on l’avait encore trimballé. Et par souci grotesque d’apaiser les psychoses de sa Majesté, c’était méticuleusement qu’il essayait d’ignorer ce qui l’entourait.
La mer s’était heurtée à la glace éloignée ; dans ce monde vicié, Irvine était devenu son premier point de repère.
Aucun mot n’avait eu besoin d’être prononcé. Lukas ressentait encore cette colère exacerbée. Le Lion était contrarié par sa présence en ces lieux sacrés. Mais, si on lui avait demandé son avis, à lui aussi, il serait déjà dans son lit. Cela ne lui plaisait pas non plus, d’être ici. L’orfèvre avait placé cette épée au-dessus de sa tête et il aurait aimé s’en débarrasser. D’ailleurs, dans un monde idéal, il aurait aimé ne jamais le connaître, cet être damné.
Les prestiges du royaume doré, on évitait de les regarder. Ce paradis insolite divulguait des énigmes réservées. Hélios était interdit en ces lieux, c’était ce que les fenêtres hurlaient. Les plaintes des murs imploraient les maîtres des lieux de leur apporter une lumière naturelle. Mais, ils restaient indifférents à ces hurlements éternels. Ici, on interdisait à quiconque de pénétrer. Les regards incongrus, on avait fait en sorte de les éviter.
Ce petit enfant. Oh, jamais il n’aurait dû atterrir ici, ça non.
En y réfléchissant, les enfants de Nyx n'avaient aucune possibilité de jeter des regards intrusifs. Cet endroit était tenu secret. Ces noms de code précédemment échangés avaient un objectif premier. Et voilà, que par bienveillance aberrante, cet endroit soigneusement gardé secret était dévoilé au premier aventurier.
Les grains du sablier s’étaient déposés dans une cadence chronophage.
La mer heurtait le marbre dans un vacarme justifiable. Mais l’apathie s’était depuis longtemps désintéressée d’autrui.
Et cette routine malsaine, l’un des hôtes avait enfin décidé de la briser. Le sablier, on venait de l’arrêter.
L’invocation de la créature avait lentement débuté. Le son de cloche de Notre Dame avait mystérieusement résonné. Il était une heure du matin lorsque les gargouilles furent, à leur tour, convoquées. On s’attendait presque à voir l’une d’elle arriver, ou alors, dans le pire des cas, on s’attendait à voir Le Bossu de Notre Dame. Mais ce ne fut pas lui qu'on eut la surprise de découvrir, quel drame. Dans cette nuit mouvementée, un ange s’était fièrement dévoilé.
Le mirage aux traits parfaits s’était doucement faufilé sur le tableau aux énigmes grossièrement dissimulées.
Il était apparu dans cette vision, le responsable de cette drôle d'agitation.
L'un des sept archanges d'Éthiopie s'était avancé sur le rythme d'une joyeuse mélodie.
La blondeur des boucles et la finesse des traits se mariaient avec cette candeur imagée.
L'ange était si impatient de revoir ceux qui s'étaient détournés des sentiers tracés...
- Bah enfin ! C’est pas trop tôt, j’ai…
Que, dans l’impatiente retrouvaille, il s'était innocemment jeté. Et l’injustifiable trouvaille s’était prudemment livrée. Il ignorait encore que dans cet accident, l'autre insolent aurait pu passer de l'autre côté. Mais en découvrant le grand enfant, il comprenait que le pire s’était opéré dans une contrée où il n’avait pas été invité.
L'auréole descendait en cascade sur ce visage princier ; elles étaient incroyables ces boucles dorées et elles ne masquaient pas ce visage qui avait été saisi par la pire des anxiétés. L’épouvante se dessinait lentement sur ce visage pâle et au grain de peau parfait.
- Mon Dieu… Qu’est-ce que… Mais qu’est-ce qui s’est passé ?
Il n'y a rien de plus grandiose, de plus époustouflant que ces liasses d'argent. Et, pour leur possession, elle enserrerait n'importe quel coeur innocent, cette atroce perversion.
L'explication de cette présence, c'était sûrement dans ces lignes précédentes qu'elle se trouvait. Oui, cet être candide aurait pu être une exception. Pourtant, il était bien loin du paradis, cet enfant.
De toute façon, secrètement, les richesses intéressaient n'importe quel avorton. L'humanité épousait les formes de l'avidité et les règles de la société imposent cette dualité. On haïssait la mort, mais, paradoxalement, on était prêt à tout accepter pour ses quelques pièces d'or. Nos rêves les plus fous étaient prêts à se réaliser grâce à ces lingots. Nonobstant, ce combat engagé était le plus hasardeux, il pouvait écourter cette vie sacrée et malchanceuse. Oh oui, dans ce jeu fatal, cette existence fugace, elle avaient des chances de se finir trop tôt. Mais cette confrontation, on ne l’avait pas anticipée.
- Irvine ?
Elles n'étaient pas belles ses actions Rebelles. Ce mensonge, qu’il était vilain. La fabuleuse histoire d’Irvine n’était rien d’autre qu’une invention et la raison d’une future colère. Emportée par l’agacement, ils éclataient en beauté ces étranges contraires.
- C’est pas possible… Qu’est-ce qui t’es arrivé ?
La victime de la guerre est généralement la Vérité.
Pauvre innocente, prise en otage, durant cette soirée.
On l'avait recherché ardemment, mais, elle était dissimulée sous ce flot de pensées.
Elle restait hors d'atteinte, la belle égarée.
La caméra n'avait pas souhaité la mettre en lumière et les comédiens étaient partis après cette menace amère.
Ils n'avaient pas confié la totalité du script qu'ils avaient soigneusement joué.
On ignorait les motivations des âmes en perdition.
Le plan séquence n'avait laissé que peu de place à l'inaction.
- Il a fait une mauvaise rencontre. La bagnole est abîmée sévère, et de ce qu’il m’a dit, t’as sept gars qui les ont poursuivi. C’est tout ce que je sais.
Sept nains. Mais, blanche neige n'était pas aussi blanche que la poudre d’hiver ; ce n’était pas du Paradis qu’elle était ressortie mais bien de l’Enfer. On avait conté l’histoire de travers.
Ces Sept nains, ce n’étaient pas des amis mais des diablotins.
Derrière ce masque d’argile se cachait donc un mensonge certain. Oui, il mentait, ce grand garçon, et son nez, il s’allongeait comme celui du pantin.
- Sept ? Y’en avait sept ?! C’est ça ton “petit accident” ?! Sérieusement ?!
Oh, Pinocchio, cesse tes mensonges.
Regarde donc dans quel désarroi cet ange plonge.
Il t’a cru. Il n’aurait pas dû. Car, ce soir, il le comprend : dans un autre conte, il t’a perdu.
- Tranquille, tu vois bien, il “respire encore”!
Le détective privé se chargera à ta place d'étaler ta Vérité. Même si c’était le pire moment, cette enquête, ils finiraient ensemble par l’élucider.
Aurèle, tu aurais mieux fait de te taire. Et ta question indirecte « Qui veut la peau d’Irvine Lyssenko ? », il serait préférable de la garder pour toi. Ton auditoire, il n’était pas à même d’entendre cet humour noir.
L’apprenti sorcier avait parfaitement compris ce que Merlin n’avait pas eu à prononcer. Mais, le Mickey, pour sa défense, ne faisait que reporter les paroles injustement glissées.
- C’est c’qu’il m’a sorti ce con, j’te jure.
- Sérieux, qu’est-ce que vous avez fichu encore ?! Les autres, ils sont où même ? Pourquoi vous étiez pas ensemble ? Et lui, c’est qui ?
Le livre s’ouvrait sur la Jungle qui s'étaler. Tarzan n’était pas compté parmi les innocents... Quel était donc ce primate aux allures sauvageonnes ? Que faisait-il dans ces rangs parmi ces dignes éléphants ? On ne pouvait tromper le garnement, Pinocchio ne pourrait mentir éternellement à Dumbo. Les oreilles fines auraient le dernier mot.
Les chiffres binaires voltigeaient un, zéro, un, zéro ; cent un, ajout lecture. Tu te donnais le droit d’introduire ce prénom que tu avais déjà griffonné sur un tableau.
Une ombre escortée.
Oh Nyx, garderas-tu le secret ?
Un enfant adopté.
Un inconnu perdu.
Un clandestin déchu.
Timoré, Irvine ne l’était plus.
Si surprenant est cet avènement, la voix, il venait de la retrouver subitement.
- Lukas.
Le prénom du jeune venait d'être dévoilé. L’esquive permettrait de ne pas répondre aux différentes questions précédemment posées. En théorie, parce que dans les faits, on s’agaçait devant cette fumisterie. Il était bien avancé le jeune garçon. Tout devenait clair grâce à ce simple prénom.
La mule se transformait en âne ? Pourquoi Hercule introduisait l’autre protagoniste aussi mal ?
- Ah super ! Bah vraiment, merci, ça m’avance bien ça !
Le renard ingénieux se transformait en chien. Roukie mordait Rox, et Fox se dédouanait de ce qui cloche. La belle Mercedes avait épargné le clochard mais elle s'était éprise d'affection pour la Bête. Et le rugissement des furies avait laissé le Roi Lion désarmé face à l’adversité.
Oh, mon Coco, tu penses vraiment t’en sortir aussi tôt ?
- Et du coup ? Mes autres questions, tu comptes les ignorer ? Je vous jure que tous là, vous sortez pas d’ici tant que j’aurais pas eu mes explications.
- J’ai aucune putain d’idée de ce qui s’est passé moi! J’étais pas là.
Et toi, Bambino, ce lapin, tu ne l’avais vraiment pas suivi jusqu’au pays des merveilles ?
Pourtant, des revenants, tu étais le plus causant.
- Te dédouane pas toi ! Sérieusement, on me dit de pas m’inquiéter, et ça revient comme ça… Et le pire c’est qu’on m’appelle mais on me dit rien, on fait comme si tout allait bien. “Rien de grave, un petit accident”. Ah oui, tellement petit que l’autre, il rentre avec du sang sur son affreuse face !
Un petit accident, où cette onomatopée avait retenti “Pan, Pan”.
Quelle Marvel. Bienvenue dans le monde merveilleux de Fantasia. Ce monde où l’honnêteté n’existait pas.
Le jeune homme accablé s’était retiré pour rejoindre un bureau. Oliver et Compagnie quant à eux étaient restés spectateurs de ce terrible numéro. Qui aurait pu croire que l’ange puisse être animé par autant d’ardeur ? Il s’était emporté devant le menteur.
- Eh ben… Je l’ai jamais vu comme ça, le gamin.
Élémentaire, mon cher Watson. Le plus sage était devenu sauvage. Pocahontas et John Smith s'en déchargent.
- Super, Irvine, tu nous l’a énervé.
Les remarques sont abandonnées dans ce couloir que l’on quittait. Aurèle et Sidney avaient fini par déserter. Ils furent suivis par l’Empereur Mégalo qui continuait inlassablement d’embrasser l’indifférence ; oui, rien de nouveau. Irvine restait fidèle à lui-même ; malgré l’emportement des siens, il mesurait le moindre de ses mots.
Dans un souci d’intégrité, Lukas s’était à son tour mis en marche. La pression du groupe l'avait poussé hors de ses retranchements. S’il ne voulait pas être martyrisé par ce régime politique, il devait aller de l'avant.
Aucun avis ne lui avait été fourni, mais il ne comptait pas s’éterniser dans ce couloir, seul, ici. Il avait donc longé le mur du couloir jusqu'à pénétrer dans cet étrange mouroir…
Il est terrible ce murmure.
Ô Désastre, on les accumule, ces fragments d’espoirs.
La porte de l’autre univers avait été franchie et ce fut dans l’Empire perdu qu'il venait de plonger. L'or ne couvrait pourtant pas les murs, une table et ses chaises, rien de plus dans la pièce.
Quelle était donc la fonction principale de cet endroit ? Ici, on confirmait qu'il s'agissait sûrement d’une salle de réunion.
Mais Lukas, ce ne sont toujours pas tes oignons,
Méfie toi…
Le retour de boucle d'or risquait d’être entravé par l’étranger. D'ailleurs, on pouvait l’entendre l'orphelin adopté par ces ours. Il marmonnait et fouillait la pièce adjacente où ils se trouvaient.
L'imagination peignait le pire dans cet esprit tourmenté. Lukas s’était décalé sur l’un des côtés de la pièce, il avait pris place sur une chaise abandonnée, au centre de l'audience. Mais lors de son installation, ce fut une douleur affreuse qui le prit en traître et lui coupa, encore une fois, la respiration. Si on avait fait preuve d’observation envers le petit garçon, on aurait pu discerner, un bref instant, cette indication. Les pommettes s’étaient brièvement relevées en exprimant les restes des récentes tribulations.
- T’as fait quoi du tel ?
Une voix qui s'élève et surprend.
Le corps est secoué d'un soubresaut éloquent.
Le gamin était toujours aussi agité suite aux événements. Mais fût-ce étonnant ?
Saletés d'étoiles qui s'immisce dans un champ de vision…
Il fallait vraiment qu'il se repose, ce garçon…..
À peine son confrère avait-il pénétré dans l’antre sacré que l’ours mal poli l’avait agressé.
- J’ai continué de marcher pendant 15 bonnes minutes, puis je l’ai jeté dans la première poubelle que j’ai croisée. Et au lieu de faire demi tour, j’ai fait une boucle pour revenir par derrière. Juste au cas où.
Une réponse chasse une question. Mais elle éveille une autre interrogation.
- Tu l’avais éteint ?
- Juste avant de le jeter. Vraiment, t’as de la chance que, tellement j’ai confiance en vous, j’ai gardé la boîte avec les tels à côté de moi.
Les téléphones portables avaient été jetés.
La technologie, Irvine la méprisait.
Et Lukas comprenait mieux tous ces jeux de piste judicieusement préparés.
L'infirmier avait reposé son matériel. Il avait désigné la main de sa Majesté. Sa voix s’était élevée dans un doux rythme miséricordieux tandis que le geste s’exécute pour récupérer cette main blessée.
- Donne-moi ça.
Le tissu noir s'était fièrement présenté au soigneur expérimenté. À tout ça, il semblait être habitué. La demande ferme n'avait pas attendu que l'autre corps ne vienne à s'exécuter. On observait cette drôle de scène s’animait. Le poignet avait été saisi et on examinait de plus près ce bandage de fortune. Un détail venait d'être révélé à haute voix, ce tissu noir, on ne le connaissait pas.
- C’est pas à toi ça, si ?
Surprenant. Stupéfiant. Il connaissait les habits que pouvait posséder l'autre enfant. Ce tour de cou n'était effectivement pas à Irvine. Mais à qui pouvait-il être ? Devine.
L'océan bleuté avait regardé cette tête se balancer subitement vers lui. La grisaille sacrée, c'était ce mouvement de tête qu'il avait suivi. Découvrant le propriétaire, l’ange, que le vice avait conduit jusqu'ici par on ne sait quel maléfice, avait finalement sourit. La chaleur de ce coeur princier avait promptement réchauffé l’égaré.
- Merci d’avoir pensé à ça ! Je peux le nettoyer, si tu veux. J’ai du détachant et tout… On se débrouillera pour te le rendre !
Cette anodine proposition noyait le petit garçon dans des contradictions. Ce n'était pas la peine… non, vraiment. C’était gentil mais inutile. Ce n’était pas nécessaire.
Les mots étaient bloqués et n’étaient pas décidés à sortir. Mais ce fut avec une voix rauque et enrouée qu'on avait fini par décliner.
- Ça ira…
Le massacre s'était fait entendre. Et c'était avec gêne qu'on s'était éclairci la voix pour reprendre ce qu'on avait essayé de prononcer trop bas…
- Ça ira, merci…
Belle générosité, ce bout de tissu, ils pouvaient le jeter, s’ils le souhaitaient. Le gamin n'était pas attaché à cette accessoire. C'était de sa responsabilité, jamais il n'aurait dû s'en servir comme pansement ce soir…
Non, vraiment, ce textile n'était pas important.
- Regarde la taille du truc… Comment tu t’es fait ça ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Qu’est-ce que vous avez fichu sérieux ?
- Ouais, c’est bon là, raconte nous comment t’as failli crever.
Oh oui, raconte leur comment aurait pu finir ta dernière heure.
Raconte pourquoi vous avez failli ne pas vous en tirer.
Les coeurs attendaient avec impatience que le conteur narre la dernière scène.
Là-haut, dans ce ciel étoilé, ils avaient frôlé les diamants de la planète au trésor.
Elpis s’était abandonnée au sommeil après que la classe G se soit enfoncée dans les bois enchantés.
Le pitre l'avait entendu ce “Pan”. Capitaine crochet les avait retenu prisonniers sur l'île aux enfants.
Après la disparition du Clan des sept, il ne restait que des cendres et le son du carillon.
- Irvine.
Pressé, on attendait.
La mer observe, calme et silencieuse, à ces émois, jamais elle ne se mêle.
Cette histoire, ce n'était pas spécialement la sienne.
Tu avais assisté à une guerre, et tu en avais réchappé. Marraines les bonnes fées vous avez protégés.
- On devait régler quelque chose, on allait rentrer mais quand on est retournés à la merco, deux range-rover nous ont foncé dessus. Elles nous lâchaient pas, je sais même pas combien de temps on a roulé… Bref, les gars ont fini par tirer dans le pneu, on s’est écrasé contre un mur. Lui a pu s’enfuir, moi j’me suis fait rattrapé par les sept.
Alourdie par l'infamie, l'hérésie explose avec parcimonie. Elles grattent la corde sensible, les muses insensibles. Elles s'amusent avec ces liens, et la mélodie, elle n'a rien de joli.
- Ah, parce qu’ils étaient armés ?!
Ils avaient tiré. Alors oui, armés, ils le furent.
Ces armes de feu ne s’étaient immiscées que dans une seule partie.
Heureusement, le canon n'avait pas heurté la chaire.
La vague se déplace vers le ciel. Angélique et naïve, la candeur expose la dérive.
- Et après ? Ils t’ont fait quoi ?
- Quand j’ai tenté de les semer, ils ont fini par me chopper… J’ai reçu quelques coups, mais ça devait pas être suffisant puisque t’en a un qui a sorti un canif. J’ai juste voulu attraper la lame pour la lui foutre dans sa main. Puis ils sont partis. C’est tout.
- C’est tout ?
Une petite sirène finit par retentir.
Silence. Allah rencontre Odin.
Ensemble, ils puniront cette âme en peine en l'empêchant de rejoindre le pays des merveilles.
Et même si le Chaperon veillera à ce que son t-shirt, de rouge, il ne se tinte ; il fallait l’admettre, dans cette jungle, des nouveaux maîtres s’étaient élus Roi.
- Comment ils t’ont rattrapé ?
- Ils m’ont coincé.
Un raccourci dans le Temps extirpe ces questions existentielles. Le secret se terrait là. Vaillant, il se pensait invincible. Incorrigible, il avait pourtant été pris pour cible.
- Personne t’a tiré dessus ?
- À côté.
Celui qui avait assisté au potentiel carnage avait enfoui ces images.
Ils avaient tiré. Irvine ne narrait pas l’histoire comme on le souhaitait. Impénétrable, il gardait pour lui plusieurs secrets. L’horreur traversée, le marbre préférait ne pas l’exposer.
- Donc c’était pas tout. Vraiment, tu me saoules à raconter la moitié des trucs. Ils t’ont loupé ou c’était fait exprès ?
- Je pense que c’était fait exprès.
La jeunesse est duper
Elle n'a plus de repères
Qu'est-ce que tu veux faire ?
Hormis assister à cette guerre et te taire.
- Donc les gars sont juste venus te fracasser, puis ils sont partis ? Ils ont rien dit ?
L’élan du savoir avait poussé l’ange à quitter son perchoire.
Sans prévenir, il s’était attelé à faire des recherches sur la Vérité.
Un drôle de jeu avait alors commencé.
- Ferme pas les yeux, je vérifie que ta sale tête aille bien.
Bercé par l’empathie, on s'assurait que rien de gravissime n’avait été omis. Les examens, on les enchaînaient avec efficacité. Rien de déplorable n’était à déclarer. Les iris réagissaient correctement à l’adversité des ténèbres et de la lumière électrisée.
- Du coup, ça te cherche, ça te poursuit, ils te tabassent un peu, puis ça se barre ? Genre, personne t’a vraiment rien dit ?
Lukas n'avait pas assisté à la totalité de la défaite. Il savait seulement qu’Irvine avait été rattrapé par ces sept bêtes. Et cette cicatrice qui était née du désordre avait un but plausible. Même s’ils n'avaient pas discuté, ils avaient laissé derrière eux un avertissement horrible.
- Nan.
Cette négation nonchalante, ce comportement fuyant, tout portait à croire qu'il mentait le grand garçon.
- Tu mens.
Il ne fallait pas spécialement être un proche pour le constater. Irvine, tu mentais, mal qui plus est…
- Même pas.
- Arrête, d’où on fait tout ce cirque pour au final, rien te dire ?
Parfois, il ne fallait pas chercher des explications. Les événements se passaient sans aucune raison. Mais, ça aurait été totalement irréaliste que n'importe qui soit pris en chasse par ces pseudos érudits. Ils avaient forcément reconnu Irvine dans cette rue ! On ne traque pas sans motifs des inconnus !
- Une menace, sûrement.
- Mouais.
Une menace qui aura laissé sa trace.
- Nan mais jure, ils ont rien dit ?
La valse continuait et on répondait au troisième individu ce qu'on ne parvenait pas à réellement cacher. Le corps répond à la place de l'enfant que non, ils n'avaient pas eu le loisir d'échanger.
- Sérieusement… Tu crains.
Ce qui craignait surtout c’était que sa vie risquait de s’éteindre sur un mauvais coup.
La mauvaise carte piochée et vous pourriez bien tous finir à genoux.
Le fatalisme écorche la grandeur, la gloire s’estompe avant l’heure.
La finalité s'achèvera de toute façon sur un pile ou face. Vie ou mort. Blanc ou noir. Elle nous enveloppera tous, tôt ou tard.
- Franchement, j’aime pas tes plans à la con comme ça. Là t’as eu de la chance, mais la prochaine fois, ça sera quoi ?
Le guide s’était arrêté et le suiveur avait cessé d’avancer.
Les sens étaient en alerte et l’ouïe, précieuse amie, déconcerte. C’était une porte que l’on venait de pousser. Après un dur labeur, on était enfin arrivé.
Et la marche reprenait dans une inquiétude grandissante.
La porte était lourdement abandonnée à son sort et elle s’était refermée dans un bruit fort.
Les doigts avaient attrapé les extrémités du bandeau, après qu’on lui ait donné l’autorisation, de retrouver la vision qu’il avait perdu plus tôt.
Le rat ne savait pas où on l’avait encore trimballé. Et par souci grotesque d’apaiser les psychoses de sa Majesté, c’était méticuleusement qu’il essayait d’ignorer ce qui l’entourait.
La mer s’était heurtée à la glace éloignée ; dans ce monde vicié, Irvine était devenu son premier point de repère.
Aucun mot n’avait eu besoin d’être prononcé. Lukas ressentait encore cette colère exacerbée. Le Lion était contrarié par sa présence en ces lieux sacrés. Mais, si on lui avait demandé son avis, à lui aussi, il serait déjà dans son lit. Cela ne lui plaisait pas non plus, d’être ici. L’orfèvre avait placé cette épée au-dessus de sa tête et il aurait aimé s’en débarrasser. D’ailleurs, dans un monde idéal, il aurait aimé ne jamais le connaître, cet être damné.
Les prestiges du royaume doré, on évitait de les regarder. Ce paradis insolite divulguait des énigmes réservées. Hélios était interdit en ces lieux, c’était ce que les fenêtres hurlaient. Les plaintes des murs imploraient les maîtres des lieux de leur apporter une lumière naturelle. Mais, ils restaient indifférents à ces hurlements éternels. Ici, on interdisait à quiconque de pénétrer. Les regards incongrus, on avait fait en sorte de les éviter.
Ce petit enfant. Oh, jamais il n’aurait dû atterrir ici, ça non.
En y réfléchissant, les enfants de Nyx n'avaient aucune possibilité de jeter des regards intrusifs. Cet endroit était tenu secret. Ces noms de code précédemment échangés avaient un objectif premier. Et voilà, que par bienveillance aberrante, cet endroit soigneusement gardé secret était dévoilé au premier aventurier.
Les grains du sablier s’étaient déposés dans une cadence chronophage.
La mer heurtait le marbre dans un vacarme justifiable. Mais l’apathie s’était depuis longtemps désintéressée d’autrui.
Et cette routine malsaine, l’un des hôtes avait enfin décidé de la briser. Le sablier, on venait de l’arrêter.
L’invocation de la créature avait lentement débuté. Le son de cloche de Notre Dame avait mystérieusement résonné. Il était une heure du matin lorsque les gargouilles furent, à leur tour, convoquées. On s’attendait presque à voir l’une d’elle arriver, ou alors, dans le pire des cas, on s’attendait à voir Le Bossu de Notre Dame. Mais ce ne fut pas lui qu'on eut la surprise de découvrir, quel drame. Dans cette nuit mouvementée, un ange s’était fièrement dévoilé.
Le mirage aux traits parfaits s’était doucement faufilé sur le tableau aux énigmes grossièrement dissimulées.
Il était apparu dans cette vision, le responsable de cette drôle d'agitation.
L'un des sept archanges d'Éthiopie s'était avancé sur le rythme d'une joyeuse mélodie.
La blondeur des boucles et la finesse des traits se mariaient avec cette candeur imagée.
L'ange était si impatient de revoir ceux qui s'étaient détournés des sentiers tracés...
- Bah enfin ! C’est pas trop tôt, j’ai…
Que, dans l’impatiente retrouvaille, il s'était innocemment jeté. Et l’injustifiable trouvaille s’était prudemment livrée. Il ignorait encore que dans cet accident, l'autre insolent aurait pu passer de l'autre côté. Mais en découvrant le grand enfant, il comprenait que le pire s’était opéré dans une contrée où il n’avait pas été invité.
L'auréole descendait en cascade sur ce visage princier ; elles étaient incroyables ces boucles dorées et elles ne masquaient pas ce visage qui avait été saisi par la pire des anxiétés. L’épouvante se dessinait lentement sur ce visage pâle et au grain de peau parfait.
- Mon Dieu… Qu’est-ce que… Mais qu’est-ce qui s’est passé ?
Il n'y a rien de plus grandiose, de plus époustouflant que ces liasses d'argent. Et, pour leur possession, elle enserrerait n'importe quel coeur innocent, cette atroce perversion.
L'explication de cette présence, c'était sûrement dans ces lignes précédentes qu'elle se trouvait. Oui, cet être candide aurait pu être une exception. Pourtant, il était bien loin du paradis, cet enfant.
De toute façon, secrètement, les richesses intéressaient n'importe quel avorton. L'humanité épousait les formes de l'avidité et les règles de la société imposent cette dualité. On haïssait la mort, mais, paradoxalement, on était prêt à tout accepter pour ses quelques pièces d'or. Nos rêves les plus fous étaient prêts à se réaliser grâce à ces lingots. Nonobstant, ce combat engagé était le plus hasardeux, il pouvait écourter cette vie sacrée et malchanceuse. Oh oui, dans ce jeu fatal, cette existence fugace, elle avaient des chances de se finir trop tôt. Mais cette confrontation, on ne l’avait pas anticipée.
- Irvine ?
Elles n'étaient pas belles ses actions Rebelles. Ce mensonge, qu’il était vilain. La fabuleuse histoire d’Irvine n’était rien d’autre qu’une invention et la raison d’une future colère. Emportée par l’agacement, ils éclataient en beauté ces étranges contraires.
- C’est pas possible… Qu’est-ce qui t’es arrivé ?
La victime de la guerre est généralement la Vérité.
Pauvre innocente, prise en otage, durant cette soirée.
On l'avait recherché ardemment, mais, elle était dissimulée sous ce flot de pensées.
Elle restait hors d'atteinte, la belle égarée.
La caméra n'avait pas souhaité la mettre en lumière et les comédiens étaient partis après cette menace amère.
Ils n'avaient pas confié la totalité du script qu'ils avaient soigneusement joué.
On ignorait les motivations des âmes en perdition.
Le plan séquence n'avait laissé que peu de place à l'inaction.
- Il a fait une mauvaise rencontre. La bagnole est abîmée sévère, et de ce qu’il m’a dit, t’as sept gars qui les ont poursuivi. C’est tout ce que je sais.
Sept nains. Mais, blanche neige n'était pas aussi blanche que la poudre d’hiver ; ce n’était pas du Paradis qu’elle était ressortie mais bien de l’Enfer. On avait conté l’histoire de travers.
Ces Sept nains, ce n’étaient pas des amis mais des diablotins.
Derrière ce masque d’argile se cachait donc un mensonge certain. Oui, il mentait, ce grand garçon, et son nez, il s’allongeait comme celui du pantin.
- Sept ? Y’en avait sept ?! C’est ça ton “petit accident” ?! Sérieusement ?!
Oh, Pinocchio, cesse tes mensonges.
Regarde donc dans quel désarroi cet ange plonge.
Il t’a cru. Il n’aurait pas dû. Car, ce soir, il le comprend : dans un autre conte, il t’a perdu.
- Tranquille, tu vois bien, il “respire encore”!
Le détective privé se chargera à ta place d'étaler ta Vérité. Même si c’était le pire moment, cette enquête, ils finiraient ensemble par l’élucider.
Aurèle, tu aurais mieux fait de te taire. Et ta question indirecte « Qui veut la peau d’Irvine Lyssenko ? », il serait préférable de la garder pour toi. Ton auditoire, il n’était pas à même d’entendre cet humour noir.
L’apprenti sorcier avait parfaitement compris ce que Merlin n’avait pas eu à prononcer. Mais, le Mickey, pour sa défense, ne faisait que reporter les paroles injustement glissées.
- C’est c’qu’il m’a sorti ce con, j’te jure.
- Sérieux, qu’est-ce que vous avez fichu encore ?! Les autres, ils sont où même ? Pourquoi vous étiez pas ensemble ? Et lui, c’est qui ?
Le livre s’ouvrait sur la Jungle qui s'étaler. Tarzan n’était pas compté parmi les innocents... Quel était donc ce primate aux allures sauvageonnes ? Que faisait-il dans ces rangs parmi ces dignes éléphants ? On ne pouvait tromper le garnement, Pinocchio ne pourrait mentir éternellement à Dumbo. Les oreilles fines auraient le dernier mot.
Les chiffres binaires voltigeaient un, zéro, un, zéro ; cent un, ajout lecture. Tu te donnais le droit d’introduire ce prénom que tu avais déjà griffonné sur un tableau.
Une ombre escortée.
Oh Nyx, garderas-tu le secret ?
Un enfant adopté.
Un inconnu perdu.
Un clandestin déchu.
Timoré, Irvine ne l’était plus.
Si surprenant est cet avènement, la voix, il venait de la retrouver subitement.
- Lukas.
Le prénom du jeune venait d'être dévoilé. L’esquive permettrait de ne pas répondre aux différentes questions précédemment posées. En théorie, parce que dans les faits, on s’agaçait devant cette fumisterie. Il était bien avancé le jeune garçon. Tout devenait clair grâce à ce simple prénom.
La mule se transformait en âne ? Pourquoi Hercule introduisait l’autre protagoniste aussi mal ?
- Ah super ! Bah vraiment, merci, ça m’avance bien ça !
Le renard ingénieux se transformait en chien. Roukie mordait Rox, et Fox se dédouanait de ce qui cloche. La belle Mercedes avait épargné le clochard mais elle s'était éprise d'affection pour la Bête. Et le rugissement des furies avait laissé le Roi Lion désarmé face à l’adversité.
Oh, mon Coco, tu penses vraiment t’en sortir aussi tôt ?
- Et du coup ? Mes autres questions, tu comptes les ignorer ? Je vous jure que tous là, vous sortez pas d’ici tant que j’aurais pas eu mes explications.
- J’ai aucune putain d’idée de ce qui s’est passé moi! J’étais pas là.
Et toi, Bambino, ce lapin, tu ne l’avais vraiment pas suivi jusqu’au pays des merveilles ?
Pourtant, des revenants, tu étais le plus causant.
- Te dédouane pas toi ! Sérieusement, on me dit de pas m’inquiéter, et ça revient comme ça… Et le pire c’est qu’on m’appelle mais on me dit rien, on fait comme si tout allait bien. “Rien de grave, un petit accident”. Ah oui, tellement petit que l’autre, il rentre avec du sang sur son affreuse face !
Un petit accident, où cette onomatopée avait retenti “Pan, Pan”.
Quelle Marvel. Bienvenue dans le monde merveilleux de Fantasia. Ce monde où l’honnêteté n’existait pas.
Le jeune homme accablé s’était retiré pour rejoindre un bureau. Oliver et Compagnie quant à eux étaient restés spectateurs de ce terrible numéro. Qui aurait pu croire que l’ange puisse être animé par autant d’ardeur ? Il s’était emporté devant le menteur.
- Eh ben… Je l’ai jamais vu comme ça, le gamin.
Élémentaire, mon cher Watson. Le plus sage était devenu sauvage. Pocahontas et John Smith s'en déchargent.
- Super, Irvine, tu nous l’a énervé.
Les remarques sont abandonnées dans ce couloir que l’on quittait. Aurèle et Sidney avaient fini par déserter. Ils furent suivis par l’Empereur Mégalo qui continuait inlassablement d’embrasser l’indifférence ; oui, rien de nouveau. Irvine restait fidèle à lui-même ; malgré l’emportement des siens, il mesurait le moindre de ses mots.
Dans un souci d’intégrité, Lukas s’était à son tour mis en marche. La pression du groupe l'avait poussé hors de ses retranchements. S’il ne voulait pas être martyrisé par ce régime politique, il devait aller de l'avant.
Aucun avis ne lui avait été fourni, mais il ne comptait pas s’éterniser dans ce couloir, seul, ici. Il avait donc longé le mur du couloir jusqu'à pénétrer dans cet étrange mouroir…
Il est terrible ce murmure.
Ô Désastre, on les accumule, ces fragments d’espoirs.
La porte de l’autre univers avait été franchie et ce fut dans l’Empire perdu qu'il venait de plonger. L'or ne couvrait pourtant pas les murs, une table et ses chaises, rien de plus dans la pièce.
Quelle était donc la fonction principale de cet endroit ? Ici, on confirmait qu'il s'agissait sûrement d’une salle de réunion.
Mais Lukas, ce ne sont toujours pas tes oignons,
Méfie toi…
Le retour de boucle d'or risquait d’être entravé par l’étranger. D'ailleurs, on pouvait l’entendre l'orphelin adopté par ces ours. Il marmonnait et fouillait la pièce adjacente où ils se trouvaient.
L'imagination peignait le pire dans cet esprit tourmenté. Lukas s’était décalé sur l’un des côtés de la pièce, il avait pris place sur une chaise abandonnée, au centre de l'audience. Mais lors de son installation, ce fut une douleur affreuse qui le prit en traître et lui coupa, encore une fois, la respiration. Si on avait fait preuve d’observation envers le petit garçon, on aurait pu discerner, un bref instant, cette indication. Les pommettes s’étaient brièvement relevées en exprimant les restes des récentes tribulations.
- T’as fait quoi du tel ?
Une voix qui s'élève et surprend.
Le corps est secoué d'un soubresaut éloquent.
Le gamin était toujours aussi agité suite aux événements. Mais fût-ce étonnant ?
Saletés d'étoiles qui s'immisce dans un champ de vision…
Il fallait vraiment qu'il se repose, ce garçon…..
À peine son confrère avait-il pénétré dans l’antre sacré que l’ours mal poli l’avait agressé.
- J’ai continué de marcher pendant 15 bonnes minutes, puis je l’ai jeté dans la première poubelle que j’ai croisée. Et au lieu de faire demi tour, j’ai fait une boucle pour revenir par derrière. Juste au cas où.
Une réponse chasse une question. Mais elle éveille une autre interrogation.
- Tu l’avais éteint ?
- Juste avant de le jeter. Vraiment, t’as de la chance que, tellement j’ai confiance en vous, j’ai gardé la boîte avec les tels à côté de moi.
Les téléphones portables avaient été jetés.
La technologie, Irvine la méprisait.
Et Lukas comprenait mieux tous ces jeux de piste judicieusement préparés.
L'infirmier avait reposé son matériel. Il avait désigné la main de sa Majesté. Sa voix s’était élevée dans un doux rythme miséricordieux tandis que le geste s’exécute pour récupérer cette main blessée.
- Donne-moi ça.
Le tissu noir s'était fièrement présenté au soigneur expérimenté. À tout ça, il semblait être habitué. La demande ferme n'avait pas attendu que l'autre corps ne vienne à s'exécuter. On observait cette drôle de scène s’animait. Le poignet avait été saisi et on examinait de plus près ce bandage de fortune. Un détail venait d'être révélé à haute voix, ce tissu noir, on ne le connaissait pas.
- C’est pas à toi ça, si ?
Surprenant. Stupéfiant. Il connaissait les habits que pouvait posséder l'autre enfant. Ce tour de cou n'était effectivement pas à Irvine. Mais à qui pouvait-il être ? Devine.
L'océan bleuté avait regardé cette tête se balancer subitement vers lui. La grisaille sacrée, c'était ce mouvement de tête qu'il avait suivi. Découvrant le propriétaire, l’ange, que le vice avait conduit jusqu'ici par on ne sait quel maléfice, avait finalement sourit. La chaleur de ce coeur princier avait promptement réchauffé l’égaré.
- Merci d’avoir pensé à ça ! Je peux le nettoyer, si tu veux. J’ai du détachant et tout… On se débrouillera pour te le rendre !
Cette anodine proposition noyait le petit garçon dans des contradictions. Ce n'était pas la peine… non, vraiment. C’était gentil mais inutile. Ce n’était pas nécessaire.
Les mots étaient bloqués et n’étaient pas décidés à sortir. Mais ce fut avec une voix rauque et enrouée qu'on avait fini par décliner.
- Ça ira…
Le massacre s'était fait entendre. Et c'était avec gêne qu'on s'était éclairci la voix pour reprendre ce qu'on avait essayé de prononcer trop bas…
- Ça ira, merci…
Belle générosité, ce bout de tissu, ils pouvaient le jeter, s’ils le souhaitaient. Le gamin n'était pas attaché à cette accessoire. C'était de sa responsabilité, jamais il n'aurait dû s'en servir comme pansement ce soir…
Non, vraiment, ce textile n'était pas important.
- Regarde la taille du truc… Comment tu t’es fait ça ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Qu’est-ce que vous avez fichu sérieux ?
- Ouais, c’est bon là, raconte nous comment t’as failli crever.
Oh oui, raconte leur comment aurait pu finir ta dernière heure.
Raconte pourquoi vous avez failli ne pas vous en tirer.
Les coeurs attendaient avec impatience que le conteur narre la dernière scène.
Là-haut, dans ce ciel étoilé, ils avaient frôlé les diamants de la planète au trésor.
Elpis s’était abandonnée au sommeil après que la classe G se soit enfoncée dans les bois enchantés.
Le pitre l'avait entendu ce “Pan”. Capitaine crochet les avait retenu prisonniers sur l'île aux enfants.
Après la disparition du Clan des sept, il ne restait que des cendres et le son du carillon.
- Irvine.
Pressé, on attendait.
La mer observe, calme et silencieuse, à ces émois, jamais elle ne se mêle.
Cette histoire, ce n'était pas spécialement la sienne.
Tu avais assisté à une guerre, et tu en avais réchappé. Marraines les bonnes fées vous avez protégés.
- On devait régler quelque chose, on allait rentrer mais quand on est retournés à la merco, deux range-rover nous ont foncé dessus. Elles nous lâchaient pas, je sais même pas combien de temps on a roulé… Bref, les gars ont fini par tirer dans le pneu, on s’est écrasé contre un mur. Lui a pu s’enfuir, moi j’me suis fait rattrapé par les sept.
Alourdie par l'infamie, l'hérésie explose avec parcimonie. Elles grattent la corde sensible, les muses insensibles. Elles s'amusent avec ces liens, et la mélodie, elle n'a rien de joli.
- Ah, parce qu’ils étaient armés ?!
Ils avaient tiré. Alors oui, armés, ils le furent.
Ces armes de feu ne s’étaient immiscées que dans une seule partie.
Heureusement, le canon n'avait pas heurté la chaire.
La vague se déplace vers le ciel. Angélique et naïve, la candeur expose la dérive.
- Et après ? Ils t’ont fait quoi ?
- Quand j’ai tenté de les semer, ils ont fini par me chopper… J’ai reçu quelques coups, mais ça devait pas être suffisant puisque t’en a un qui a sorti un canif. J’ai juste voulu attraper la lame pour la lui foutre dans sa main. Puis ils sont partis. C’est tout.
- C’est tout ?
Une petite sirène finit par retentir.
Silence. Allah rencontre Odin.
Ensemble, ils puniront cette âme en peine en l'empêchant de rejoindre le pays des merveilles.
Et même si le Chaperon veillera à ce que son t-shirt, de rouge, il ne se tinte ; il fallait l’admettre, dans cette jungle, des nouveaux maîtres s’étaient élus Roi.
- Comment ils t’ont rattrapé ?
- Ils m’ont coincé.
Un raccourci dans le Temps extirpe ces questions existentielles. Le secret se terrait là. Vaillant, il se pensait invincible. Incorrigible, il avait pourtant été pris pour cible.
- Personne t’a tiré dessus ?
- À côté.
Celui qui avait assisté au potentiel carnage avait enfoui ces images.
Ils avaient tiré. Irvine ne narrait pas l’histoire comme on le souhaitait. Impénétrable, il gardait pour lui plusieurs secrets. L’horreur traversée, le marbre préférait ne pas l’exposer.
- Donc c’était pas tout. Vraiment, tu me saoules à raconter la moitié des trucs. Ils t’ont loupé ou c’était fait exprès ?
- Je pense que c’était fait exprès.
La jeunesse est duper
Elle n'a plus de repères
Qu'est-ce que tu veux faire ?
Hormis assister à cette guerre et te taire.
- Donc les gars sont juste venus te fracasser, puis ils sont partis ? Ils ont rien dit ?
L’élan du savoir avait poussé l’ange à quitter son perchoire.
Sans prévenir, il s’était attelé à faire des recherches sur la Vérité.
Un drôle de jeu avait alors commencé.
- Ferme pas les yeux, je vérifie que ta sale tête aille bien.
Bercé par l’empathie, on s'assurait que rien de gravissime n’avait été omis. Les examens, on les enchaînaient avec efficacité. Rien de déplorable n’était à déclarer. Les iris réagissaient correctement à l’adversité des ténèbres et de la lumière électrisée.
- Du coup, ça te cherche, ça te poursuit, ils te tabassent un peu, puis ça se barre ? Genre, personne t’a vraiment rien dit ?
Lukas n'avait pas assisté à la totalité de la défaite. Il savait seulement qu’Irvine avait été rattrapé par ces sept bêtes. Et cette cicatrice qui était née du désordre avait un but plausible. Même s’ils n'avaient pas discuté, ils avaient laissé derrière eux un avertissement horrible.
- Nan.
Cette négation nonchalante, ce comportement fuyant, tout portait à croire qu'il mentait le grand garçon.
- Tu mens.
Il ne fallait pas spécialement être un proche pour le constater. Irvine, tu mentais, mal qui plus est…
- Même pas.
- Arrête, d’où on fait tout ce cirque pour au final, rien te dire ?
Parfois, il ne fallait pas chercher des explications. Les événements se passaient sans aucune raison. Mais, ça aurait été totalement irréaliste que n'importe qui soit pris en chasse par ces pseudos érudits. Ils avaient forcément reconnu Irvine dans cette rue ! On ne traque pas sans motifs des inconnus !
- Une menace, sûrement.
- Mouais.
Une menace qui aura laissé sa trace.
- Nan mais jure, ils ont rien dit ?
La valse continuait et on répondait au troisième individu ce qu'on ne parvenait pas à réellement cacher. Le corps répond à la place de l'enfant que non, ils n'avaient pas eu le loisir d'échanger.
- Sérieusement… Tu crains.
Ce qui craignait surtout c’était que sa vie risquait de s’éteindre sur un mauvais coup.
La mauvaise carte piochée et vous pourriez bien tous finir à genoux.
Le fatalisme écorche la grandeur, la gloire s’estompe avant l’heure.
La finalité s'achèvera de toute façon sur un pile ou face. Vie ou mort. Blanc ou noir. Elle nous enveloppera tous, tôt ou tard.
- Franchement, j’aime pas tes plans à la con comme ça. Là t’as eu de la chance, mais la prochaine fois, ça sera quoi ?
à 18:08 le 15/11/2023
À droite qu’elle dansait la tyrannie.
À droite qu’un certain parti avait pris vie.
À droite que jadis le racisme naquit.
Et toujours à cette même droite, elle se perpétue la haine d'autrui…
- J’t’ai dit quoi ? Je ramène personne chez lui. On va vérifier que tout aille bien, toi tu vas aller lui avouer que ton petit accident a frôlé le drame, et j’suis désolé mais je fais pas de détour pour en déposer un je ne sais où, c’est bon. Ça va pas être long, je sais même pas ce qu’il s’est réellement passé, donc je préfère pas prendre de risques. Et si ça vous va pas, c’est la même.
Alors, le résultat serait donc le même, même si les nouveaux desseins qu’on lui imposait ne lui plaisaient guère, il n’aurait pas son mot à dire.
C’était d’un repos amplement mérité dont il avait besoin, ce gamin. Pas d’une énième balade en voiture en suivant il ne sait quel chemin.
Où allaient-ils l’emmener ? L’un des passagers le savait que trop bien…
Dans ce royaume doré aux portes précieusement gardées ; dans l'intimité des âmes fidèles à son règne incontesté. Et cet étranger, oh non, on ne voulait pas le voir frôler ces terres adorées. Mais cet énième projet qui se profilait sans leur consentement, ni l’intéressé, ni le Roi n’avaient leur mot à dire, étonnamment.
Ils subissaient le sort immuable que les trois nornes avaient préparé. Ce destin délicat, ils ne pourraient donc jamais le changer. Dociles et fragiles, Lachésis dévoilait le rôle des Moires, complices. Ces déités nordiques et grecques pouvaient en témoigner. La fin d'un Temps finira toujours pas arriver.
Tandis que les étoiles veillaient sur ces deux fils, Nyx laissait la voiture s’élancer sur ce nouveau circuit.
L’âme fatiguée était prise depuis trop longtemps dans le dédale des circonstances.
Comme Icare, le gamin était épuisé de tant de voyages et d’errances. Le balancement doux du véhicule n’arrangeait en rien ce risque grandissant. Il allait finir par s’endormir, cet enfant. Bercé dans les bras d’Isis, il y avait pourtant la possibilité qu’il finisse dans le royaume d’Anubis.
Attendez. Ce regard criant venait-il à l'instant de prononcer un maléfice ?
- Sérieux ? Tu nous l’a emmené dans deux traquenards déjà, j’pense que c’est bon là…
Le doute s’immisçait dans un esprit tourmenté ; Irvine, quelle suite lui aviez-vous préparé ?
Un troisième acte à cette comédie ? Ou fallait-il seulement comprendre qu’il n’était pas le bienvenu dans l’endroit sacré que vous cachiez. La collusion s’établissait sans que l’on ne puisse s’opposer à l’illégalité.
- Désolé gamin, il est parano, va falloir que tu mettes ça. Et si j’étais toi, j’essaierai pas de l’enlever en douce.
Les fileuses tissaient leurs toiles avec une malice effroyable. Quelle ironie. Vous la voyez aussi ? Elle se dessinait sur ce décor. Non, ce n'était pas la loi du plus fort. La prudence transgressait les règles d'omniscience ; le quatrième mur était presque brisé par cette pensée commune. Elle finira par incarner ton infortune, ta paranoïa.
On devinait ces formes divinatoires mais on restait bien incapable de le croire.
Le Roi était sa proie ? Quelle terrible ennemie que voilà…
L’enfant avait glissé son regard sur la statue assise à ses côtés, la Sphinge ne révélerait pas ses pensées. Dans cette scène mythique, le drame, dans le plus grand des calmes, s’établissait.
Lukas avait quitté sa position pour se redresser. Il venait de récolter le précieux fardeau, ce fameux bandeau, que Pâris avait jadis porté.
Un bandeau, témoin des destins tragiques où l’ésotérisme régnait.
Quel triste constat de savoir que des psychoses enlaçait le grand garçon assis à ses côtés…
- Qu’est-ce que tu fiches avec ça dans ta bagnole…
- Avec l’autre fou, vaut mieux en avoir.
L'océan essayait de se heurter à la glace inanimée par la plus triste des dangerosité. Mais jamais, il n'eut l’occasion de revoir ces deux iris ancrés dans l’indifférence et l’apathie glacée. Un dernier regard fut lancé en direction du dirigeant, amant de tant de monstruosité. Quel spectre dansait dans cet esprit ? Nul ne le saurait jamais…
L'œil étreint l'obscurité, et la vue sacrée, voilà qu'on venait de la perdre le temps du trajet. Le silence s'instaura en maître loin de cette clarté, et l'opposition, jamais ne se dressa devant l'entêté.
Lukas regagna le fond du siège passager. Il posa sa tête contre son bras, qui lui-même s'était posé contre le plastique froid.
Irvine était sûrement contrôlé par des nervosités insoupçonnées. Comble de l'ironie, le Roi avait peur du Pion qui l'avait, sans le vouloir, servi.
- Tu parles, avoue, tu te tapes tes meilleures siestes quand t’es supposé bosser, mais tu supportes pas la lumière alors…
- Vas-y, ferme-la.
Irvine, il faisait partie de ceux-là.
Ceux qui ne communiquait pas.
Ses émois, il valait mieux les garder pour soi.
Ses doutes, il ne les partagerait pas.
Tout comme les pensées des deux auteurs, on ne les connaîtrait pas.
Le destin s'élargissait, les péripéties se traversaient et une fois fini, le cheminement de l'histoire reprenait.
La fatigue quant à elle ne faisait que s'accroître dans l'habitacle redevenu silencieux.
Dans un monde pareil, à qui pourriez-vous vous en remettre si ce n'est aux dieux ?
C'était de nouveau un ego que l'on massacrait. Était-ce si amusant de voir Lukas galérer ?
Privé de la vue, il avait tout le loisir de sombrer. Et la belle s’était endormie après que le loup soit rentré dans les bois sacrés. Les couleurs se ranimaient dans un monde étrangement paisible, loin de cette triste réalité. Mais le doux repos de l’enfant ne durera jamais longtemps, c'était acté.
- Arrête-toi.
Les Hyades avaient poussé le gamin loin du conte de fée engendrant de sa part un sursaut injustifié. Il venait de faire une chute vertigineuse en quittant les bras de Morphée…
- Hein ?
Une injonction ferme mais incomprise. Une demande pourtant claire et concise.
- Arrête-toi.
- Pourquoi ?
Les roues venaient tout juste de s’immobiliser, par réflexe stupide, les mains du gamin étaient venus chercher le siège du conducteur discipliné. Un geste instinctif et inutile pour amortir le potentiel impact. La secousse avait été ralentie grâce à cet acte.
Esa murmurait des atrocités aux gamins sages et bien éduqués.
Face au silence des enfants, il ne savait pas à quoi s’attendre le pauvre innocent…
Heureusement, le contact inexplicablement logique s’était fait ressentir sans le moindre tacte…
Mauvaise pioche, le téléphone n’était pas caché dans cette poche.
Le bras qui n’avait pas été dérangé s'était alors décalé en comprenant ce que le Roi recherchait. La cachette avait été rendue accessible pour laisser le loisir au grand maître de récupérer l'objet damné. Et sans la moindre objection, on lui laissait prendre ce cellulaire sacré.
Privé de la vue, on continuait pourtant de percevoir les autres sens.
Le bruit d'un sac que l'on récolte, le coeur meurtri qui se révolte. Mais aucun son n'est prononcé, on reste muet face à ce qui se déroule sans que la moindre permission ne soit donnée.
Le bruit de la portière venait façonner le mythe qui se dessine,
Et l’air frais de la nuit venait de saisir le pauvre occupant qui, devant l’impossible, s’incline.
- On dirait un malade.
- J’te jure…
- Ça risque d’être pire.
- On est bien barrés avec ça.
- T’inquiète pas gamin, si tes affaires disparaissent, tu les lui fera payer !
- Et tu demande un dédommagement en prime !
Heureusement que ces deux protagonistes étaient un tant soit peu bavards. En plus, ils avaient le sens des affaires ; d'ailleurs, les siennes, Lukas espérait les revoir. Et même si l’un des protagonistes avait qualifié le plus grand de “malade”, Lukas priait pour qu’il finisse par retrouver ses effets personnels après cette douteuse balade.
La portière se referme et le vent ne s'engouffre plus dans l’habitacle isolé. Le Roi était revenu de son excursion nocturne, les mains vides et, il fallait l’espérer, le coeur plus léger.
- C’est bon, t’es soulagé ?
La paranoïa avait-t-elle trouvé refuge dans tes bras ? Ces futilités avaient-elles été suffisantes pour toi ? La voiture redémarre ; erreur fatale, toi non plus tu ne le fouille pas. Un émetteur pouvait bien se trouver sur Lukas... Tu ne crois pas ? Erreur brutale, tu aurais pu t'enfuir. Mais tu avais préféré défaillir.
Destin inexplicable, Esa avait tissé ses prémonitions dans l’esprit de ce garçon. Il rejouait en boucle un passé difficile à accepter. Le message des dieux s’était présenté de manière fastidieuse. Il fallait désormais le déchiffrer. Mais les chevaliers fantomatiques, qui avaient servi Hermès dans sa livraison, rendaient la tâche plus épineuse pour le grand garçon.
Pure, elle grandissait cette folie, où les dieux, quoi qu’il advienne, reprendraient vos vies…
♰☥♁✙⛧♰☥♁✙⛧♰☥♁✙⛧♰☥♁✙⛧♰☥♁✙⛧♰☥♁✙⛧♰☥♁✙⛧☥♁✙⛧♰☥♁✙⛧☥♁✙⛧♰☥♁✙⛧☥♁✙⛧
Les lucioles s’envolent vers l’infinie, magique mélodie, le silence était si joli.
Les quinze minutes se sont enfuies après qu’elle est frappée, la fantaisie.
Le fragment de rêve venait de se mêler à cette dure réalité.
De nouveau, la voiture s’arrête et le coeur, lui, reprend son rythme effréné.
C’était donc ainsi que se finissait l’épopée ?
Les portières s’étaient ouvertes dans un vacarme lugubre. Une main conductrice s’était posée sur le bras du bambin. Généreusement on avait aidé le gamin à s’extraire du véhicule et on lui avait même donné un peu de recul.
- Gamin, j’espère que t’as de l’équilibre, va falloir marcher à l’aveugle !
Était-ce une farce ? Non. À l’aveugle, il devrait donc faire face.
Si les coups n’avaient pas été réels, certainement que les questions sur le sérieux de l’expédition aurait naquit. Une équipe de tournage aurait sûrement été découverte à la dernière frame de cette scène. Et, peut-être que finalement, les dieux aussi auraient ri…
♰☥♁✙⛧♰☥♁✙⛧♰☥♁✙⛧♰☥♁✙⛧♰☥♁✙⛧♰☥♁✙⛧♰☥♁✙⛧☥♁✙⛧♰☥♁✙⛧☥♁✙⛧♰☥♁✙⛧☥♁✙⛧
À droite qu’un certain parti avait pris vie.
À droite que jadis le racisme naquit.
Et toujours à cette même droite, elle se perpétue la haine d'autrui…
- J’t’ai dit quoi ? Je ramène personne chez lui. On va vérifier que tout aille bien, toi tu vas aller lui avouer que ton petit accident a frôlé le drame, et j’suis désolé mais je fais pas de détour pour en déposer un je ne sais où, c’est bon. Ça va pas être long, je sais même pas ce qu’il s’est réellement passé, donc je préfère pas prendre de risques. Et si ça vous va pas, c’est la même.
Alors, le résultat serait donc le même, même si les nouveaux desseins qu’on lui imposait ne lui plaisaient guère, il n’aurait pas son mot à dire.
C’était d’un repos amplement mérité dont il avait besoin, ce gamin. Pas d’une énième balade en voiture en suivant il ne sait quel chemin.
Où allaient-ils l’emmener ? L’un des passagers le savait que trop bien…
Dans ce royaume doré aux portes précieusement gardées ; dans l'intimité des âmes fidèles à son règne incontesté. Et cet étranger, oh non, on ne voulait pas le voir frôler ces terres adorées. Mais cet énième projet qui se profilait sans leur consentement, ni l’intéressé, ni le Roi n’avaient leur mot à dire, étonnamment.
Ils subissaient le sort immuable que les trois nornes avaient préparé. Ce destin délicat, ils ne pourraient donc jamais le changer. Dociles et fragiles, Lachésis dévoilait le rôle des Moires, complices. Ces déités nordiques et grecques pouvaient en témoigner. La fin d'un Temps finira toujours pas arriver.
Tandis que les étoiles veillaient sur ces deux fils, Nyx laissait la voiture s’élancer sur ce nouveau circuit.
L’âme fatiguée était prise depuis trop longtemps dans le dédale des circonstances.
Comme Icare, le gamin était épuisé de tant de voyages et d’errances. Le balancement doux du véhicule n’arrangeait en rien ce risque grandissant. Il allait finir par s’endormir, cet enfant. Bercé dans les bras d’Isis, il y avait pourtant la possibilité qu’il finisse dans le royaume d’Anubis.
Attendez. Ce regard criant venait-il à l'instant de prononcer un maléfice ?
- Sérieux ? Tu nous l’a emmené dans deux traquenards déjà, j’pense que c’est bon là…
Le doute s’immisçait dans un esprit tourmenté ; Irvine, quelle suite lui aviez-vous préparé ?
Un troisième acte à cette comédie ? Ou fallait-il seulement comprendre qu’il n’était pas le bienvenu dans l’endroit sacré que vous cachiez. La collusion s’établissait sans que l’on ne puisse s’opposer à l’illégalité.
- Désolé gamin, il est parano, va falloir que tu mettes ça. Et si j’étais toi, j’essaierai pas de l’enlever en douce.
Les fileuses tissaient leurs toiles avec une malice effroyable. Quelle ironie. Vous la voyez aussi ? Elle se dessinait sur ce décor. Non, ce n'était pas la loi du plus fort. La prudence transgressait les règles d'omniscience ; le quatrième mur était presque brisé par cette pensée commune. Elle finira par incarner ton infortune, ta paranoïa.
On devinait ces formes divinatoires mais on restait bien incapable de le croire.
Le Roi était sa proie ? Quelle terrible ennemie que voilà…
L’enfant avait glissé son regard sur la statue assise à ses côtés, la Sphinge ne révélerait pas ses pensées. Dans cette scène mythique, le drame, dans le plus grand des calmes, s’établissait.
Lukas avait quitté sa position pour se redresser. Il venait de récolter le précieux fardeau, ce fameux bandeau, que Pâris avait jadis porté.
Un bandeau, témoin des destins tragiques où l’ésotérisme régnait.
Quel triste constat de savoir que des psychoses enlaçait le grand garçon assis à ses côtés…
- Qu’est-ce que tu fiches avec ça dans ta bagnole…
- Avec l’autre fou, vaut mieux en avoir.
L'océan essayait de se heurter à la glace inanimée par la plus triste des dangerosité. Mais jamais, il n'eut l’occasion de revoir ces deux iris ancrés dans l’indifférence et l’apathie glacée. Un dernier regard fut lancé en direction du dirigeant, amant de tant de monstruosité. Quel spectre dansait dans cet esprit ? Nul ne le saurait jamais…
L'œil étreint l'obscurité, et la vue sacrée, voilà qu'on venait de la perdre le temps du trajet. Le silence s'instaura en maître loin de cette clarté, et l'opposition, jamais ne se dressa devant l'entêté.
Lukas regagna le fond du siège passager. Il posa sa tête contre son bras, qui lui-même s'était posé contre le plastique froid.
Irvine était sûrement contrôlé par des nervosités insoupçonnées. Comble de l'ironie, le Roi avait peur du Pion qui l'avait, sans le vouloir, servi.
- Tu parles, avoue, tu te tapes tes meilleures siestes quand t’es supposé bosser, mais tu supportes pas la lumière alors…
- Vas-y, ferme-la.
Irvine, il faisait partie de ceux-là.
Ceux qui ne communiquait pas.
Ses émois, il valait mieux les garder pour soi.
Ses doutes, il ne les partagerait pas.
Tout comme les pensées des deux auteurs, on ne les connaîtrait pas.
Le destin s'élargissait, les péripéties se traversaient et une fois fini, le cheminement de l'histoire reprenait.
La fatigue quant à elle ne faisait que s'accroître dans l'habitacle redevenu silencieux.
Dans un monde pareil, à qui pourriez-vous vous en remettre si ce n'est aux dieux ?
C'était de nouveau un ego que l'on massacrait. Était-ce si amusant de voir Lukas galérer ?
Privé de la vue, il avait tout le loisir de sombrer. Et la belle s’était endormie après que le loup soit rentré dans les bois sacrés. Les couleurs se ranimaient dans un monde étrangement paisible, loin de cette triste réalité. Mais le doux repos de l’enfant ne durera jamais longtemps, c'était acté.
- Arrête-toi.
Les Hyades avaient poussé le gamin loin du conte de fée engendrant de sa part un sursaut injustifié. Il venait de faire une chute vertigineuse en quittant les bras de Morphée…
- Hein ?
Une injonction ferme mais incomprise. Une demande pourtant claire et concise.
- Arrête-toi.
- Pourquoi ?
Les roues venaient tout juste de s’immobiliser, par réflexe stupide, les mains du gamin étaient venus chercher le siège du conducteur discipliné. Un geste instinctif et inutile pour amortir le potentiel impact. La secousse avait été ralentie grâce à cet acte.
Esa murmurait des atrocités aux gamins sages et bien éduqués.
Face au silence des enfants, il ne savait pas à quoi s’attendre le pauvre innocent…
Heureusement, le contact inexplicablement logique s’était fait ressentir sans le moindre tacte…
Mauvaise pioche, le téléphone n’était pas caché dans cette poche.
Le bras qui n’avait pas été dérangé s'était alors décalé en comprenant ce que le Roi recherchait. La cachette avait été rendue accessible pour laisser le loisir au grand maître de récupérer l'objet damné. Et sans la moindre objection, on lui laissait prendre ce cellulaire sacré.
Privé de la vue, on continuait pourtant de percevoir les autres sens.
Le bruit d'un sac que l'on récolte, le coeur meurtri qui se révolte. Mais aucun son n'est prononcé, on reste muet face à ce qui se déroule sans que la moindre permission ne soit donnée.
Le bruit de la portière venait façonner le mythe qui se dessine,
Et l’air frais de la nuit venait de saisir le pauvre occupant qui, devant l’impossible, s’incline.
- On dirait un malade.
- J’te jure…
- Ça risque d’être pire.
- On est bien barrés avec ça.
- T’inquiète pas gamin, si tes affaires disparaissent, tu les lui fera payer !
- Et tu demande un dédommagement en prime !
Heureusement que ces deux protagonistes étaient un tant soit peu bavards. En plus, ils avaient le sens des affaires ; d'ailleurs, les siennes, Lukas espérait les revoir. Et même si l’un des protagonistes avait qualifié le plus grand de “malade”, Lukas priait pour qu’il finisse par retrouver ses effets personnels après cette douteuse balade.
La portière se referme et le vent ne s'engouffre plus dans l’habitacle isolé. Le Roi était revenu de son excursion nocturne, les mains vides et, il fallait l’espérer, le coeur plus léger.
- C’est bon, t’es soulagé ?
La paranoïa avait-t-elle trouvé refuge dans tes bras ? Ces futilités avaient-elles été suffisantes pour toi ? La voiture redémarre ; erreur fatale, toi non plus tu ne le fouille pas. Un émetteur pouvait bien se trouver sur Lukas... Tu ne crois pas ? Erreur brutale, tu aurais pu t'enfuir. Mais tu avais préféré défaillir.
Destin inexplicable, Esa avait tissé ses prémonitions dans l’esprit de ce garçon. Il rejouait en boucle un passé difficile à accepter. Le message des dieux s’était présenté de manière fastidieuse. Il fallait désormais le déchiffrer. Mais les chevaliers fantomatiques, qui avaient servi Hermès dans sa livraison, rendaient la tâche plus épineuse pour le grand garçon.
Pure, elle grandissait cette folie, où les dieux, quoi qu’il advienne, reprendraient vos vies…
♰☥♁✙⛧♰☥♁✙⛧♰☥♁✙⛧♰☥♁✙⛧♰☥♁✙⛧♰☥♁✙⛧♰☥♁✙⛧☥♁✙⛧♰☥♁✙⛧☥♁✙⛧♰☥♁✙⛧☥♁✙⛧
Les lucioles s’envolent vers l’infinie, magique mélodie, le silence était si joli.
Les quinze minutes se sont enfuies après qu’elle est frappée, la fantaisie.
Le fragment de rêve venait de se mêler à cette dure réalité.
De nouveau, la voiture s’arrête et le coeur, lui, reprend son rythme effréné.
C’était donc ainsi que se finissait l’épopée ?
Les portières s’étaient ouvertes dans un vacarme lugubre. Une main conductrice s’était posée sur le bras du bambin. Généreusement on avait aidé le gamin à s’extraire du véhicule et on lui avait même donné un peu de recul.
- Gamin, j’espère que t’as de l’équilibre, va falloir marcher à l’aveugle !
Était-ce une farce ? Non. À l’aveugle, il devrait donc faire face.
Si les coups n’avaient pas été réels, certainement que les questions sur le sérieux de l’expédition aurait naquit. Une équipe de tournage aurait sûrement été découverte à la dernière frame de cette scène. Et, peut-être que finalement, les dieux aussi auraient ri…
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à 18:08 le 15/11/2023
L'accalmie venait de disparaître. Un rugissement féroce témoignait d’une incessante introduction. Un véhicule se rapprochait furieusement de sa nouvelle destination. Poussée par une frénésie, c’était ainsi qu’elle entrait en action, cette protagoniste mystérieuse dont on ignorait le nom.
Irvine n’avait pas été bavard. Ses paroles, il les retenait et ne les donnait jamais par hasard.
Son grand ami avait pris place entre les deux rescapés et ne s’était toujours pas en aller. Doux silence que rien n'effraie.
Malgré l’arrivée surexcitée de leur sauveuse, il restait religieux.
Même face à l’apparition providentielle qui progressivement devenait satanique, Irvine restait muet et consciencieux. Mais, il y avait clairement quelque chose de maléfique dans cette entrée. Et une prière ou deux auraient pu faire reculer les démons qui poursuivaient la douce fleur sur le point d'éclore. À moins que le mal ne soit déjà fait et qu'Hanaé ne se soit transformé en griffe du diable ? La puissance donnée à cette lancée était épouvantable. Était-elle venue pour les sauver ou sceller leur sort ?
La lumière dérange les deux êtres habitués aux noirceurs. Les ténèbres avaient fui face à la bête déchaînée qui approchait.
Les phares éclairaient le chemin, elle progressait à vive allure la main tendue vers les condamnés. Elle s'approchait dangereusement vers les deux ombres des gamins. Si l'une était restée assise, l'autre, ce fut par orgueil qu'elle s'était relevée ; pour saluer plus dignement la libératrice de leur attente.
L’énergie utilisée se déversait dans cet endroit jusqu'alors inanimé. Ces affres qui avaient poussé les âmes à s’aventurer dans ces contrées, il était nécessaire de les abandonner.
La stupeur enlace le garçon. Hanaé, le frein, il faudrait penser à l’actionner !
Dans un geste instinctif, le gamin s’était relevé. Par soucis de ne pas finir en bouillie, il avait préféré se préparer à toute éventualité.
Fort heureusement, le vacarme des pneus avait confessé l’arrêt brutal du vaisseau.
Et, c’était par réflexe que les lueurs éclatantes disparaissaient derrière une main tachée d’encre.
Quelle ne fut pas la surprise de cette découverte. Des traits d'une finesse inattendue se dessinaient ; c'était Aurèle qui se révélait. Les sonorités de la voix masculine le confirmaient, Lukas ne rêvait pas, c’était Aurèle qui était venu les chercher.
L’homme épris par l’inquiétude n’avait pas attendu d’être descendu du véhicule pour exposer ses émois.
Et elles explosaient de véracité ces paroles que l’on lâchait à l’intéressé.
- Franchement, t’avais le droit d’être plus précis, hein.
La précision aurait été néfaste. Cette doctrine était nécessaire. C’était les confidences par téléphone qui étaient délétères et fantasques.
Les affres de l’ignorance avaient condamné ce coeur à déverser ses frayeurs, tandis que la fierté avait invité le corps à ne pas se laisser submerger. Il fallait rester droit devant ce tableau que l’on osait toujours pas admirer. Il n’avait toujours pas daigné les regarder, ces victimes d’Esa. Et alors que la valse des reproches s’éternisait, on remarqua la présence du passager qui depuis le début était là.
- J’veux bien croire que les tels, c’est chaud, mais vas-y, comment j’te retrouve avec le peu d’info que tu donnes… puis l’autre là, il m’a fait flipper sa mère, j’attendais per-
Le silence venait de retomber attisant un air effaré sur ce visage princier. Oh, si le message codé avait été limpide, qu’aurais-tu gagné ? Sur cet accélérateur, tu te serais précipité ; dans les virages de la mort, tu te serais certainement jeté. L’imagination aurait cédée aux caprices des démons affamés. Ils auraient glissé des idioties dans cet esprit déjà bien assez affolé. Dans ce fouilli organisé, les décisions sensées auraient été décimées au profit d’actes irréfléchis et désaxés. Quels avantages en auraient été tirés, si ce n’est, aucun ?
L’individu avait mis un instant à digérer les carcasses laissés par les bêtes noires.
L’aphasie l’avait alors pris pour Mari, notre Aurèle chéri.
- Waw…
Contrairement au conducteur, le passager n’avait pas réfréné l’expression de sa confusion. Que s’était-il passé durant leur excursion ? Ils étaient partis chasser les gouttes de pluie et la voiture avait percuté un camion durant le périple ? Les balles perdues avaient heurté la carrosserie, car durant la chasse, ils ne furent pas seuls, ces imbéciles ? Comment pouvait-on qualifier cela de petit accident ? Et, dans quelle circonstance, un accident deviendrait-il assez important ?
- Bah putain… T’as foutu quoi encore ? On m’a parlé d’un “petit” accident… Mais t’as vu ta face ? T’as vu la bagnole ?
Sans compter les blessures qui n’étaient pas visibles ? Et, ces iris glacés, jamais elles ne parleraient ?! L’insouciance réfutait ces insinuations. La colère s'immisçait grièvement dans les iris du grand garçon. Elle s’élevait en maîtresse. Face à ces reproches, l’apathie se dresse. Elle ne reculerait pas devant cette prouesse. Finalement, cet appel à l’aide, elle oppresse. On n’acceptait toujours pas cette détresse, traîtresse. Ces vestiges, ces deux amis n’auraient jamais dû les voir. Aurèle dévisageait celui qui n’avait toujours pas daigné répondre à ces futilités. Il faisait pourtant peine à voir, cet ami qu'il était venu récupérer.
- Mec… Bordel, qu’est-ce qu’il s’est passé ?!
La symphonie était toujours la même. Silencieuse et capricieuse, on ne daignait pas confier le moindre mot. L’aversion s’allie à l’affection. On aurait aimé entendre des explications mais la glace se terre dans sa glorieuse forteresse. Ce jeu, il faudra pourtant bien qu'il cesse.
- Répond putain, commence pas à casser les couilles.
L’éclat des reproches aggravait l’examen. Il était asphyxié par l’angoisse, ce bambin. Et sa seule répartie, face à l’apathie, c’était les injures. On attendait la vérité, on espérait qu’aucune parjure ne soit à rectifier. On aurait aimé savoir Qui et Pourquoi, en ces lieux, s’était tenue une drôle de fête.
- Des gars ont déboulé de nulle part, et nous ont suivi.
Bref résumé si peu exploité. On était concis dans les informations que l’on laissait. Mais on se nourrissait de ces brèves paroles lâchées.
- Putain. Ben ils vous ont pas loupé.
- Eh Aurèle, faut se dépêcher de la dégager d’ici… Mais tu penses qu’il pourra la réparer ?
Le second protecteur était resté discret jusqu’à maintenant. « Il ». Le garagiste ? Un dur labeur l’attendait… et Irvine en était conscient…
- Aucune idée. Si pas, y’en a un qui va se faire engueuler.
La danse du chiffre maudit avait repris, entraînant Lukas dans sa propre folie. Ce système tacite s’était exposé sur le gravier. Un serpent vicieux s’était subitement dévoilé. Enlaçant ses deux grands enfants qu’il méprisait ; c’était dans l’esprit de Lukas qu’il venait de se loger. L’ordre avait été dérangé, cette nuit. Ce n’était pas seulement sa vie que l’on avait misé. Et, ces dépenses causées seraient lourdement blâmées. Sur le tapis aux écailles vertes, il ne restait que deux jetons. Baigné dans les ombres de la nuit, il ne restait que ces deux rejetons. Et le serpent, il saurait s’en rappeler que la carrosserie avait été malmenée.
Infantilisante, l’expression choisie dévoilait une hiérarchie. Irvine risquait de se prendre un savon parce qu’un parent toxique aura jugé qu’il n’avait pas été assez bon. Et Dieu seul savait qu’il ne pourrait de toute évidence jamais se racheter avec un simple pardon. Ils prenaient encore plus sens, les mots que l’on avait lâché dans un couloir. « Tu comptes t’en sortir en implorant la pitié à chaque obstacle que tu rencontres? ». La pitié n'existait pas. Dans ce monde-là, c'était chacun pour soi. Le plus fort l'emportera et le plus faible périra.
- Putain, t’as dit à Gab’ que c’était un petit accident… J’me doutais que t’avais raconté de la merde, mais à ce point…
« Gab’ »
Un diminutif que l’on venait de livrer. Aurèle. Sofiane. Irvine. Et Gab, Gabe ? Gabin ? Gabrièle ?
- Heureusement que t’as pas pris la mienne.
La carte de la plaisanterie venait d’être méticuleusement posée sur le tapis. Insoutenable, l’ambiance avait besoin d’être réchauffée et Aurèle s’était momentanément transformé en clown pour la soirée. Heureusement, ton jouet, tu ne l'avais pas prêté. Sinon, des explications, toi aussi tu aurais dû en donner. Et ce père adoptif les aurait-elle acceptées ?
- Bon on va pas traîner, montez. Et toi, tu vas répondre aux questions dans la bagnole. Sydney ! On part !
Sydney. Aurèle. Irvine. Sofiane.
Les quatre prénoms tournaient en boucle dans un esprit persuadé d’ignorer l’existence de ce “Gab”. Était-ce l'inconnue, cette fleur qui ne s'était finalement pas montrée ?
La distance avait été réduite entre le véhicule et les protagonistes. Ces derniers avaient bravé bien des ennemis, dont le froid. Naturellement, lorsqu’ils montèrent à l’intérieur du véhicule, ce fut grâce au chauffage qu’ils parvinrent à réchauffer leurs doigts.
L'accalmie balayait les derniers nuages de pluie. Les Hyades n’avaient pas accompagné ces déserteurs vers la sortie. La célérité épousait le conducteur, qui, de nouveau, engageait ses chevaux sur les sentiers effacés.
Le paysage défilait dans le sens inverse de leur arrivée.
Enfin, le gamin pouvait se réchauffer. Son coude s'était appuyé sur le plastique de la portière et son menton s'était appuyé sur son poing fermé. Il semblait bien pensif, Lukas.
Dans la prunelle de ses yeux, la parure de Nyx se reflétait. Ses diamants ornaient la mer agitée. La lune quant à elle, discrètement, avait décidé de les protéger. Elle avait donc entrepris l'idée de suivre le véhicule élancé dans sa prochaine destinée. Le chemin, elle avait décidé de le montrer.
L'esprit fragilisé recherchait un sens à ce que les passagers avaient traversé. Le gamin errait dans les souvenirs de cette sinistre soirée, dans l'espoir de déceler un indice dans ce parchemin. Il ne pouvait s'empêcher de ressasser ce qu'il aurait pu perdre ; sans oublier que l'enfant à ses côtés, il aurait pu basculer de l'autre côté.
Les premières notes brisent la tranquillité dans laquelle le groupe était plongé. Triste est la mélodie que l'on souhaitait jouer.
- T’avais deux pneus crevés…
- Ah ?
On remerciait discrètement l’inspecteur Sydney. Mais si un seul pneu avait été crevé, jamais ils n’auraient fait appel à leurs services…
Les paupières étaient lourdes et la conduite bercé le gamin qui ne comptait pas s’endormir sur la route. Il devait à tout prix rester éveillé.
Les chimères, il préférait les ignorer.
Les goules, il serait préférable pour lui d'être éveillé si malencontreusement ils venaient à en recroiser.
Toutefois, ces discussions intimes, il s’en serait peut-être passé.
Finalement, il valait peut-être mieux qu’il rejoigne Morphée.
- Dépose-moi chez moi.
Chez lui ? Si il faisait mention de son appartement d’étudiant, c’était une aubaine.
- Chez toi? Genre, chez ta mère?
Le coeur se serre, l’appréhension enterre le petit garçon. Une étrange culpabilité vient submerger le petit poisson. Ce dernier se noie dans les abysses de l'océan. La peur s’entend, elle tremble à la place de l’enfant.
- Oui.
Tak.
La voix d’une femme de ménage s’élève dangereusement dans l’habitacle. Les notes inoubliables s’évadent et ces mélodies slaves s’installent. Les courbes s’entrelacent pour jouer ces sons délicats. Les quelques souvenirs de matinées enchantées sont ressassés. Mais la terreur, elle, n’est pas prête de s’arrêter.
Tak.
L’esprit vacille, dans quel bourbier le gamin s’était-il encore fourré ?
Tak.
Rien n’est facile. Irvine, pourras-tu l’accepter ?
Tak.
Gamin docile, il vaudrait mieux pour toi que jamais il ne vienne à la découvrir, cette autre réalité.
Un rire s’échappe tandis qu’un soupire s’évade maladroitement.
- Ben ouais, bien sûr. Et tu penses qu’elle va réagir comment ? T’as vu ta gueule? Ton état ? Je ramène personne nul part, c’est direction le lo-
- Aurèle.
Le Loat ? Le logement ?
Le « lo- » avait apparemment suscité une réaction démesurée.
Et ces oreilles importunes que l’on laissait traîner, elles n’avaient pas à écouter.
On devinait le regard brillant d’admonestation. Aurèle venait apparemment de dévoiler par cette simple consonne et cette pauvre voyelle un secret classé confidentiel. Mais il n’en resterait pas là…
De mère, chaque Homme en a une…
- Aurèle il est sérieux. Je rêve, il veut rentrer chez lui. L’autre il a du sang plein la face mais il veut rentrer chez lui. Et s’il te voit, il va dire quoi le p’tit ? Hein, t’y as pensé ?
Mais de petit frère ? Ou d’enfant ? Bien qu’Irvine et Angèle ne paraissaient pas être parents. Tu divagues, Lukas. Et ces conversations, elles ne te concernaient pas. Ok, pour ta défense, ces mots, tu ne pouvais pas faire autrement que de les écouter…
Malgré toi, on formulait des particularités d’existences qui depuis leurs arrivées t'incombaient.
Un énième protagoniste au surnom de Gab. Une hiérarchie dont Irvine faisait partie. Un garagiste privé qui aurait le loisir d’intervenir. Une mère et maintenant un fils qui était sûrement ton frère…
- Non non, toi tu vas aller lui raconter ton “petit” accident,
- Je respire encore, non ? Alors c’est bon, tout va bien.
L’absurdité à son apogée ? Où diantre les prodiges de l’enfant Roi s’arrêteraient ?
C’était de la Mort dont tu te moquais. Comment pouvait-il être aussi insensible face à celle qui l'avait frôlée ? Comment pouvait-il rire en sa présence ?
Tout n’allait pas bien, non. Cet esprit était forcément tourmenté.
Elle est belle l’impertinence, elle détonne l’imprudence. Et elle n’est pas dupe l’empathie domptée. Cette colère, Irvine, elle n’était pas là d’ordinaire... Et énervé, tu l'étais, du moins, tu en as l'air…
- Tu vas voir quand tu respireras plus si tu vas faire le malin comme ça.
- C’est sûr, je serais plus là pour ça.
Insolente répartie, ne pense pas un seul instant d’être immortel, petit.
La mort emportera toutes les personnes réunies dans cette scène, c'était ce qui était prédit. Toi, comme tes amis, disparaîtraient un jour de cette terre, c'était écrit. L'existence humaine est éphémère, toi aussi, tu finiras un jour six pieds sous terre.
Écoute ce nouveau né, la mort, un jour ou l'autre, l’emportera. C'est sa destinée, tu verras. Seuls les écrits permettent de ne pas les oublier, Achille l'avait compris et avait sacrifié sa vie pour une glorieuse renommée. Toi, après ton passage sur terre, seras-tu toujours autant persuadé d'avoir eu raison de tout sacrifier pour ces chimères ?
Peux-tu feindre éternellement qu'aucune peur ne te saisisse ? Lorsque tu penses à cette mort, que tu considères comme complice. Cette ombre fidèle et discrète t’invite à danser avec elle dans les ténèbres, elle te rappelle sans cesse ta fragilité. N'était-ce pas là un supplice ?
Elle est gravée dans la roche.
Certains Hommes l'ont inscrite à la craie, seuls dans l'obscurité.
D'autres l'ont chantée et contée dans de nombreuses contrées. Des oreilles attentives l'ont écoutée au coin d'un comptoir.
Écrite à la main, elle a été déchiffrée des siècles plus tard.
Pour que jamais elle ne sombre dans l'oubli, leur Histoire.
Mais tôt ou tard, la Mort viendra aussi mettre un terme à ce récit.
Après tout, depuis la nuit des temps, c’était ainsi.
- Mec, il est hors de question que je dise à ta daronne que son fils s’est fait descendre.
Si Clément est le Temps des mystères,
Le Cyrillique dessine un prénom dans l'air.
Et nous reconnaissons, malgré nous, cette mère,
En désespoir de cause, ce temps sera éphémère.
Qu'adviendra-t-il de nous lorsque le seigneur découvrira cette ère ?
- Putain, sérieux Irvine, il s’est passé quoi ? Et ils étaient combien ?
- Sept.
- Contre deux. Bordel, vous étiez que deux. Et encore, l’autre, il était même pas armé. Et eux, ils l’étaient ?
- Oui.
Les noirceurs se dessinaient. Le tableau blanc, on le noircissait. Ils étaient sept. Sept contre un. De ce combat, il n’en avait jamais fait partie le gamin. Alors, si les monstres l’avaient souhaité, c’était dans les bras de la faucheuse qu’ils les auraient jetés. Mais ce ne fut pas le cas. Et derrière leur passage restait cet infernal Pourquoi.
- On les connaît?
- Non.
- Non ? Genre… Genre pas du tout ?
Ces autres chiffres entretenant une liaison avec ces lettres réapparaissaient. Deux plaques d'immatriculation précieusement gardées. Lukas, tu as peut-être eu raison de les mémoriser. Mais, le moment opportun pour les partager n'était pas encore arrivé. Ces symboles mathématiques et alphabétiques n'avaient encore aucune identité à confier.
- Jamais vu.
- Ben apparemment, eux si. Putain. T’sais quoi ? C’est un miracle que tu sois pas crevé aujourd’hui. Entre c’t’aprèm et ce soir là… Va falloir que tu t’calmes, j’ai juré que j’ai la flemme de t’enterrer.
Et Lukas avait juré que lui aussi avait la flemme de continuer. Ces exploits prodigieux et cette journée interminable qu’ils avaient traversée ensemble, il était prêt, lui aussi, à s’en passer. À deux reprises des armes les avaient visé. Mais si les premières goules s’étaient montrées inoffensives, ce ne fut pas le cas des derniers carnassiers. Les charognes se nourrissaient des fracas de l’âme face au pouvoir de destruction. La violence dévastatrice aurait pu être leur terminaison.
- Si on retrouve pas mon corps ça risque d’être compliqué.
Dans cette sombre réponse, l’apathie évoque ce cri.
Si on ne retrouve pas ton corps, ce serait une tragédie.
Les mots lourds de sens sont pourtant lâchés sans la moindre pitié.
La mort à portée, elle, elle rit à tes côtés.
- Mais ta gueule putain.
La lumière s’estompe.
Et dans un rire effroyable, le silence retombe.
Vous vous moquez d'elle, mais ce n’est pas ainsi que vous parviendrez à devenir immortel.
Vous la tournez en dérision, insouciants, vous croyez échapper à son joug. Mais, à rire ainsi, le mauvais sort pourrait bien s’acharner contre vous.
Les bouches des Dieux sont scellées, vous ignorez encore de quoi demain sera fait.
Prenez donc garde ; vous pourriez bien servir vos ennemis, tout compte fait.
- T’as oublié de tourner.
- Quoi ?
- C’était à droite.
Irvine n’avait pas été bavard. Ses paroles, il les retenait et ne les donnait jamais par hasard.
Son grand ami avait pris place entre les deux rescapés et ne s’était toujours pas en aller. Doux silence que rien n'effraie.
Malgré l’arrivée surexcitée de leur sauveuse, il restait religieux.
Même face à l’apparition providentielle qui progressivement devenait satanique, Irvine restait muet et consciencieux. Mais, il y avait clairement quelque chose de maléfique dans cette entrée. Et une prière ou deux auraient pu faire reculer les démons qui poursuivaient la douce fleur sur le point d'éclore. À moins que le mal ne soit déjà fait et qu'Hanaé ne se soit transformé en griffe du diable ? La puissance donnée à cette lancée était épouvantable. Était-elle venue pour les sauver ou sceller leur sort ?
La lumière dérange les deux êtres habitués aux noirceurs. Les ténèbres avaient fui face à la bête déchaînée qui approchait.
Les phares éclairaient le chemin, elle progressait à vive allure la main tendue vers les condamnés. Elle s'approchait dangereusement vers les deux ombres des gamins. Si l'une était restée assise, l'autre, ce fut par orgueil qu'elle s'était relevée ; pour saluer plus dignement la libératrice de leur attente.
L’énergie utilisée se déversait dans cet endroit jusqu'alors inanimé. Ces affres qui avaient poussé les âmes à s’aventurer dans ces contrées, il était nécessaire de les abandonner.
La stupeur enlace le garçon. Hanaé, le frein, il faudrait penser à l’actionner !
Dans un geste instinctif, le gamin s’était relevé. Par soucis de ne pas finir en bouillie, il avait préféré se préparer à toute éventualité.
Fort heureusement, le vacarme des pneus avait confessé l’arrêt brutal du vaisseau.
Et, c’était par réflexe que les lueurs éclatantes disparaissaient derrière une main tachée d’encre.
Quelle ne fut pas la surprise de cette découverte. Des traits d'une finesse inattendue se dessinaient ; c'était Aurèle qui se révélait. Les sonorités de la voix masculine le confirmaient, Lukas ne rêvait pas, c’était Aurèle qui était venu les chercher.
L’homme épris par l’inquiétude n’avait pas attendu d’être descendu du véhicule pour exposer ses émois.
Et elles explosaient de véracité ces paroles que l’on lâchait à l’intéressé.
- Franchement, t’avais le droit d’être plus précis, hein.
La précision aurait été néfaste. Cette doctrine était nécessaire. C’était les confidences par téléphone qui étaient délétères et fantasques.
Les affres de l’ignorance avaient condamné ce coeur à déverser ses frayeurs, tandis que la fierté avait invité le corps à ne pas se laisser submerger. Il fallait rester droit devant ce tableau que l’on osait toujours pas admirer. Il n’avait toujours pas daigné les regarder, ces victimes d’Esa. Et alors que la valse des reproches s’éternisait, on remarqua la présence du passager qui depuis le début était là.
- J’veux bien croire que les tels, c’est chaud, mais vas-y, comment j’te retrouve avec le peu d’info que tu donnes… puis l’autre là, il m’a fait flipper sa mère, j’attendais per-
Le silence venait de retomber attisant un air effaré sur ce visage princier. Oh, si le message codé avait été limpide, qu’aurais-tu gagné ? Sur cet accélérateur, tu te serais précipité ; dans les virages de la mort, tu te serais certainement jeté. L’imagination aurait cédée aux caprices des démons affamés. Ils auraient glissé des idioties dans cet esprit déjà bien assez affolé. Dans ce fouilli organisé, les décisions sensées auraient été décimées au profit d’actes irréfléchis et désaxés. Quels avantages en auraient été tirés, si ce n’est, aucun ?
L’individu avait mis un instant à digérer les carcasses laissés par les bêtes noires.
L’aphasie l’avait alors pris pour Mari, notre Aurèle chéri.
- Waw…
Contrairement au conducteur, le passager n’avait pas réfréné l’expression de sa confusion. Que s’était-il passé durant leur excursion ? Ils étaient partis chasser les gouttes de pluie et la voiture avait percuté un camion durant le périple ? Les balles perdues avaient heurté la carrosserie, car durant la chasse, ils ne furent pas seuls, ces imbéciles ? Comment pouvait-on qualifier cela de petit accident ? Et, dans quelle circonstance, un accident deviendrait-il assez important ?
- Bah putain… T’as foutu quoi encore ? On m’a parlé d’un “petit” accident… Mais t’as vu ta face ? T’as vu la bagnole ?
Sans compter les blessures qui n’étaient pas visibles ? Et, ces iris glacés, jamais elles ne parleraient ?! L’insouciance réfutait ces insinuations. La colère s'immisçait grièvement dans les iris du grand garçon. Elle s’élevait en maîtresse. Face à ces reproches, l’apathie se dresse. Elle ne reculerait pas devant cette prouesse. Finalement, cet appel à l’aide, elle oppresse. On n’acceptait toujours pas cette détresse, traîtresse. Ces vestiges, ces deux amis n’auraient jamais dû les voir. Aurèle dévisageait celui qui n’avait toujours pas daigné répondre à ces futilités. Il faisait pourtant peine à voir, cet ami qu'il était venu récupérer.
- Mec… Bordel, qu’est-ce qu’il s’est passé ?!
La symphonie était toujours la même. Silencieuse et capricieuse, on ne daignait pas confier le moindre mot. L’aversion s’allie à l’affection. On aurait aimé entendre des explications mais la glace se terre dans sa glorieuse forteresse. Ce jeu, il faudra pourtant bien qu'il cesse.
- Répond putain, commence pas à casser les couilles.
L’éclat des reproches aggravait l’examen. Il était asphyxié par l’angoisse, ce bambin. Et sa seule répartie, face à l’apathie, c’était les injures. On attendait la vérité, on espérait qu’aucune parjure ne soit à rectifier. On aurait aimé savoir Qui et Pourquoi, en ces lieux, s’était tenue une drôle de fête.
- Des gars ont déboulé de nulle part, et nous ont suivi.
Bref résumé si peu exploité. On était concis dans les informations que l’on laissait. Mais on se nourrissait de ces brèves paroles lâchées.
- Putain. Ben ils vous ont pas loupé.
- Eh Aurèle, faut se dépêcher de la dégager d’ici… Mais tu penses qu’il pourra la réparer ?
Le second protecteur était resté discret jusqu’à maintenant. « Il ». Le garagiste ? Un dur labeur l’attendait… et Irvine en était conscient…
- Aucune idée. Si pas, y’en a un qui va se faire engueuler.
La danse du chiffre maudit avait repris, entraînant Lukas dans sa propre folie. Ce système tacite s’était exposé sur le gravier. Un serpent vicieux s’était subitement dévoilé. Enlaçant ses deux grands enfants qu’il méprisait ; c’était dans l’esprit de Lukas qu’il venait de se loger. L’ordre avait été dérangé, cette nuit. Ce n’était pas seulement sa vie que l’on avait misé. Et, ces dépenses causées seraient lourdement blâmées. Sur le tapis aux écailles vertes, il ne restait que deux jetons. Baigné dans les ombres de la nuit, il ne restait que ces deux rejetons. Et le serpent, il saurait s’en rappeler que la carrosserie avait été malmenée.
Infantilisante, l’expression choisie dévoilait une hiérarchie. Irvine risquait de se prendre un savon parce qu’un parent toxique aura jugé qu’il n’avait pas été assez bon. Et Dieu seul savait qu’il ne pourrait de toute évidence jamais se racheter avec un simple pardon. Ils prenaient encore plus sens, les mots que l’on avait lâché dans un couloir. « Tu comptes t’en sortir en implorant la pitié à chaque obstacle que tu rencontres? ». La pitié n'existait pas. Dans ce monde-là, c'était chacun pour soi. Le plus fort l'emportera et le plus faible périra.
- Putain, t’as dit à Gab’ que c’était un petit accident… J’me doutais que t’avais raconté de la merde, mais à ce point…
« Gab’ »
Un diminutif que l’on venait de livrer. Aurèle. Sofiane. Irvine. Et Gab, Gabe ? Gabin ? Gabrièle ?
- Heureusement que t’as pas pris la mienne.
La carte de la plaisanterie venait d’être méticuleusement posée sur le tapis. Insoutenable, l’ambiance avait besoin d’être réchauffée et Aurèle s’était momentanément transformé en clown pour la soirée. Heureusement, ton jouet, tu ne l'avais pas prêté. Sinon, des explications, toi aussi tu aurais dû en donner. Et ce père adoptif les aurait-elle acceptées ?
- Bon on va pas traîner, montez. Et toi, tu vas répondre aux questions dans la bagnole. Sydney ! On part !
Sydney. Aurèle. Irvine. Sofiane.
Les quatre prénoms tournaient en boucle dans un esprit persuadé d’ignorer l’existence de ce “Gab”. Était-ce l'inconnue, cette fleur qui ne s'était finalement pas montrée ?
La distance avait été réduite entre le véhicule et les protagonistes. Ces derniers avaient bravé bien des ennemis, dont le froid. Naturellement, lorsqu’ils montèrent à l’intérieur du véhicule, ce fut grâce au chauffage qu’ils parvinrent à réchauffer leurs doigts.
L'accalmie balayait les derniers nuages de pluie. Les Hyades n’avaient pas accompagné ces déserteurs vers la sortie. La célérité épousait le conducteur, qui, de nouveau, engageait ses chevaux sur les sentiers effacés.
Le paysage défilait dans le sens inverse de leur arrivée.
Enfin, le gamin pouvait se réchauffer. Son coude s'était appuyé sur le plastique de la portière et son menton s'était appuyé sur son poing fermé. Il semblait bien pensif, Lukas.
Dans la prunelle de ses yeux, la parure de Nyx se reflétait. Ses diamants ornaient la mer agitée. La lune quant à elle, discrètement, avait décidé de les protéger. Elle avait donc entrepris l'idée de suivre le véhicule élancé dans sa prochaine destinée. Le chemin, elle avait décidé de le montrer.
L'esprit fragilisé recherchait un sens à ce que les passagers avaient traversé. Le gamin errait dans les souvenirs de cette sinistre soirée, dans l'espoir de déceler un indice dans ce parchemin. Il ne pouvait s'empêcher de ressasser ce qu'il aurait pu perdre ; sans oublier que l'enfant à ses côtés, il aurait pu basculer de l'autre côté.
Les premières notes brisent la tranquillité dans laquelle le groupe était plongé. Triste est la mélodie que l'on souhaitait jouer.
- T’avais deux pneus crevés…
- Ah ?
On remerciait discrètement l’inspecteur Sydney. Mais si un seul pneu avait été crevé, jamais ils n’auraient fait appel à leurs services…
Les paupières étaient lourdes et la conduite bercé le gamin qui ne comptait pas s’endormir sur la route. Il devait à tout prix rester éveillé.
Les chimères, il préférait les ignorer.
Les goules, il serait préférable pour lui d'être éveillé si malencontreusement ils venaient à en recroiser.
Toutefois, ces discussions intimes, il s’en serait peut-être passé.
Finalement, il valait peut-être mieux qu’il rejoigne Morphée.
- Dépose-moi chez moi.
Chez lui ? Si il faisait mention de son appartement d’étudiant, c’était une aubaine.
- Chez toi? Genre, chez ta mère?
Le coeur se serre, l’appréhension enterre le petit garçon. Une étrange culpabilité vient submerger le petit poisson. Ce dernier se noie dans les abysses de l'océan. La peur s’entend, elle tremble à la place de l’enfant.
- Oui.
Tak.
La voix d’une femme de ménage s’élève dangereusement dans l’habitacle. Les notes inoubliables s’évadent et ces mélodies slaves s’installent. Les courbes s’entrelacent pour jouer ces sons délicats. Les quelques souvenirs de matinées enchantées sont ressassés. Mais la terreur, elle, n’est pas prête de s’arrêter.
Tak.
L’esprit vacille, dans quel bourbier le gamin s’était-il encore fourré ?
Tak.
Rien n’est facile. Irvine, pourras-tu l’accepter ?
Tak.
Gamin docile, il vaudrait mieux pour toi que jamais il ne vienne à la découvrir, cette autre réalité.
Un rire s’échappe tandis qu’un soupire s’évade maladroitement.
- Ben ouais, bien sûr. Et tu penses qu’elle va réagir comment ? T’as vu ta gueule? Ton état ? Je ramène personne nul part, c’est direction le lo-
- Aurèle.
Le Loat ? Le logement ?
Le « lo- » avait apparemment suscité une réaction démesurée.
Et ces oreilles importunes que l’on laissait traîner, elles n’avaient pas à écouter.
On devinait le regard brillant d’admonestation. Aurèle venait apparemment de dévoiler par cette simple consonne et cette pauvre voyelle un secret classé confidentiel. Mais il n’en resterait pas là…
De mère, chaque Homme en a une…
- Aurèle il est sérieux. Je rêve, il veut rentrer chez lui. L’autre il a du sang plein la face mais il veut rentrer chez lui. Et s’il te voit, il va dire quoi le p’tit ? Hein, t’y as pensé ?
Mais de petit frère ? Ou d’enfant ? Bien qu’Irvine et Angèle ne paraissaient pas être parents. Tu divagues, Lukas. Et ces conversations, elles ne te concernaient pas. Ok, pour ta défense, ces mots, tu ne pouvais pas faire autrement que de les écouter…
Malgré toi, on formulait des particularités d’existences qui depuis leurs arrivées t'incombaient.
Un énième protagoniste au surnom de Gab. Une hiérarchie dont Irvine faisait partie. Un garagiste privé qui aurait le loisir d’intervenir. Une mère et maintenant un fils qui était sûrement ton frère…
- Non non, toi tu vas aller lui raconter ton “petit” accident,
- Je respire encore, non ? Alors c’est bon, tout va bien.
L’absurdité à son apogée ? Où diantre les prodiges de l’enfant Roi s’arrêteraient ?
C’était de la Mort dont tu te moquais. Comment pouvait-il être aussi insensible face à celle qui l'avait frôlée ? Comment pouvait-il rire en sa présence ?
Tout n’allait pas bien, non. Cet esprit était forcément tourmenté.
Elle est belle l’impertinence, elle détonne l’imprudence. Et elle n’est pas dupe l’empathie domptée. Cette colère, Irvine, elle n’était pas là d’ordinaire... Et énervé, tu l'étais, du moins, tu en as l'air…
- Tu vas voir quand tu respireras plus si tu vas faire le malin comme ça.
- C’est sûr, je serais plus là pour ça.
Insolente répartie, ne pense pas un seul instant d’être immortel, petit.
La mort emportera toutes les personnes réunies dans cette scène, c'était ce qui était prédit. Toi, comme tes amis, disparaîtraient un jour de cette terre, c'était écrit. L'existence humaine est éphémère, toi aussi, tu finiras un jour six pieds sous terre.
Écoute ce nouveau né, la mort, un jour ou l'autre, l’emportera. C'est sa destinée, tu verras. Seuls les écrits permettent de ne pas les oublier, Achille l'avait compris et avait sacrifié sa vie pour une glorieuse renommée. Toi, après ton passage sur terre, seras-tu toujours autant persuadé d'avoir eu raison de tout sacrifier pour ces chimères ?
Peux-tu feindre éternellement qu'aucune peur ne te saisisse ? Lorsque tu penses à cette mort, que tu considères comme complice. Cette ombre fidèle et discrète t’invite à danser avec elle dans les ténèbres, elle te rappelle sans cesse ta fragilité. N'était-ce pas là un supplice ?
Elle est gravée dans la roche.
Certains Hommes l'ont inscrite à la craie, seuls dans l'obscurité.
D'autres l'ont chantée et contée dans de nombreuses contrées. Des oreilles attentives l'ont écoutée au coin d'un comptoir.
Écrite à la main, elle a été déchiffrée des siècles plus tard.
Pour que jamais elle ne sombre dans l'oubli, leur Histoire.
Mais tôt ou tard, la Mort viendra aussi mettre un terme à ce récit.
Après tout, depuis la nuit des temps, c’était ainsi.
- Mec, il est hors de question que je dise à ta daronne que son fils s’est fait descendre.
Si Clément est le Temps des mystères,
Le Cyrillique dessine un prénom dans l'air.
Et nous reconnaissons, malgré nous, cette mère,
En désespoir de cause, ce temps sera éphémère.
Qu'adviendra-t-il de nous lorsque le seigneur découvrira cette ère ?
- Putain, sérieux Irvine, il s’est passé quoi ? Et ils étaient combien ?
- Sept.
- Contre deux. Bordel, vous étiez que deux. Et encore, l’autre, il était même pas armé. Et eux, ils l’étaient ?
- Oui.
Les noirceurs se dessinaient. Le tableau blanc, on le noircissait. Ils étaient sept. Sept contre un. De ce combat, il n’en avait jamais fait partie le gamin. Alors, si les monstres l’avaient souhaité, c’était dans les bras de la faucheuse qu’ils les auraient jetés. Mais ce ne fut pas le cas. Et derrière leur passage restait cet infernal Pourquoi.
- On les connaît?
- Non.
- Non ? Genre… Genre pas du tout ?
Ces autres chiffres entretenant une liaison avec ces lettres réapparaissaient. Deux plaques d'immatriculation précieusement gardées. Lukas, tu as peut-être eu raison de les mémoriser. Mais, le moment opportun pour les partager n'était pas encore arrivé. Ces symboles mathématiques et alphabétiques n'avaient encore aucune identité à confier.
- Jamais vu.
- Ben apparemment, eux si. Putain. T’sais quoi ? C’est un miracle que tu sois pas crevé aujourd’hui. Entre c’t’aprèm et ce soir là… Va falloir que tu t’calmes, j’ai juré que j’ai la flemme de t’enterrer.
Et Lukas avait juré que lui aussi avait la flemme de continuer. Ces exploits prodigieux et cette journée interminable qu’ils avaient traversée ensemble, il était prêt, lui aussi, à s’en passer. À deux reprises des armes les avaient visé. Mais si les premières goules s’étaient montrées inoffensives, ce ne fut pas le cas des derniers carnassiers. Les charognes se nourrissaient des fracas de l’âme face au pouvoir de destruction. La violence dévastatrice aurait pu être leur terminaison.
- Si on retrouve pas mon corps ça risque d’être compliqué.
Dans cette sombre réponse, l’apathie évoque ce cri.
Si on ne retrouve pas ton corps, ce serait une tragédie.
Les mots lourds de sens sont pourtant lâchés sans la moindre pitié.
La mort à portée, elle, elle rit à tes côtés.
- Mais ta gueule putain.
La lumière s’estompe.
Et dans un rire effroyable, le silence retombe.
Vous vous moquez d'elle, mais ce n’est pas ainsi que vous parviendrez à devenir immortel.
Vous la tournez en dérision, insouciants, vous croyez échapper à son joug. Mais, à rire ainsi, le mauvais sort pourrait bien s’acharner contre vous.
Les bouches des Dieux sont scellées, vous ignorez encore de quoi demain sera fait.
Prenez donc garde ; vous pourriez bien servir vos ennemis, tout compte fait.
- T’as oublié de tourner.
- Quoi ?
- C’était à droite.
à 18:07 le 15/11/2023
[ J'espère que j'ai pas fait n'importe quoiiiiiiiiiiiiii ]
Cette altercation aura laissé un sinistre bazar…
Et, il était déjà trop tard pour se sortir de ces affreux déboires.
Dans un monde où la gloire ne serait pas au centre de l’histoire,
Dans un monde où les oppresseurs ne seraient pas les entrepreneurs ;
Oui, dans cet autre monde, ces deux enfants n’auraient jamais croisé ces chiffres imaginaires, ce soir.
Dans un autre conte, ces deux enfants n’auraient jamais été les spectateurs de cette terreur notoire…
Nous interrompons déjà votre lecture pour rappeler à notre aimable clientèle les conditions de paiement engendrées par ces travaux furtifs et non exhaustifs.
D'ailleurs, les billets maculés de poudre d’or qui dorment dans ces poches seront bientôt repris par votre généreux « employeur ». Un acompte de cinquante pourcent est effectivement requis dès la signature du devis.
Et, à priori, ce seront vos billets tachés de pourpre qui permettront de réparer cet incident. Vous remarquerez que, de toute évidence, il s'agit du meilleur compromis.
Nous reprenons. Le solde suivant devra être réglé à la fin des travaux. Les réparations comprennent évidemment les coûts liés à la main-d’œuvre. Ce devis est valable jusqu’au vingt Novembre.
N'hésitez pas à nous contacter pour toute question complémentaire ou pour planifier la réalisation des réparations liées à votre véhicule de fonction.
Vous trouverez en pièce-jointe la liste des travaux qui devront être réalisés sur votre Mercedes.
Et les dieux savaient, ô combien elle était longue cette liste...
Ces zéros qui se pressent avec éhonté aux côtés de ce sept.
Sept mille euros hors taxes. La voilà, l’estimation approximative des dégâts de cette chasse. La voilà, cette éhontée facture révélatrice de la valeur de cette casse.
Qui viendra signer ce devis pour ensuite se défaire de cette dette ? Qui participera au remboursement de la fête ? Qui réparera cette parjure ? Sûrement pas ces sept cavaliers qui avaient disparu dans les pénombres de la nuit. Personne ne savait où ils étaient partis ; d’ailleurs, initialement tout le monde ignorait Pourquoi ils étaient venus ici.
Oh oui ! Pourquoi ces fantômes accompagnés d’une atmosphère de démonie s'étaient-ils retrouvés là ?
Vous auriez raison, chère lectrice, de noter que le devis n'inclut pas la peinture du véhicule. Et ces traumatismes inconscients qui sont nés au crépuscule, on les jugule aussi.
Damnées sont les âmes que l’on avait laissées sur le pavé.
Tourmentés étaient ces êtres qui ne se reposaient jamais.
Malchanceux et fatigués étaient ces garçons dont les sorts communs s’acharnaient.
Lukas avait momentanément pris sa retraite, le temps d’analyser toutes les alternatives. Mais, rien ne faisait apparaître Le Plan Glorieux. Rien. Certes, il existait quelques plans miteux, mais ils n'étaient pas suffisamment convaincants pour le petit garçon, alors, imaginez pour le plus grand…
Au milieu de cette fièvre démentielle, il fallait pourtant trouver une solution. Ils étaient l’un et l’autre pressés de retourner à la maison, loin de ce sentiment de déréliction.
Il fallait redoubler d’efforts, réfléchir rapidement.
Le plus grand avait alors suivi la voie de la déraison et s’était subitement mis en mouvement avec obstination. Le plus jeune, quant à lui, s’était attardé distraitement sur les agissements du plus âgé. Ce dernier côtoyait un instant la pire des menteuses. Elpis souriait bêtement en présentant ses idées douteuses. Il ne fallait cependant pas l’écouter, le pire n’avait pas eu lieu. Vouliez-vous vraiment tenter le diable et vous en remettre aux cieux ? Le comble serait surtout que, grâce à Elpis, le dénouement finisse dans un fossé.
Les conséquences étaient pénibles à assumer, mais, ils ne repartiront pas comme ils étaient arrivés. L’engin motorisé était impossible à réparer ; dans l’immédiat, le seul moyen de retourner en ville, c’était à pied. Et ça, ils le comprenaient.
Les options de retour étaient maigres. Et, peut-être que ce dernier voyage confirmait ses craintes. Il n’y aurait pas d’autres retour en arrière.
Touché. Coulé. Le navire s’était égaré, il fallait l'accepter.
Touché. Coulé. Et voilà que, sans le savoir, ce moussaillon s’abandonnait dans les bras d’un équipage caché.
Alors oui, les prénoms s’entremêlaient ; mais, dans cette funeste destinée, ces proches, on ne voulait pas les entraîner. Ces jeux, auxquels ils avaient déjà participé dans une jeunesse passée, il était hors de question de les relancer.
Les Dieux avaient jeté leur dévolu sur lui. Ce serait donc seul qu’il affronterait ces morbides péripéties. Prisonnier de chaînes invisibles, il devenait compliqué pour l’étudiant de voir l'étendue des possibles. Possibilités, d’ailleurs, qu’il se refusait de saisir.
Ahmed et Karim ? Hors de question de les prévenir. Ils auraient des interrogations terribles. L’hostilité imprononçable noierait les anciens réchappés dans des nouvelles quêtes auxquelles ils n’avaient pas à participer. Ils se poseraient également la question fatidique « Pourquoi ». Pourquoi le véhicule était dans un tel état ? Et ces balles Qui les avaient perdues ? Qui avaient combattu ?
L’océan ravagé par la perte de l’espérance observait le manège qui reprenait. Le pèlerinage de la prudence avait cessé, l’antipode de la prévoyance avait débuté. Irvine avait disparu dans l’enceinte du véhicule accidenté pour partir à la recherche d’un trésor caché.
Le gamin, lui, ne bougea toujours pas. Abandonné dans ses tracas, c’était surtout qu’il profitait de ce court repos, Lukas.
Cette trêve accordée par l’évasion du corps froid, on venait de la saisir avec célérité.
La main s’était crispée sur les côtes abîmées par ces furies enragées. L’omniprésence de la douleur endêvait l’enfant prisonnier de ce corps capricieux. Épisodiquement, les respirations évoquaient ces coups que l’on avait encaissés grâce aux cieux.
Certaines inspirations réclamaient ces forces que l'on pensait insoupçonnées. Ce n'était pas simplement cette soirée qui revenait le hanter, c'était aussi l’épisode, dans ce réfectoire, qu'il se rejouait. Le propriétaire du téléphone maudit avait causé des supplices, avec lesquels, il était difficile de jongler. En s’asseyant sur le parterre de gravillons, une douleur aiguë s’était propagée dans le bas du dos. Vive et diffuse, elle s’était retirée par miracle assez tôt. Néanmoins, il persistait cet étrange fardeau, le gamin avait malencontreusement contrarié le mauvais oiseau. Le coup bas qui avait suivi valait, encore ce soir, un combat.
Cet esprit fatigué ne parviendrait pas à participer à cette étrange manigance que l’on avait commencé. La découverte du Graal s'effectuera sans ce protagoniste, car, ce dernier, c'était sur le sol froid qu'il était coincé.
Drôle est l'Histoire qui se perpétue. Les ennemis changent mais la finalité reste la même. Nous retrouvions toujours le gamin, assis par terre, au milieu de la scène.
Inchangée, elle se répétait, cette affreuse perversité. L'innocence subira continuellement les rancœurs de l'adversité.
Elle se résumait presque à cette phrase, cette fatalité : Lukas subissait des maux et finissait à terre, tout simplement parce que la plume du destin le plaçait au mauvais endroit, au mauvais moment ; et le pire, c'est qu'Esa en était fière.
Harassé par la journée, les iris éreintés avaient suivi le retour du Roi. Le lustre d’argent positionné dans le ciel éclaira le précieux élément. La Lune ne garda pas pour elle l’objet que Sa Majesté avait récolté. Douce lumière qui éclaire et dévoile le téléphone qu’il tenait dans sa main. Absurde fut le butin. Étrange était l’esprit du malin. Ce téléphone, était-ce le sien ? Irvine n’avait pas réellement mis de moyen dans son cellulaire. Il roulait dans une voiture de luxe mais riche, il en avait seulement l’air ? Aucune coque ne permettait de protéger l'engin ? Les artifices disparaissaient avec l’avancée du doute progressif. Lukas restait dubitatif concernant cet usage exclusif. Irvine n’avait certainement pas accès à internet avec ce dinosaure ; était-il vraiment citoyen des cités d’or ?
De prime abord, sa recherche attentive laissait supposer qu’il recherchait une information dans le portable d’Adam. Si cela s’avérait être une information capitale, comment se faisait-il qu’elle n’était pas stockée dans l’autre portable ?
Lukas ? On ne te dérange pas ?
Les suppositions que l’on émet, c’était pour soi qu’on les garderait. Et l’océan bleuté s’était détourné des manigances du premier. Sa curiosité finirait par le perdre, il le savait. Mais, ce défaut surpassait sa volonté. Et de toute évidence, le naturel, encore une fois, revenait.
Baignés dans la lumière du ciel, les iris s'étaient posés sur les diamants qui scintillaient. Le vent avait chassé les nuages. Le souffle des dieux avaient convié les Hyades à pleurer dans d'autres cieux. Cronos avait été invité à déverser ses remords dans d’autres lieux.
La lune avait donc profité de cette opportunité pour dévoiler les secrets que Nyx ne pourrait garder.
- Eh.
L'apostrophe venait d'ouvrir la parenthèse. Le regard bleuté s'était déplacé sur le potentiel présentateur d’une thèse.
La fatigue traversait ces billes noyées sous l’émoi de l’instant.
On patientait dans ces habituelles secondes, la virgule se retirait doucement pour laisser place à un point. Et, l’incompréhension inonde pour céder le passage à ce silence, devenu bénin.
Elpis aide le à sortir de ces abysses...
Pourquoi diantre durait-il ce stoïcisme ?
Le mécréant était-il exempt de toute bienveillance ? Dans ce monde, aux spectres vaniteux, devait-il rester seul accompagné de cette fichue espérance revenue parmi eux ?
Elle est terrible cette énième attente ; Irvine ne l’écourtait pas. Sûrement que le grand garçon avait ravalé ces modestes mots qui n'avaient pas lieu d'être prononcés. Sûrement qu’aucun laïus n’avait besoin d’être proclamé.
Mais pourquoi avoir intercepté son attention si ce n’était pour daigner parler ?
Les billes bleutés essayaient de démêler sur ce visage gravé dans la glace une once d'indice, aussi infime soit-elle.
- Ça va le faire.
Une moue avait animé le visage du gamin. Ce rictus affirmait qu’il était peu convaincu par les paroles de l'autre individu ? Ou n’était-ce là que les traits de l'asthénie ?
Irvine, la vérité, c’est que toi-même tu n’y croyais pas ?
- Inch’allah.
Éreinté, il avait abandonné l'idée de retenir ces mots qui rapportaient le fond de ses pensées. En réalité, il n'y avait aucune offense dans ce qu'il venait de prononcer.
Le ton monotone et détaché explosait simplement de gravité. On s’en remettait à un Dieu, un Dieu qui n’était même pas le sien. Il n'y avait là aucune moquerie, aucune rancœur dans cette réponse. Lukas avait laissé ces barrières de la bienséance s'effondrer. Ils n’étaient pas amis, ils n’étaient pas non plus ennemis, alors, à quoi bon tendre vers cette courtoisie exacerbée ?
Il avait lâché le masque grotesque d'enfant modèle qui préférait se taire pour ne pas offenser. À quoi bon rester prisonnier de l’ineffabilité ? Ce jeu d’acteur où il se retenait de communiquer, il l’avait laissé pour d’autres comédies, celles où il serait moins concerné.
Alors, oui, Inch'allah. Si Dieu veut, Irvine, il t'entendra.
« Ça va le faire. »
Incorrigible. La phrase était si tangible... De ces futurs desseins, tu n'en connaissais rien.
Le fondement de cette phrase terrasse. C'était la énième fois que tu lui confiais que tout irait bien. Et, dans cette escalade de mensonge, il assistait avec impuissance à votre chute mutuelle où les dieux restaient tenaces. Les heures emmenaient avec elle des scénarios allant de pire en pire.
La glace impitoyable avait déployé ses ailes pour abriter l'enfant désorienté. Ce monde, ce n'était pas le sien. Ces événements, jamais il n'aurait dû en être la victime, ce gamin.
Et, finalement, l'histoire reprend ; ou plutôt, elle commence. Elle se répand sur le sol, emportant les ombres du bitume dans une étrange transe. L'encre s'éprend d'amour pour le gravier et cette histoire irréaliste, on essayait vainement de la déchiffrer.
- Ouais, c’est moi. [...]
Aucune identité n’était dévoilée, à l’autre bout du téléphone, on devait savoir à qui le numéro appartenait. À ce jeu, on devait être habitué. Sinon, par quel miracle l’interlocuteur aurait-il répondu aussi aisément à cette information futilement donnée ?
- Pas encore, je vais avoir besoin de toi… [...]
Qui était donc ce destinataire ? Lukas n’en avait pas la moindre idée. Il espérait simplement qu’il s’agisse des alliés qu’ils avaient quittés. Car, dans cette triste traversée, il aurait été préférable pour tout le monde qu’aucun nouveau tiers ne soit convié.
- Non, t’inquiète. Rien de bien grave, juste un petit accident. [...]
Un petit accident qui aurait pu arracher la vie de ces deux enfants.
On minimisait les faits dans le but de ne pas affoler.
Mais la présentation avait vraisemblablement retenu l’attention puisqu’on réitéra la banalisation.
- Non je te dis, c’est pas grave. [...]
Rien de gravissime, c’était subjectif. Après tout, tout aurait pu finir.
La fragilité des fils en témoignait, ces vies, elles auraient pu être effacées.
Un claquement de doigt aurait pu suffir pour que ces deux corps ne soient jamais retrouvés.
Un rush fatal et le film aurait pu être misérablement coupé.
- Mais non… [...]
Sed non. Némésis.
Les actes, les paroles étaient pesés.
Mais la balance, elle, penchait toujours du mauvais côté.
Oh déesse, dans ta grande bontée, tu l’avais averti, cet effronté.
Cet enfant jouait dans la cour des grands.
Son insolence, c’était les dieux qu’elle défiait.
Son orgueil, c’était toi, qu’elle humiliait.
Tu es l’ultime juge des dieux et ton jugement risquait bien de le condamner.
- Justement, ils sont déjà chez l’autre, là… [...]
Ils étaient partis chez l’hôte de la lucidité.
Oui, ces esprits viciés, ils avaient été emmenés par ces soldats de l’ombre dans un endroit tenu secret.
- Non, on les a perdu de vue. [...] Je sais, mais là, j’ai pas d’autres moyens… [...] Je sais, je sais, surtout que tu devais pas venir à la soirée. [...] J’ai essayé mais, ils ont plus de batterie je crois. [...]
Il ne devait pas venir à la soirée ? De quelle soirée parlait-il ? De celles où ils avaient réchappés ? Cette soirée où tout aurait pu s’effondrer ? Celle où, ni l’un, ni l’autre, n’avait eu l’envie d’être convié ? Ces messages étaient codés. Un code indéchiffrable hormis pour les intéressés.
Et, cette histoire de batterie, elle n'avait pas non plus de sens pour l’étranger.
Lukas, il serait urgent pour toi de choisir la prudence.
- T’es où, toi ? [...] Tu te promènes ? Le soir ? Ouais, bon tu peux pas quoi… [...] Tu peux toujours tester ouais, mais… [...] Hein ? Hanaé ?
Hanaé ? Qui était cette femme mentionnée dans cette étrange discussion ? Hanaé, la fleur délicate viendrait-elle les défendre face aux Dieux ? Viendra-t-elle en tant qu’avocate ? La jurisprudence sera-t-elle magnanime ? Hanaé, viendrais-tu les sauver ou, au contraire, les anathématiser ? D’ailleurs, pourquoi n'était-ce pas l'angélique Angèle que l'on avait appelé ?
- Elle est avec eux ?
Avec eux ? Avec qui ?
Avec les dieux ? Les furies ?
L’arrivée de cette jeune femme changerait-elle la donne ? Les cartes seraient-elles rebattues pour permettre aux voyageurs de rentrer chez eux en temps voulu ? Les dés permettraient-ils d'avancer jusqu'à la case finale ? Le plateau serait-il retourné pour éviter l'échec et mat ?
- Ok bon… [...] Ouais, demande-lui. [...] Attend. Elle a une voiture ?
Et un permis ? Dans les virages de la nuit, il serait préférable d’avoir les deux. Les procédures pouvaient prendre des tournants redoutables et apporter d’autres soucis. Des contrôles incontrôlables pouvaient avoir lieu à l’entrée de la ville ; oh oui, il valait mieux l’avoir ce permis. C’était une heure propice où d’autres chevaliers, ceux de Marianne, pouvaient patienter des heures dans l’optique de piéger les ennemis de la Justice. Oui, ce soir, il vaudrait mieux l’éviter, la police.
- Là où Naïm s’est cassé la gueule. [...] T’inquiètes, elle devrait comprendre.
Naïm ? Anagramme subtil. Maïn. La main ? La main du Roi ? Game of Thrones ? Le conseiller, le bras droit du Roi des Sept Couronnes ? Ironie du message qui détonne. Et, tandis que l’esprit s’était focalisé sur ce réel, on avait perdu le fil de la conversation. Sept. Ce chiffre revenait sans cesse…
Alors, c’était ainsi qu’ils devaient expier leurs péchés ? En frôlant la mort dont ils avaient malencontreusement suscité l’intérêt ? Les Sept péchés avaient été enfreints et le remboursement des dégâts s'effectuerait dans l'effroi ?
Était-ce pour cette raison que la température avait chuté de manière brutale ?
La colère des dieux et le vent semblaient s'unir contre les désespérés.
En guise de châtiment, ils attendraient dans ce froid automnale qu’Hanaé vienne les chercher ?
Les frissons avaient pris en otage le petit garçon…
Les Hyades avaient taris leurs pleurs mais les habits restaient trempés.
La fraîcheur de l’obscurité commençait à sévir les pauvres blâmés.
C’était donc là une énième punition, quelle triste réalité.
« Ouais, à plus. »
Les rideaux tombent et le mystère reste entier.
L’encre se disperse et disparaît sans qu’aucune information ne soit confiée.
On ignorait tout des machinations que le grand garçon venait d’enclencher.
De ces plans, on resterait ignorant.
Le téléphone avait été manipulé pour la dernière fois. Jamais plus il ne servirait.
L’objet damné avait ensuite été oublié sur la plage arrière du véhicule accidenté.
Irvine, savais-tu qu’aucune précaution ne suffira ?
Si tel est ton destin, un jour, ton règne s’éteindra.
L’océan s’était percuté à la glace inchangée. L’objet de technologie avait été troqué par un autre poison.
Dans une chorégraphie organisée, le rescapé était déjà revenu au milieu de la dite fête. Aucune musique ne s'élevait, le silence s’établissait en maître. Les invités se comptaient sur deux doigts. Et morose, l'ambiance ne décollait pas.
Dans son immense bonté, Irvine partagea ce laïus à Lukas.
- Va falloir attendre encore un peu.
Les sauveteurs ne viendraient pas en un claquement de doigts. C’était prévisible, en soit.
Lukas avait brièvement hoché la tête en guise d'approbation. Il comprenait, c'était relativement compliqué d'arriver rapidement en ces lieux, de toute façon…
Mais, l’espace temps viendrait tôt ou tard s'effondrer et les délivrer de cette attente
Le paquet de cigarette venait d'apparaître généreusement dans son champ de vision. La mer s’était perdue sur le rivage de la témérité. Le sujet de charité avait été saisi entre des doigts dessinés.
- Merci…
Et l’un des poisons avait été extrait pour finir entre deux lèvres fermées.
Ces paquets coûtaient une fortune et c’était la deuxième cigarette qu’il grillait.
L’addiction était la pire des aversions. Mais dans l’immédiat c’était le seul lot de consolation.
Les yeux bleus s’étaient glissés sur celui qui restait imperturbable. Comment pouvait-on être aussi impassible après ces heures sombres ? C'était impensable.
Sous l’égide de la folie, il restait insensible à ces sinistres théories.
Mais dans cet esprit, l’indifférence n’était-elle pas rancie ?
Dansant entre ces fantômes, Hypnos invitait le petit garçon à rejoindre son royaume. Mais ces fils de Nyx l’avait contrarié ; ces rêves grandioses, le gamin, voulait-il vraiment les partager ?
-*--*--*--*--*--*--*--*--*--*--*--*--*--*--*--*--*--*--*--*--*--*-
Cette altercation aura laissé un sinistre bazar…
Et, il était déjà trop tard pour se sortir de ces affreux déboires.
Dans un monde où la gloire ne serait pas au centre de l’histoire,
Dans un monde où les oppresseurs ne seraient pas les entrepreneurs ;
Oui, dans cet autre monde, ces deux enfants n’auraient jamais croisé ces chiffres imaginaires, ce soir.
Dans un autre conte, ces deux enfants n’auraient jamais été les spectateurs de cette terreur notoire…
Nous interrompons déjà votre lecture pour rappeler à notre aimable clientèle les conditions de paiement engendrées par ces travaux furtifs et non exhaustifs.
D'ailleurs, les billets maculés de poudre d’or qui dorment dans ces poches seront bientôt repris par votre généreux « employeur ». Un acompte de cinquante pourcent est effectivement requis dès la signature du devis.
Et, à priori, ce seront vos billets tachés de pourpre qui permettront de réparer cet incident. Vous remarquerez que, de toute évidence, il s'agit du meilleur compromis.
Nous reprenons. Le solde suivant devra être réglé à la fin des travaux. Les réparations comprennent évidemment les coûts liés à la main-d’œuvre. Ce devis est valable jusqu’au vingt Novembre.
N'hésitez pas à nous contacter pour toute question complémentaire ou pour planifier la réalisation des réparations liées à votre véhicule de fonction.
Vous trouverez en pièce-jointe la liste des travaux qui devront être réalisés sur votre Mercedes.
Et les dieux savaient, ô combien elle était longue cette liste...
Ces zéros qui se pressent avec éhonté aux côtés de ce sept.
Sept mille euros hors taxes. La voilà, l’estimation approximative des dégâts de cette chasse. La voilà, cette éhontée facture révélatrice de la valeur de cette casse.
Qui viendra signer ce devis pour ensuite se défaire de cette dette ? Qui participera au remboursement de la fête ? Qui réparera cette parjure ? Sûrement pas ces sept cavaliers qui avaient disparu dans les pénombres de la nuit. Personne ne savait où ils étaient partis ; d’ailleurs, initialement tout le monde ignorait Pourquoi ils étaient venus ici.
Oh oui ! Pourquoi ces fantômes accompagnés d’une atmosphère de démonie s'étaient-ils retrouvés là ?
Vous auriez raison, chère lectrice, de noter que le devis n'inclut pas la peinture du véhicule. Et ces traumatismes inconscients qui sont nés au crépuscule, on les jugule aussi.
Damnées sont les âmes que l’on avait laissées sur le pavé.
Tourmentés étaient ces êtres qui ne se reposaient jamais.
Malchanceux et fatigués étaient ces garçons dont les sorts communs s’acharnaient.
Lukas avait momentanément pris sa retraite, le temps d’analyser toutes les alternatives. Mais, rien ne faisait apparaître Le Plan Glorieux. Rien. Certes, il existait quelques plans miteux, mais ils n'étaient pas suffisamment convaincants pour le petit garçon, alors, imaginez pour le plus grand…
Au milieu de cette fièvre démentielle, il fallait pourtant trouver une solution. Ils étaient l’un et l’autre pressés de retourner à la maison, loin de ce sentiment de déréliction.
Il fallait redoubler d’efforts, réfléchir rapidement.
Le plus grand avait alors suivi la voie de la déraison et s’était subitement mis en mouvement avec obstination. Le plus jeune, quant à lui, s’était attardé distraitement sur les agissements du plus âgé. Ce dernier côtoyait un instant la pire des menteuses. Elpis souriait bêtement en présentant ses idées douteuses. Il ne fallait cependant pas l’écouter, le pire n’avait pas eu lieu. Vouliez-vous vraiment tenter le diable et vous en remettre aux cieux ? Le comble serait surtout que, grâce à Elpis, le dénouement finisse dans un fossé.
Les conséquences étaient pénibles à assumer, mais, ils ne repartiront pas comme ils étaient arrivés. L’engin motorisé était impossible à réparer ; dans l’immédiat, le seul moyen de retourner en ville, c’était à pied. Et ça, ils le comprenaient.
Les options de retour étaient maigres. Et, peut-être que ce dernier voyage confirmait ses craintes. Il n’y aurait pas d’autres retour en arrière.
Touché. Coulé. Le navire s’était égaré, il fallait l'accepter.
Touché. Coulé. Et voilà que, sans le savoir, ce moussaillon s’abandonnait dans les bras d’un équipage caché.
Alors oui, les prénoms s’entremêlaient ; mais, dans cette funeste destinée, ces proches, on ne voulait pas les entraîner. Ces jeux, auxquels ils avaient déjà participé dans une jeunesse passée, il était hors de question de les relancer.
Les Dieux avaient jeté leur dévolu sur lui. Ce serait donc seul qu’il affronterait ces morbides péripéties. Prisonnier de chaînes invisibles, il devenait compliqué pour l’étudiant de voir l'étendue des possibles. Possibilités, d’ailleurs, qu’il se refusait de saisir.
Ahmed et Karim ? Hors de question de les prévenir. Ils auraient des interrogations terribles. L’hostilité imprononçable noierait les anciens réchappés dans des nouvelles quêtes auxquelles ils n’avaient pas à participer. Ils se poseraient également la question fatidique « Pourquoi ». Pourquoi le véhicule était dans un tel état ? Et ces balles Qui les avaient perdues ? Qui avaient combattu ?
L’océan ravagé par la perte de l’espérance observait le manège qui reprenait. Le pèlerinage de la prudence avait cessé, l’antipode de la prévoyance avait débuté. Irvine avait disparu dans l’enceinte du véhicule accidenté pour partir à la recherche d’un trésor caché.
Le gamin, lui, ne bougea toujours pas. Abandonné dans ses tracas, c’était surtout qu’il profitait de ce court repos, Lukas.
Cette trêve accordée par l’évasion du corps froid, on venait de la saisir avec célérité.
La main s’était crispée sur les côtes abîmées par ces furies enragées. L’omniprésence de la douleur endêvait l’enfant prisonnier de ce corps capricieux. Épisodiquement, les respirations évoquaient ces coups que l’on avait encaissés grâce aux cieux.
Certaines inspirations réclamaient ces forces que l'on pensait insoupçonnées. Ce n'était pas simplement cette soirée qui revenait le hanter, c'était aussi l’épisode, dans ce réfectoire, qu'il se rejouait. Le propriétaire du téléphone maudit avait causé des supplices, avec lesquels, il était difficile de jongler. En s’asseyant sur le parterre de gravillons, une douleur aiguë s’était propagée dans le bas du dos. Vive et diffuse, elle s’était retirée par miracle assez tôt. Néanmoins, il persistait cet étrange fardeau, le gamin avait malencontreusement contrarié le mauvais oiseau. Le coup bas qui avait suivi valait, encore ce soir, un combat.
Cet esprit fatigué ne parviendrait pas à participer à cette étrange manigance que l’on avait commencé. La découverte du Graal s'effectuera sans ce protagoniste, car, ce dernier, c'était sur le sol froid qu'il était coincé.
Drôle est l'Histoire qui se perpétue. Les ennemis changent mais la finalité reste la même. Nous retrouvions toujours le gamin, assis par terre, au milieu de la scène.
Inchangée, elle se répétait, cette affreuse perversité. L'innocence subira continuellement les rancœurs de l'adversité.
Elle se résumait presque à cette phrase, cette fatalité : Lukas subissait des maux et finissait à terre, tout simplement parce que la plume du destin le plaçait au mauvais endroit, au mauvais moment ; et le pire, c'est qu'Esa en était fière.
Harassé par la journée, les iris éreintés avaient suivi le retour du Roi. Le lustre d’argent positionné dans le ciel éclaira le précieux élément. La Lune ne garda pas pour elle l’objet que Sa Majesté avait récolté. Douce lumière qui éclaire et dévoile le téléphone qu’il tenait dans sa main. Absurde fut le butin. Étrange était l’esprit du malin. Ce téléphone, était-ce le sien ? Irvine n’avait pas réellement mis de moyen dans son cellulaire. Il roulait dans une voiture de luxe mais riche, il en avait seulement l’air ? Aucune coque ne permettait de protéger l'engin ? Les artifices disparaissaient avec l’avancée du doute progressif. Lukas restait dubitatif concernant cet usage exclusif. Irvine n’avait certainement pas accès à internet avec ce dinosaure ; était-il vraiment citoyen des cités d’or ?
De prime abord, sa recherche attentive laissait supposer qu’il recherchait une information dans le portable d’Adam. Si cela s’avérait être une information capitale, comment se faisait-il qu’elle n’était pas stockée dans l’autre portable ?
Lukas ? On ne te dérange pas ?
Les suppositions que l’on émet, c’était pour soi qu’on les garderait. Et l’océan bleuté s’était détourné des manigances du premier. Sa curiosité finirait par le perdre, il le savait. Mais, ce défaut surpassait sa volonté. Et de toute évidence, le naturel, encore une fois, revenait.
Baignés dans la lumière du ciel, les iris s'étaient posés sur les diamants qui scintillaient. Le vent avait chassé les nuages. Le souffle des dieux avaient convié les Hyades à pleurer dans d'autres cieux. Cronos avait été invité à déverser ses remords dans d’autres lieux.
La lune avait donc profité de cette opportunité pour dévoiler les secrets que Nyx ne pourrait garder.
- Eh.
L'apostrophe venait d'ouvrir la parenthèse. Le regard bleuté s'était déplacé sur le potentiel présentateur d’une thèse.
La fatigue traversait ces billes noyées sous l’émoi de l’instant.
On patientait dans ces habituelles secondes, la virgule se retirait doucement pour laisser place à un point. Et, l’incompréhension inonde pour céder le passage à ce silence, devenu bénin.
Elpis aide le à sortir de ces abysses...
Pourquoi diantre durait-il ce stoïcisme ?
Le mécréant était-il exempt de toute bienveillance ? Dans ce monde, aux spectres vaniteux, devait-il rester seul accompagné de cette fichue espérance revenue parmi eux ?
Elle est terrible cette énième attente ; Irvine ne l’écourtait pas. Sûrement que le grand garçon avait ravalé ces modestes mots qui n'avaient pas lieu d'être prononcés. Sûrement qu’aucun laïus n’avait besoin d’être proclamé.
Mais pourquoi avoir intercepté son attention si ce n’était pour daigner parler ?
Les billes bleutés essayaient de démêler sur ce visage gravé dans la glace une once d'indice, aussi infime soit-elle.
- Ça va le faire.
Une moue avait animé le visage du gamin. Ce rictus affirmait qu’il était peu convaincu par les paroles de l'autre individu ? Ou n’était-ce là que les traits de l'asthénie ?
Irvine, la vérité, c’est que toi-même tu n’y croyais pas ?
- Inch’allah.
Éreinté, il avait abandonné l'idée de retenir ces mots qui rapportaient le fond de ses pensées. En réalité, il n'y avait aucune offense dans ce qu'il venait de prononcer.
Le ton monotone et détaché explosait simplement de gravité. On s’en remettait à un Dieu, un Dieu qui n’était même pas le sien. Il n'y avait là aucune moquerie, aucune rancœur dans cette réponse. Lukas avait laissé ces barrières de la bienséance s'effondrer. Ils n’étaient pas amis, ils n’étaient pas non plus ennemis, alors, à quoi bon tendre vers cette courtoisie exacerbée ?
Il avait lâché le masque grotesque d'enfant modèle qui préférait se taire pour ne pas offenser. À quoi bon rester prisonnier de l’ineffabilité ? Ce jeu d’acteur où il se retenait de communiquer, il l’avait laissé pour d’autres comédies, celles où il serait moins concerné.
Alors, oui, Inch'allah. Si Dieu veut, Irvine, il t'entendra.
« Ça va le faire. »
Incorrigible. La phrase était si tangible... De ces futurs desseins, tu n'en connaissais rien.
Le fondement de cette phrase terrasse. C'était la énième fois que tu lui confiais que tout irait bien. Et, dans cette escalade de mensonge, il assistait avec impuissance à votre chute mutuelle où les dieux restaient tenaces. Les heures emmenaient avec elle des scénarios allant de pire en pire.
La glace impitoyable avait déployé ses ailes pour abriter l'enfant désorienté. Ce monde, ce n'était pas le sien. Ces événements, jamais il n'aurait dû en être la victime, ce gamin.
Et, finalement, l'histoire reprend ; ou plutôt, elle commence. Elle se répand sur le sol, emportant les ombres du bitume dans une étrange transe. L'encre s'éprend d'amour pour le gravier et cette histoire irréaliste, on essayait vainement de la déchiffrer.
- Ouais, c’est moi. [...]
Aucune identité n’était dévoilée, à l’autre bout du téléphone, on devait savoir à qui le numéro appartenait. À ce jeu, on devait être habitué. Sinon, par quel miracle l’interlocuteur aurait-il répondu aussi aisément à cette information futilement donnée ?
- Pas encore, je vais avoir besoin de toi… [...]
Qui était donc ce destinataire ? Lukas n’en avait pas la moindre idée. Il espérait simplement qu’il s’agisse des alliés qu’ils avaient quittés. Car, dans cette triste traversée, il aurait été préférable pour tout le monde qu’aucun nouveau tiers ne soit convié.
- Non, t’inquiète. Rien de bien grave, juste un petit accident. [...]
Un petit accident qui aurait pu arracher la vie de ces deux enfants.
On minimisait les faits dans le but de ne pas affoler.
Mais la présentation avait vraisemblablement retenu l’attention puisqu’on réitéra la banalisation.
- Non je te dis, c’est pas grave. [...]
Rien de gravissime, c’était subjectif. Après tout, tout aurait pu finir.
La fragilité des fils en témoignait, ces vies, elles auraient pu être effacées.
Un claquement de doigt aurait pu suffir pour que ces deux corps ne soient jamais retrouvés.
Un rush fatal et le film aurait pu être misérablement coupé.
- Mais non… [...]
Sed non. Némésis.
Les actes, les paroles étaient pesés.
Mais la balance, elle, penchait toujours du mauvais côté.
Oh déesse, dans ta grande bontée, tu l’avais averti, cet effronté.
Cet enfant jouait dans la cour des grands.
Son insolence, c’était les dieux qu’elle défiait.
Son orgueil, c’était toi, qu’elle humiliait.
Tu es l’ultime juge des dieux et ton jugement risquait bien de le condamner.
- Justement, ils sont déjà chez l’autre, là… [...]
Ils étaient partis chez l’hôte de la lucidité.
Oui, ces esprits viciés, ils avaient été emmenés par ces soldats de l’ombre dans un endroit tenu secret.
- Non, on les a perdu de vue. [...] Je sais, mais là, j’ai pas d’autres moyens… [...] Je sais, je sais, surtout que tu devais pas venir à la soirée. [...] J’ai essayé mais, ils ont plus de batterie je crois. [...]
Il ne devait pas venir à la soirée ? De quelle soirée parlait-il ? De celles où ils avaient réchappés ? Cette soirée où tout aurait pu s’effondrer ? Celle où, ni l’un, ni l’autre, n’avait eu l’envie d’être convié ? Ces messages étaient codés. Un code indéchiffrable hormis pour les intéressés.
Et, cette histoire de batterie, elle n'avait pas non plus de sens pour l’étranger.
Lukas, il serait urgent pour toi de choisir la prudence.
- T’es où, toi ? [...] Tu te promènes ? Le soir ? Ouais, bon tu peux pas quoi… [...] Tu peux toujours tester ouais, mais… [...] Hein ? Hanaé ?
Hanaé ? Qui était cette femme mentionnée dans cette étrange discussion ? Hanaé, la fleur délicate viendrait-elle les défendre face aux Dieux ? Viendra-t-elle en tant qu’avocate ? La jurisprudence sera-t-elle magnanime ? Hanaé, viendrais-tu les sauver ou, au contraire, les anathématiser ? D’ailleurs, pourquoi n'était-ce pas l'angélique Angèle que l'on avait appelé ?
- Elle est avec eux ?
Avec eux ? Avec qui ?
Avec les dieux ? Les furies ?
L’arrivée de cette jeune femme changerait-elle la donne ? Les cartes seraient-elles rebattues pour permettre aux voyageurs de rentrer chez eux en temps voulu ? Les dés permettraient-ils d'avancer jusqu'à la case finale ? Le plateau serait-il retourné pour éviter l'échec et mat ?
- Ok bon… [...] Ouais, demande-lui. [...] Attend. Elle a une voiture ?
Et un permis ? Dans les virages de la nuit, il serait préférable d’avoir les deux. Les procédures pouvaient prendre des tournants redoutables et apporter d’autres soucis. Des contrôles incontrôlables pouvaient avoir lieu à l’entrée de la ville ; oh oui, il valait mieux l’avoir ce permis. C’était une heure propice où d’autres chevaliers, ceux de Marianne, pouvaient patienter des heures dans l’optique de piéger les ennemis de la Justice. Oui, ce soir, il vaudrait mieux l’éviter, la police.
- Là où Naïm s’est cassé la gueule. [...] T’inquiètes, elle devrait comprendre.
Naïm ? Anagramme subtil. Maïn. La main ? La main du Roi ? Game of Thrones ? Le conseiller, le bras droit du Roi des Sept Couronnes ? Ironie du message qui détonne. Et, tandis que l’esprit s’était focalisé sur ce réel, on avait perdu le fil de la conversation. Sept. Ce chiffre revenait sans cesse…
Alors, c’était ainsi qu’ils devaient expier leurs péchés ? En frôlant la mort dont ils avaient malencontreusement suscité l’intérêt ? Les Sept péchés avaient été enfreints et le remboursement des dégâts s'effectuerait dans l'effroi ?
Était-ce pour cette raison que la température avait chuté de manière brutale ?
La colère des dieux et le vent semblaient s'unir contre les désespérés.
En guise de châtiment, ils attendraient dans ce froid automnale qu’Hanaé vienne les chercher ?
Les frissons avaient pris en otage le petit garçon…
Les Hyades avaient taris leurs pleurs mais les habits restaient trempés.
La fraîcheur de l’obscurité commençait à sévir les pauvres blâmés.
C’était donc là une énième punition, quelle triste réalité.
« Ouais, à plus. »
Les rideaux tombent et le mystère reste entier.
L’encre se disperse et disparaît sans qu’aucune information ne soit confiée.
On ignorait tout des machinations que le grand garçon venait d’enclencher.
De ces plans, on resterait ignorant.
Le téléphone avait été manipulé pour la dernière fois. Jamais plus il ne servirait.
L’objet damné avait ensuite été oublié sur la plage arrière du véhicule accidenté.
Irvine, savais-tu qu’aucune précaution ne suffira ?
Si tel est ton destin, un jour, ton règne s’éteindra.
L’océan s’était percuté à la glace inchangée. L’objet de technologie avait été troqué par un autre poison.
Dans une chorégraphie organisée, le rescapé était déjà revenu au milieu de la dite fête. Aucune musique ne s'élevait, le silence s’établissait en maître. Les invités se comptaient sur deux doigts. Et morose, l'ambiance ne décollait pas.
Dans son immense bonté, Irvine partagea ce laïus à Lukas.
- Va falloir attendre encore un peu.
Les sauveteurs ne viendraient pas en un claquement de doigts. C’était prévisible, en soit.
Lukas avait brièvement hoché la tête en guise d'approbation. Il comprenait, c'était relativement compliqué d'arriver rapidement en ces lieux, de toute façon…
Mais, l’espace temps viendrait tôt ou tard s'effondrer et les délivrer de cette attente
Le paquet de cigarette venait d'apparaître généreusement dans son champ de vision. La mer s’était perdue sur le rivage de la témérité. Le sujet de charité avait été saisi entre des doigts dessinés.
- Merci…
Et l’un des poisons avait été extrait pour finir entre deux lèvres fermées.
Ces paquets coûtaient une fortune et c’était la deuxième cigarette qu’il grillait.
L’addiction était la pire des aversions. Mais dans l’immédiat c’était le seul lot de consolation.
Les yeux bleus s’étaient glissés sur celui qui restait imperturbable. Comment pouvait-on être aussi impassible après ces heures sombres ? C'était impensable.
Sous l’égide de la folie, il restait insensible à ces sinistres théories.
Mais dans cet esprit, l’indifférence n’était-elle pas rancie ?
Dansant entre ces fantômes, Hypnos invitait le petit garçon à rejoindre son royaume. Mais ces fils de Nyx l’avait contrarié ; ces rêves grandioses, le gamin, voulait-il vraiment les partager ?
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à 18:07 le 15/11/2023
“Tu ferais mieux de faire gaffe avec qui tu joues” et la phrase, comme un éclat, résonne dans l’esprit. Un souvenir qu’on ne saurait oublier, ces mots adroitement alignés, ils étaient la clef d’une tragédie inexpliquée. Les voiles posés par la sagesse de la nuit avaient dissimulé les motivations enlacées par la débauche. Un secret que les étoiles gardent dans leurs clarté, douces traîtresses, il ne fallait pas compter sur elles pour lever ce drap brodé de mirages. Une vérité piégée dans les ombres du vice, l’infamie l’a scellée, et c’était dans l’obscurité qu’il fallait progresser. Ces nouveaux enfants que Nyx avait porté dans les bassesses sur lesquelles elle régnait, il fallait trouver de quels maux leur fièvre était née. Fils de l’infortune de Moros, ils étaient ces soldats envoyés pour faire tomber sur quelques âmes isolées, le trophée des batailles qu’elles avaient vilement mené. Elles qui avaient voulu se jeter dans le gouffre de l’immoralité, il aurait fallu se préparer à affronter les guerres que les tares d’une humanité malade avaient provoqué. Ces jeux malheureux, celui qui jusque-là s’était inscrit en maître, il pourrait bien se retrouver au milieu de quelques échecs malencontreux… Contre les plus pernicieux, qu’il était difficile de triompher. Brûlant pour frôler les splendeurs du triomphe, les fratries qui s’affrontent, elles sont prêtes à tout, peu importe si pour cela, on en viendrait à se détruire. Les camps sont dénués de pitié, et seule la magnificence de son clan suffit à motiver les pires atrocités. Un groupe soudé, face à l’adversité, c’est autour de cette organisation que les règles du jeu avaient été édictées. Pourtant, Dieu sait que cette solidarité, elle n’a de stabilité que dans les illusions de ce que l’on savait dépeindre. Au coeur d’une famille, les membres se haïssent. La peur serre le coeur, celui qui commence à monter dans les rangs, il était la proie de la même avidité. Et si, alors, le plus haut voulait garder sa place tant méritée, celle pour laquelle il se persuadait d’être férocement envié, cette rivalité, il devait l’éteindre. Oh, ces jeux, ils étaient cruels. Infâme réalité, pourtant bien réelle, c’est avec la défiance qu’il fallait danser, c’est avec méfiance qu’il était sage d’avancer. Les alliés, peut-être n’étaient-ils des amis que d’un temps, qui tôt ou tard, dévoilerait une nature redoutée. Elle explose, la réalité, il n’y avait dans les bassesses de ce monde, pas une âme rongée par le vice à qui on pouvait se fier. Le plateau réuni des joueurs que le prestige affame, que la puissance a, depuis longtemps, déraisonné, et l’esprit, il sombre dans les illusions qu’il s’est lui-même forgé. À cette table, Irvine, il fallait faire à ceux que tu prenais comme allié. La menace résonne, cette nuit, on avait souhaité que tes ambitions, tu prennes la peine de bien y réfléchir… Oui, les messagers de la fatalité avaient été envoyés pour te prévenir : la partie, tu finirais par ne pas réussir à l’achever.
- Nan.
Et le premier véritable mensonge, c’est sans honte qu’on venait de froidement le lâcher. Les iris baignés de cruauté, ils étalaient une assurance presque démesurée. Oh, malgré tout ce qu’il venait d’endurer, il restait fier, ce corps éternellement maîtrisé. L’auditoire, c’est sans aucun doute qu’il savait le persuader. Une confiance qui enveloppe l’impassibilité, une rudesse qui caresse une allure aux airs de puissance… Et l’autorité, elle explose dans les caresses de la conviction. Il aurait été aisé de se laisser tenter par les mirages qu’une mer, dans son indolence, inonde sur les âmes charmées par ces beautés. Oh, mais l’innocence, savait-on la tromper ? Cet esprit que la faiblesse semble ronger, était-il aussi bête qu’on aurait pu le penser ? Ces douceurs qui savent observer, cette âme qui ne laisse jamais rien s’échapper, peut-être que cette étonnante candeur, elle était la plus difficile à duper.
- Tu mens.
- Même pas.
- Arrête, d’où on fait tout ce cirque pour au final, rien te dire ?
Il n’avait pas tout à fait tort, l’enfant. Mais ce cas de figure, il n’était pas non plus noyé d’impossibilité. Et les griffes d’une asphyxiante froideur arrachent ces nuages qui opposaient leur défiance. Le vide qui dansait dans ces cruels joyaux, il était enivrant. La clarté éclate, et dans leur profondeur, il n’y a rien à attraper. Un vertige qui entête, cette vaste mer il n’y a plus rien à y chercher. Délaissée de toute vigueur, dans ses méandres, il n’y a plus un fragment de vitalité. Oh, on aurait beau plonger, cette surface cristalline, elle dévoilait les ruines d’un désert en plein hiver. Qu’il abandonne, le ciel inquiet, car ces flots inertes, il ne parviendrait pas à les agiter. Face à l’intense clarté, il fallait se résigner. Ces eaux miroitant l’insensibilité, elle étouffait celui qui s’en approchait. Dominant terres et hauteurs célestes, elle était seule à pouvoir gagner.
- Une menace, sûrement.
- Mouais.
Il devait se faire une raison, le garçon. Il n’aurait pas plus d’information, et peut-être qu’ainsi, on tenterait de l’en persuader, ce mensonge, il n’était en fait qu’une vérité qu’on ne savait accepter. Et le plus grand, évidemment que cet énième jeu, il l’avait emporté. Inégalé, le Roi s’évertue dans les batailles qu’il pouvait encore triompher. L’amertume d’une chute, lentement commencée, alors c’est ailleurs que l’on préserve une hégémonie qu’on ne peut voir briser. Mais Irvine, les raisons des illusions qu’il faisait valser, ça n’était très certainement pas les ombres d’un ego fragilisé qui les enveloppait. Elle ne tenait pas qu’aux futilités de la défaite d’une nuit, cette fierté. Ces enfantillages, il fallait les laisser à ceux qui se laissaient bercer dans les illusions de leur esprit, cette déraison qui leur chuchotait à quel point leur personne était vouée au plus beau. Que le lit dans lequel elles devaient, chaque nuit, se coucher, avait été bordé par le triomphe. Perdues dans leur suffisance, la réalité d’une faiblesse ignorée préjudiciait à ces âmes enivrées par les murmures de leur ego. Celui qui se persuadait de mériter une place tout en haut. Non, éloignée des puérilités que les éclats de la gloire avaient attirées, la froideur, c’était pour une toute autre raison qu’elle s’alliait avec le mensonge.
- Nan mais jure, ils ont rien dit ?
À l’interpellation de Sydney, la tête s’était relevée sur le rythme d’un flegme presque insolent. Un mouvement pour exprimer la négation, et le débat, c’était ici qu’on l’achevait. La réponse finale devait être inscrite dans les esprits, les démons des bassesses de cette vie, c’était dans le silence qu'ils s’étaient évanouis. Et sur cette ultime solution, un infime silence s’était imposé dans ces locaux où la vie florissait. Un petit monde abattu par la gravité des faits, mais tous le savait, il était inutile de s'apitoyer. Alors que le temps continuait de s’écouler, alors que Chronos achevait le circuit de sa fuite, le joueur, son coup, il venait de l’achever. Une partie qui continue, mais le prochain tour, il fallait le rattraper. Et ce dé qu’on avait laissé au milieu d’un plateau que le vice, au fil des jours, avait noirci, qui devait le lancer ? Une chance abandonnée, tant pis. Puisque les règles, on se persuadait qu’on s’en était honteusement émancipé, l’ordre, on s’affairerait à l’ignorer. Stratégies vilement établies, tout était bon pour faire tomber un adversaire trop proche des splendeurs de la victoire… Manoeuvre risquée, car si le rival visé avait jusque-là devancé ces jeux teintés de fatalité, peut-être que sa bassesse était pire que la leur… Et son pouvoir, plus infâme encore que ces déboires. Le premier est devancé, mais cette distance, valait-il mieux la savourer, car le maître d’une partie jusque-là, dominée, oh, il ne laisserait pas les ombres d’une funeste défaite le rattraper.
- Sérieusement… Tu crains.
Les tours s’accélèrent, et à la prochaine imperfection dans les stratagèmes que la dépravation continuait de corrompre, ça n’était pas que la partie que l’on risquerait, à jamais, de perdre. Les rires s’évadaient, et dans la bassesse de ce monde, c’était la perfidie qui immergeait les infâmes sourires. La gravité tâche les cartes, et au moindre écart, c’est la forteresse qui menace de s’écrouler. Un Empire qu’il fallait protéger, et les alliés, peut-être ne seraient-ils plus aussi utiles pour défendre les grandeurs d’un souverain en pleine naissance. La table est nappée d’injustice, et désormais, c’était de tout qu’il fallait se méfier. Le joueur en face, celui qu’on avait su apprécier, certainement attendait-il notre chute. Et celui d’à côté, qui ne nous avait jamais porté dans la tendresse de son coeur, peut-être ferait-il tout pour nous voir tomber… Ou écrouler cet autre ennemi qu’il avait affronté dans une terrible dispute. Des liens rongés par la tare de l’humanité, une ode à la gloire tant divinisée, mais ces chaînes se consument, et dans ces frénésies que cadence la folie, elles pourraient bien finir par se briser. La bassesse l’écroule, ce plateau adoré du chaos, oh, regardez comment sa fin, on savait déjà la prédire… Le mal n’oublie pas ses amis, et dans les tourments d’une poursuite chimérique, il pourrait bien vite retrouver ceux qu’il aurait aimé prendre avec lui. Elle déchire les corps, la fatalité, mais dans les danses avec la mort, cette infamie que la vie devait redouter, c’était tous qu’il s’amusaient à la défier.
Irvine, avoue, que si elle aussi devait te prendre, ce funeste sort qui t’es désigné, tu l’aurais bien mérité ?
- Franchement, j’aime pas tes plans à la con comme ça. Là t’as eu de la chance, mais la prochaine fois, ça sera quoi ?
Les affres sont dévorés par la langueur de la nonchalance. Sur la mélodie baignée d’inquiétude, la froideur se lève, feignant d’ignorer la plainte d’un être que l’angoisse continue inlassablement d’étreindre. Il ne s’y ferait jamais, le pauvre garçon. Peut-être que le pire, c’était ce mystère qui entourait le désastre. Le pourquoi, personne n’avait su y répondre. Et le pire peut-être, c’est que l’orateur, celui que la tragédie avait elle-même embrassé, il ne savait que danser dans ses suppositions. Une vérité qu’on peinait à admettre, mais la réalité elle éclatait dans un soupçon de non-dit : l’exactitude, on ne pouvait pas la faire apparaître. Ne pas comprendre était effrayant, car la suite des évènements, il devenait alors compliqué de les anticiper. Déjà que le pire, on craignait de l’imaginer, alors l’inconnu qui berçait un avenir empli de calamités, il était difficile de l’accepter. La mort, on s’inquiétait de la voir danser avec ses amis. Mais dans ces chemins qu’on savait délétère pour la vie… L’évidence éclatait : c’était un risque qu’on se devait d’accepter.
- Va falloir s’y habituer.
Cest mots, ils venaient de briser le ciel logé dans ces iris aux teintes de pureté. La violence des notes heurte cette voûte grisée, et s’écrasant contre ces douceurs, elles lacèrent la brume accablée. La froideur, était-ce les Hyades qu’elle avait voulu chercher ? C’était vain, car ces perles de fragilité, on refusait qu’elles se déversent avec autant de facilité. La sensibilité embrasse cette âme qu’on aurait pu haïr pour cette détestable faiblesse, mais la vulnérabilité, ça n’était pas dans l’embarras de la médiocrité qu’elle se dévoilait. Il était plus fort que ça, le gamin. Non, il n’était pas aussi méprisable, et ce coeur que les griffes de la glace avait serré, on lui avait fait taire les cris d’une douleur lancinante. La voûte pourtant, elle ne sait cacher la beauté inavouée de ses émois, et la férocité de l’insensibilité, elle l’a momentanément déformée. Un éclat d'incompréhension qui se noie dans la brume, et les traits d’un délicat visage, c’est l’affliction qu’ils laissent éhontément s’échapper. Oh, ces mots, qu’ils étaient terribles. Et sans le savoir, peut-être qu’au fond, on comprenait très bien ce qu’ils voulaient dire. Mais pour s’en assurer, on aurait voulu lui demander, à cette infâme glace, quels dessins elle avait tracé dans cette ode à la fatalité. Trop tard, car le corps, en attrapant quelques compresses et le désinfectant, venait de disparaître dans le couloir, avant de se réfugier dans les toilettes, sûrement avec l’intention de nettoyer ce visage ensanglanté, que le temps s’était occupé de noircir. Une âme disparue, emportant avec elle, les horreurs d’une nuit bercée par les ombres de l’infamie, ces vestiges d’une hégémonie affaiblie, c’était seule qu’elle devait en porter le souvenir. Oh, Irvine, ces croisades pour un Graal incrusté des joyaux du vice, elles encombraient ton esprit… N’est-ce pas ?
- Eh, s’il dit des conneries, te retiens pas, dis-nous…
- Sérieux, tu penses vraiment qu’il en sait rien ?
Le silence apporté par l’apaisante disparition avait été brisé par Aurèle, qui s’était adressé, l’air rieur, à cet étranger qu’il avait lui-même tiré dans ces lieux sacrés. On s’imaginait que si une erreur avait été remarquée par le garçon emporté dans ces jeux où gloire et fatalité valsaient, alors il n’hésiterait pas à le signaler. De cette carrure à laquelle on ne voulait se confronter, c’était, presque étonnement, une douce chaleur qui s’en émanait. La deuxième remarque, ce fut Sydney qui l’adressa directement à Aurèle, engageant ainsi, une conversation presque privée, dans laquelle tout deux souhaitait tirer des entrailles du mystères, quelques liens qui leur permettrait de comprendre. C'était vain, sûrement, mais il n’y avait que ça à faire. Le troisième habitant de ces lieux, lui, semblait peiner à reprendre ses esprits. Un souffle libère un soupir qu’on ne s’était pas embarrassé de cacher, et, sur le rythme de cette exaspération, les yeux viennent toucher le ciel. C’est que les jeux de l’immuable impassibilité, on aurait presque commencé à s’en lasser. Les afflictions de la mort, on ne voulait pas y goûter, et la disparition d’un corps que l’on érigeait en ami, oh, elle aurait été une tragédie qu’on n’aurait su surmonter. L’âme expressive, celle qui se laissait trahir par la réalité de ses émois, c’était innocemment qu’elle venait de poser son attention sur le garçon, qu’au fond, elle ne connaissait toujours pas.
- Lukas, c’est ça ?
Les notes s’échappent du fin sourire qui venait de se dessiner sur ce visage que la sensibilité caresse. Ces traits qu’un fragment de timidité avaient adoucis, ils s’étaient retrouvés bercés d’une splendide chaleur. Et l’océan en face, c’est la légèreté de ces nuages grisés qui vient le rencontrer, dans une délicate paresse. Oh, non, cet être-ci, il n’avait rien à voir avec l’autre froideur. La chaleur éclatait de ces douceurs enivrées par l’indulgence, c’est que ce ciel, il aurait pu offrir un fragment d’accalmie à l’océan troublé par les clartés d’une glace sombrant toujours plus profondément dans son indifférence. Mais cette voûte, elle se perd sur les traits de ce visage inconnu. Quelques infimes secondes de plus, et cette enlaçade, elle aurait presque pu oppresser une âme dénoncée comme intrus. Cette candeur, que pouvait-elle bien faire, happée par ces contours encore étrangers ? Être ainsi observé par une brume céleste, ça aurait pu déstabiliser. Et peut-être venait-elle de se rendre compte de la maladresse de son regard, car les iris dans lesquels se dessinent le paradis, ils viennent vivement de se détourner. Laissant d’infimes secondes s’écouler, la grisaille, c’est sur le visage de son nouvel interlocuteur qu’elle vient à nouveau se poser.
- C’est marrant, ta tête me dit quelque chose… Mais… Ça me revient pas.
Et, dans une belle sérénité, un doux sourire vient décorer ce visage que la candeur avait dessiné. Peut-être que ce visage, Gabrièle, il l’avait déjà croisé sur ce site où il étudiait. Dans les contours d’une photo qui ne l’avait pas intéressé. Un corps perdu au milieu d’une foule qu’on n’aimait que très peu cotoyer. Cette silhouette, peut-être qu’il l’avait croisé à maintes reprises, sans son dessin ne parvienne à s’incruster dans une mémoire encombrée par les pensées. Après tout, il ne pouvait pas se souvenir des visages de chaque personne qu’il avait simplement croisé, sans jamais n’avoir adressé la parole. Alors, sur cette remarque emplie de futilité, le garçon, dans un souffle, avait laissé s’échapper un faible rire. Qu’est-ce qu’il racontait, encore, l’enfant ?
- Désolé pour tout à l’heure, ils arrêtent pas de me stresser, tous.
Cet air timidement rieur, il ne lâchait pas la douce candeur. Le souvenir d’avoir été un peu agressif avec l’arrivant insoupçonné, cette maladresse, on avait alors souhaité s’en excuser. Parce que l’acrimonie, ça n’était pas dans ce corps qu’elle avait décidé d’y faire sa vie. La nervosité emporte un esprit que la sérénité est supposé enlacer, et sur les angoisses que l’inquiétude avait déchaîné, comment l’orage pouvait-il se retenir d’éclater ?
- Vas-y plains-toi, on t’dira rien !
- C’est vrai ? Alors je vais pas me gêner !
Ses oreilles traînaient partout, à Aurèle… Et Gabrièle, le sarcasme, c’était comme une deuxième langue pour lui. Au fond, comme tous ici. Sombrant dans les dérives d’un second degré constant, peut-être que l’ironie, elle leur permettait de s’évader, au moins un peu, des gravités de ce monde dans lequel il pouvait être étouffant d'évoluer. Une échappatoire pour adoucir la réalité, c’était peut-être ça qu’il fallait, pour ne pas totalement, s’écrouler. Alors, dans les bras d’un humour bordé par les railleries et les effronteries parfois enfantines, on gardait la tête hors des flots, sur la cadence d’une légèreté
- Attends, je me permets juste…
Sur ces mots, le garçon venait de se lever. L’accompagnateur de la froideur, lui aussi, avait vécu la tragédie. Alors, pour lui aussi, il fallait vérifier que, celle-ci, elle n’ait pas encrée trop profondément les ravages de son horreur. L’infirmier proclamé dans ces lieux sacré s’était avancé vers cette âme égarée, et, une fois à sa hauteur, le même manège que pour l’être désormais évadé avait recommencé. Elle ne faisait pas de différence, cette douce bonté. Le contraire, il aurait même étonné. La timidité naturelle de cette surprenante personnalité, elle n’avait plus le dessus sur elle, et sa bienveillance, c’était presque sans appréhension qu’elle savait désormais s’exprimer. Cette soirée, encore, pouvait en témoigner. Les gestes trahissent l’humilité, et la sensibilité, c’est dans toute cette âme qu'elle éclate. Oh, comment la compassion s’était-elle retrouvée au coeur des bassesses de l’humanité ?
- Ok, normalement c’est bon !
Gabrièle avait rejoint sa chaise, mais ne s’était pas rassi sur cette dernière. Un sourire empli de douceur décorait toujours ses traits, et les apparences de la candeur, elles étaient comme magnifiées par la blondeur de ces boucles qui tombaient délicatement sur une chair, presque colorée par la pureté. Bercé dans son attention, voilà désormais qu’elle s’inquiétait de savoir si l’âme étrangère, celle qui portait désormais un prénom, les affres du désastre ne l’avait pas anéanti.
- Et sinon… Ça va à peu près ? Tu veux manger quelque chose ? Ou boire, peut-être ? Attends, je reviens.
Mais l’esprit se perd dans sa prévenance, et la vigilance est pressée par les soins que l’on veut apporter au corps égaré. Disparu dans la furie de son amabilité, ce garçon, voilà qu’Aurèle venait à nouveau de le moquer. Rien d’inhabituel, dans ce temple vénérant l’illégalité, c’était au fond, sous les railleries que l'affection semblait s’exprimer.
- Il va te ramener tout le stock.
Ce rire faussement exaspéré, il trahissait toute la sympathie qu’on portait pour cet être, dont la place en ces terres, aurait pu être doutée. Une touche d’humour lâchée à l’invité forcé, c’est que sa présence ici, pour certains du moins, elle ne semblait pas déranger. Et alors que se dissipait de la pièce qui avait accueilli le chercheur de vivres, un léger raffut, les sourires des deux autres habitants, restés à leurs places, se confondaient dans leurs traits inondés par la malice. Des traits doucement narquois, c’est que la candeur, elle ne changerait pas. Le bruit s'arrête, et le mouvement, on l’entend revenir dans cette salle précédemment quittée. Alors, un semblant de sérieux est vivement retrouvé, et l’âme chargée, c’est sans fragment de dérision qu’on s’apprête à l’accueillir
- Voilà ! Si tu voulais un truc chaud, y’a aussi du café… J’aurais pu te faire une tisane, mais le temps que ça infuse… Je me dis que t’aurais plutôt envie de rentrer.
L’entrée du garçon tombé du ciel avait été ponctuée par les mots que l’attention emplissait toujours un peu plus. C’est que, sincèrement, on se préoccupait des souhaits de celui qui avait été traîné ici, on pouvait le deviner, sans sa réelle volonté. Des suppositions que l’esprit avait forgé, car après tout, il ne la connaissait pas vraiment, la vérité. Mais le droit de présumer, on se l’était octroyé. Peut-être qu’on avait lu sur ce visage inconnu, les traits de la désorientation. Peut-être qu’on avait vu, au coeur de ces eaux jamais connues, l’agitation d’une longue journée bordée par la violence de multiples confrontations. La candeur, elle pouvait dessiner maints et maints scenarios, car tous, dans leur improbabilité, savaient, dans ce monde impitoyable, s’avérer valables. Peut-être également savait-on déceler ce que les apparences trahissaient : comme lui, il ne semblait pas faire partie des déboires de cette bien sombre histoire. Et comme lui, peut-être, le destin l’avait placé sur un chemin que jamais, on n’aurait pensé fouler. Que jamais, il n’aurait voulu fréquenter. Gabrièle, lui, dans ces sentiers tapissés de dangers, il s’y était volontairement jeté. Mais cet océan, on l’avait imaginé croiser l’infamie d’une mer qui s’éprend pas de pitié. Mais on ne voulait pas l’embarasser, l’étranger, alors les questions qui pouvaient voguer dans un esprit noyé de curiosité, on se retiendrait bien de les poser.
Les trouvailles, soit un paquet de gâteaux sucrés, un de salé, ainsi que cinq bouteilles individuelles de différentes boissons avaient été déposés sur la table. Un choix laissé à la discrétion de l’invité, sa soif, s’il voulait, il avait de quoi l’étancher. Achevant ainsi la tâche qu’on s’était donnée, le corps, finalement, s’était rassis, sous de nouvelles remarques qu’on ne se tuerait pas à relever.
- Des tisanes ? Mais téma la grand-mère…
- Ben regarde son truc, il s’habille pareil que les vieux.
Les railleries s’évadaient dans une atmosphère que la légèreté avait de nouveau emplie. Le cardigan brun porté par le garçon était doucement moqué, mais l’intéressé, c’est en levant les yeux au ciel qu’il avait retenu son rire. Il n’y avait pas à dire, jusque dans les vêtements qu’il portait, il détonnait. Comment aurait-on pu croire qu’un telle présence vivotait dans les entrailles que la vertu poudrée de moralité se plaisait à dénoncer… C’était bien l’impensable dissimulé au coeur de l’illégal. Une âme égarée, une faiblesse que l’on manipule pour servir les dessins de quelques hommes avides, mais la réalité, sûrement qu’elle était différente de ces premières idées qui assiégeaient l'esprit. Le séraphin, peut-être que ça n’était pas pour rien qu’on l’avait jeté du paradis.
- Te gênes pas, tu peux prendre ce que tu veux !
Comme pour encourager le jeune inconnu à ne pas hésiter, Gabrièle avait ouvert l’un des paquets, pour en extirper un gâteau, dont il s’était empressé d’en avaler un morceau. Sydney s’était approché du festin, pour se servir à son tour, affrontant d’abord, une tape sur la main de la part de celui qui avait apporté de quoi satisfaire une faim qui commençait à s’éveiller. Les sourires s’échappent, les moqueries éclatent, et l’ambiance, elle aurait presque oublié que, dans l’une des pièces à côté, l’un affrontait les traces d’une tragédie que l’esprit, avait à jamais gravé. Sydney avait retrouvé sa place, offrant à l’ami d’à côté, un des gâteaux qu’il avait réussi à dérober, avant de replonger, dans les passions d’une discussion recommencée. Le troisième habitant, alors, c’est sur l’invité qu’il venait de reposer son regard. Un délicat sourire qui, naturellement, se dessine, ce visage, il aurait presque pu apaiser la nuit.
- Du coup… Ça va, toi ?
Et l’ultime précaution est déversée dans cet océan nouvellement rencontré. Une fois encore, les nuages, ce sont les eaux qu’ils viennent tendrement frôler. Incapables de rester en haut, amoureuses des profondeurs bleutées, ces beautés célestes, elles admirent les flots. Teintées d’infâmes froideurs, ou secouées des plus turbulentes chaleurs, c’est que, sur ces vastes étendues, elle semblait toujours y veiller. Le séraphin chassé du paradis, c’est peut-être le souvenir d’avoir été recueilli dans les accalmies d’une de ces mers qu’il garde en lui. Et alors, les Hyades intriguées par ces joyaux de vitalité, elles se penchent sur ces perles empruntant les teintes du saphir. Dans l’ombre d’une nuit glacée, les nymphes sont révélées. La tragédie les aura secouées, et la constellation dans laquelle elles ont été logées, le drame, elle l’enlace comme un souvenir. À jamais figé dans les mémoires de l’éternité, le carnage, la noirceur l’avait capturé. Il n’y avait que Nyx pour s’imprégner de ces ruines, et les étoiles maussades, elles se sont vilement échappées de leur parure assombrie. Oh, peut-être que ces pluvieuses, en retrouvant la grisaille d’un ciel atterré, elles ont chuchoté à l’ange que les siens avaient chassé, quelle fin la fatalité avait dessiné.
Gabrièle, cette glace que tu as tant appréciée, lentement, elle était en train de t’être ôtée. L’obscurité te l’avait conté, cette âme scellée par le rouge dont le funeste s’est habillé, le vice était en train de le rattraper. me abandonnée dans les vestiges de sa tragédie, peut-être qu’en ce moment, c’étaient les traces de l’ignominie qu’elle s’évertuait à effacer. L’empreinte d’une déchéance, cette honte que l’on veut terrer dans l’oubli. Abandonner les évidences de la folie, comme si jamais, face à elle, il s’était effondré. Elle était vaine, la tentative. La chair trahit les déboires d’une terrible maladie, tandis que l’esprit, lui aussi, s’affaire à se remémorer les détails que les étoiles ont figé dans le passé. Et c’est qu’évidemment, on se l’est prohibée, l’amnésie. La glace est tâchée, le rouge détonne sur les clartés cristallines ; les teintes de l’infamie, seul le temps permettra de les atténuer.
Les mirages ont aveuglé les âmes perdues dans leur frénésie. Il ne sert plus de les raisonner, elles n’en ont plus l’âge. Il fallait les écouter, l’insanité épouse la vilenie, et retrouvant leurs lits, elles se délectent du carnage. Enivrés dans leurs manies, ces soldats, ils ne sont que les spectres d’un adversaire plus aguerri. Une manœuvre réussie, et la victoire embellit un seigneur sans image. Oui, sur ce tour splendidement joué, voilà qu’on l’avait écroulé, l’ennemi. Le début d’une nouvelle ère, qui signait la fin d’un maître, un peu trop avancé dans cette sordide partie.
Embrasse les âpretés de la fatalité, car comme les autres, Irvine, ton temps, il sera bientôt écoulé.
Tic, Tak, "Time out" ; la cadence d’une nuit, c’est ta vie, qu’elle a fait résonner.
Ces jeux, tu les a cherché, et le trophée, il explose les ombres de ta mortalité.
En rythme, Moros danse sur ces notes emplies de gravité auxquelles elle t’a condamné,
L’écho, écoute-le gronder, “Tic, Tak”, demain, tout pourrait basculer ;
Time out, et si par miracle tu arrives à y échapper, c’est d’autres chimères qui seront là pour te rattraper.
- Nan.
Et le premier véritable mensonge, c’est sans honte qu’on venait de froidement le lâcher. Les iris baignés de cruauté, ils étalaient une assurance presque démesurée. Oh, malgré tout ce qu’il venait d’endurer, il restait fier, ce corps éternellement maîtrisé. L’auditoire, c’est sans aucun doute qu’il savait le persuader. Une confiance qui enveloppe l’impassibilité, une rudesse qui caresse une allure aux airs de puissance… Et l’autorité, elle explose dans les caresses de la conviction. Il aurait été aisé de se laisser tenter par les mirages qu’une mer, dans son indolence, inonde sur les âmes charmées par ces beautés. Oh, mais l’innocence, savait-on la tromper ? Cet esprit que la faiblesse semble ronger, était-il aussi bête qu’on aurait pu le penser ? Ces douceurs qui savent observer, cette âme qui ne laisse jamais rien s’échapper, peut-être que cette étonnante candeur, elle était la plus difficile à duper.
- Tu mens.
- Même pas.
- Arrête, d’où on fait tout ce cirque pour au final, rien te dire ?
Il n’avait pas tout à fait tort, l’enfant. Mais ce cas de figure, il n’était pas non plus noyé d’impossibilité. Et les griffes d’une asphyxiante froideur arrachent ces nuages qui opposaient leur défiance. Le vide qui dansait dans ces cruels joyaux, il était enivrant. La clarté éclate, et dans leur profondeur, il n’y a rien à attraper. Un vertige qui entête, cette vaste mer il n’y a plus rien à y chercher. Délaissée de toute vigueur, dans ses méandres, il n’y a plus un fragment de vitalité. Oh, on aurait beau plonger, cette surface cristalline, elle dévoilait les ruines d’un désert en plein hiver. Qu’il abandonne, le ciel inquiet, car ces flots inertes, il ne parviendrait pas à les agiter. Face à l’intense clarté, il fallait se résigner. Ces eaux miroitant l’insensibilité, elle étouffait celui qui s’en approchait. Dominant terres et hauteurs célestes, elle était seule à pouvoir gagner.
- Une menace, sûrement.
- Mouais.
Il devait se faire une raison, le garçon. Il n’aurait pas plus d’information, et peut-être qu’ainsi, on tenterait de l’en persuader, ce mensonge, il n’était en fait qu’une vérité qu’on ne savait accepter. Et le plus grand, évidemment que cet énième jeu, il l’avait emporté. Inégalé, le Roi s’évertue dans les batailles qu’il pouvait encore triompher. L’amertume d’une chute, lentement commencée, alors c’est ailleurs que l’on préserve une hégémonie qu’on ne peut voir briser. Mais Irvine, les raisons des illusions qu’il faisait valser, ça n’était très certainement pas les ombres d’un ego fragilisé qui les enveloppait. Elle ne tenait pas qu’aux futilités de la défaite d’une nuit, cette fierté. Ces enfantillages, il fallait les laisser à ceux qui se laissaient bercer dans les illusions de leur esprit, cette déraison qui leur chuchotait à quel point leur personne était vouée au plus beau. Que le lit dans lequel elles devaient, chaque nuit, se coucher, avait été bordé par le triomphe. Perdues dans leur suffisance, la réalité d’une faiblesse ignorée préjudiciait à ces âmes enivrées par les murmures de leur ego. Celui qui se persuadait de mériter une place tout en haut. Non, éloignée des puérilités que les éclats de la gloire avaient attirées, la froideur, c’était pour une toute autre raison qu’elle s’alliait avec le mensonge.
- Nan mais jure, ils ont rien dit ?
À l’interpellation de Sydney, la tête s’était relevée sur le rythme d’un flegme presque insolent. Un mouvement pour exprimer la négation, et le débat, c’était ici qu’on l’achevait. La réponse finale devait être inscrite dans les esprits, les démons des bassesses de cette vie, c’était dans le silence qu'ils s’étaient évanouis. Et sur cette ultime solution, un infime silence s’était imposé dans ces locaux où la vie florissait. Un petit monde abattu par la gravité des faits, mais tous le savait, il était inutile de s'apitoyer. Alors que le temps continuait de s’écouler, alors que Chronos achevait le circuit de sa fuite, le joueur, son coup, il venait de l’achever. Une partie qui continue, mais le prochain tour, il fallait le rattraper. Et ce dé qu’on avait laissé au milieu d’un plateau que le vice, au fil des jours, avait noirci, qui devait le lancer ? Une chance abandonnée, tant pis. Puisque les règles, on se persuadait qu’on s’en était honteusement émancipé, l’ordre, on s’affairerait à l’ignorer. Stratégies vilement établies, tout était bon pour faire tomber un adversaire trop proche des splendeurs de la victoire… Manoeuvre risquée, car si le rival visé avait jusque-là devancé ces jeux teintés de fatalité, peut-être que sa bassesse était pire que la leur… Et son pouvoir, plus infâme encore que ces déboires. Le premier est devancé, mais cette distance, valait-il mieux la savourer, car le maître d’une partie jusque-là, dominée, oh, il ne laisserait pas les ombres d’une funeste défaite le rattraper.
- Sérieusement… Tu crains.
Les tours s’accélèrent, et à la prochaine imperfection dans les stratagèmes que la dépravation continuait de corrompre, ça n’était pas que la partie que l’on risquerait, à jamais, de perdre. Les rires s’évadaient, et dans la bassesse de ce monde, c’était la perfidie qui immergeait les infâmes sourires. La gravité tâche les cartes, et au moindre écart, c’est la forteresse qui menace de s’écrouler. Un Empire qu’il fallait protéger, et les alliés, peut-être ne seraient-ils plus aussi utiles pour défendre les grandeurs d’un souverain en pleine naissance. La table est nappée d’injustice, et désormais, c’était de tout qu’il fallait se méfier. Le joueur en face, celui qu’on avait su apprécier, certainement attendait-il notre chute. Et celui d’à côté, qui ne nous avait jamais porté dans la tendresse de son coeur, peut-être ferait-il tout pour nous voir tomber… Ou écrouler cet autre ennemi qu’il avait affronté dans une terrible dispute. Des liens rongés par la tare de l’humanité, une ode à la gloire tant divinisée, mais ces chaînes se consument, et dans ces frénésies que cadence la folie, elles pourraient bien finir par se briser. La bassesse l’écroule, ce plateau adoré du chaos, oh, regardez comment sa fin, on savait déjà la prédire… Le mal n’oublie pas ses amis, et dans les tourments d’une poursuite chimérique, il pourrait bien vite retrouver ceux qu’il aurait aimé prendre avec lui. Elle déchire les corps, la fatalité, mais dans les danses avec la mort, cette infamie que la vie devait redouter, c’était tous qu’il s’amusaient à la défier.
Irvine, avoue, que si elle aussi devait te prendre, ce funeste sort qui t’es désigné, tu l’aurais bien mérité ?
- Franchement, j’aime pas tes plans à la con comme ça. Là t’as eu de la chance, mais la prochaine fois, ça sera quoi ?
Les affres sont dévorés par la langueur de la nonchalance. Sur la mélodie baignée d’inquiétude, la froideur se lève, feignant d’ignorer la plainte d’un être que l’angoisse continue inlassablement d’étreindre. Il ne s’y ferait jamais, le pauvre garçon. Peut-être que le pire, c’était ce mystère qui entourait le désastre. Le pourquoi, personne n’avait su y répondre. Et le pire peut-être, c’est que l’orateur, celui que la tragédie avait elle-même embrassé, il ne savait que danser dans ses suppositions. Une vérité qu’on peinait à admettre, mais la réalité elle éclatait dans un soupçon de non-dit : l’exactitude, on ne pouvait pas la faire apparaître. Ne pas comprendre était effrayant, car la suite des évènements, il devenait alors compliqué de les anticiper. Déjà que le pire, on craignait de l’imaginer, alors l’inconnu qui berçait un avenir empli de calamités, il était difficile de l’accepter. La mort, on s’inquiétait de la voir danser avec ses amis. Mais dans ces chemins qu’on savait délétère pour la vie… L’évidence éclatait : c’était un risque qu’on se devait d’accepter.
- Va falloir s’y habituer.
Cest mots, ils venaient de briser le ciel logé dans ces iris aux teintes de pureté. La violence des notes heurte cette voûte grisée, et s’écrasant contre ces douceurs, elles lacèrent la brume accablée. La froideur, était-ce les Hyades qu’elle avait voulu chercher ? C’était vain, car ces perles de fragilité, on refusait qu’elles se déversent avec autant de facilité. La sensibilité embrasse cette âme qu’on aurait pu haïr pour cette détestable faiblesse, mais la vulnérabilité, ça n’était pas dans l’embarras de la médiocrité qu’elle se dévoilait. Il était plus fort que ça, le gamin. Non, il n’était pas aussi méprisable, et ce coeur que les griffes de la glace avait serré, on lui avait fait taire les cris d’une douleur lancinante. La voûte pourtant, elle ne sait cacher la beauté inavouée de ses émois, et la férocité de l’insensibilité, elle l’a momentanément déformée. Un éclat d'incompréhension qui se noie dans la brume, et les traits d’un délicat visage, c’est l’affliction qu’ils laissent éhontément s’échapper. Oh, ces mots, qu’ils étaient terribles. Et sans le savoir, peut-être qu’au fond, on comprenait très bien ce qu’ils voulaient dire. Mais pour s’en assurer, on aurait voulu lui demander, à cette infâme glace, quels dessins elle avait tracé dans cette ode à la fatalité. Trop tard, car le corps, en attrapant quelques compresses et le désinfectant, venait de disparaître dans le couloir, avant de se réfugier dans les toilettes, sûrement avec l’intention de nettoyer ce visage ensanglanté, que le temps s’était occupé de noircir. Une âme disparue, emportant avec elle, les horreurs d’une nuit bercée par les ombres de l’infamie, ces vestiges d’une hégémonie affaiblie, c’était seule qu’elle devait en porter le souvenir. Oh, Irvine, ces croisades pour un Graal incrusté des joyaux du vice, elles encombraient ton esprit… N’est-ce pas ?
- Eh, s’il dit des conneries, te retiens pas, dis-nous…
- Sérieux, tu penses vraiment qu’il en sait rien ?
Le silence apporté par l’apaisante disparition avait été brisé par Aurèle, qui s’était adressé, l’air rieur, à cet étranger qu’il avait lui-même tiré dans ces lieux sacrés. On s’imaginait que si une erreur avait été remarquée par le garçon emporté dans ces jeux où gloire et fatalité valsaient, alors il n’hésiterait pas à le signaler. De cette carrure à laquelle on ne voulait se confronter, c’était, presque étonnement, une douce chaleur qui s’en émanait. La deuxième remarque, ce fut Sydney qui l’adressa directement à Aurèle, engageant ainsi, une conversation presque privée, dans laquelle tout deux souhaitait tirer des entrailles du mystères, quelques liens qui leur permettrait de comprendre. C'était vain, sûrement, mais il n’y avait que ça à faire. Le troisième habitant de ces lieux, lui, semblait peiner à reprendre ses esprits. Un souffle libère un soupir qu’on ne s’était pas embarrassé de cacher, et, sur le rythme de cette exaspération, les yeux viennent toucher le ciel. C’est que les jeux de l’immuable impassibilité, on aurait presque commencé à s’en lasser. Les afflictions de la mort, on ne voulait pas y goûter, et la disparition d’un corps que l’on érigeait en ami, oh, elle aurait été une tragédie qu’on n’aurait su surmonter. L’âme expressive, celle qui se laissait trahir par la réalité de ses émois, c’était innocemment qu’elle venait de poser son attention sur le garçon, qu’au fond, elle ne connaissait toujours pas.
- Lukas, c’est ça ?
Les notes s’échappent du fin sourire qui venait de se dessiner sur ce visage que la sensibilité caresse. Ces traits qu’un fragment de timidité avaient adoucis, ils s’étaient retrouvés bercés d’une splendide chaleur. Et l’océan en face, c’est la légèreté de ces nuages grisés qui vient le rencontrer, dans une délicate paresse. Oh, non, cet être-ci, il n’avait rien à voir avec l’autre froideur. La chaleur éclatait de ces douceurs enivrées par l’indulgence, c’est que ce ciel, il aurait pu offrir un fragment d’accalmie à l’océan troublé par les clartés d’une glace sombrant toujours plus profondément dans son indifférence. Mais cette voûte, elle se perd sur les traits de ce visage inconnu. Quelques infimes secondes de plus, et cette enlaçade, elle aurait presque pu oppresser une âme dénoncée comme intrus. Cette candeur, que pouvait-elle bien faire, happée par ces contours encore étrangers ? Être ainsi observé par une brume céleste, ça aurait pu déstabiliser. Et peut-être venait-elle de se rendre compte de la maladresse de son regard, car les iris dans lesquels se dessinent le paradis, ils viennent vivement de se détourner. Laissant d’infimes secondes s’écouler, la grisaille, c’est sur le visage de son nouvel interlocuteur qu’elle vient à nouveau se poser.
- C’est marrant, ta tête me dit quelque chose… Mais… Ça me revient pas.
Et, dans une belle sérénité, un doux sourire vient décorer ce visage que la candeur avait dessiné. Peut-être que ce visage, Gabrièle, il l’avait déjà croisé sur ce site où il étudiait. Dans les contours d’une photo qui ne l’avait pas intéressé. Un corps perdu au milieu d’une foule qu’on n’aimait que très peu cotoyer. Cette silhouette, peut-être qu’il l’avait croisé à maintes reprises, sans son dessin ne parvienne à s’incruster dans une mémoire encombrée par les pensées. Après tout, il ne pouvait pas se souvenir des visages de chaque personne qu’il avait simplement croisé, sans jamais n’avoir adressé la parole. Alors, sur cette remarque emplie de futilité, le garçon, dans un souffle, avait laissé s’échapper un faible rire. Qu’est-ce qu’il racontait, encore, l’enfant ?
- Désolé pour tout à l’heure, ils arrêtent pas de me stresser, tous.
Cet air timidement rieur, il ne lâchait pas la douce candeur. Le souvenir d’avoir été un peu agressif avec l’arrivant insoupçonné, cette maladresse, on avait alors souhaité s’en excuser. Parce que l’acrimonie, ça n’était pas dans ce corps qu’elle avait décidé d’y faire sa vie. La nervosité emporte un esprit que la sérénité est supposé enlacer, et sur les angoisses que l’inquiétude avait déchaîné, comment l’orage pouvait-il se retenir d’éclater ?
- Vas-y plains-toi, on t’dira rien !
- C’est vrai ? Alors je vais pas me gêner !
Ses oreilles traînaient partout, à Aurèle… Et Gabrièle, le sarcasme, c’était comme une deuxième langue pour lui. Au fond, comme tous ici. Sombrant dans les dérives d’un second degré constant, peut-être que l’ironie, elle leur permettait de s’évader, au moins un peu, des gravités de ce monde dans lequel il pouvait être étouffant d'évoluer. Une échappatoire pour adoucir la réalité, c’était peut-être ça qu’il fallait, pour ne pas totalement, s’écrouler. Alors, dans les bras d’un humour bordé par les railleries et les effronteries parfois enfantines, on gardait la tête hors des flots, sur la cadence d’une légèreté
- Attends, je me permets juste…
Sur ces mots, le garçon venait de se lever. L’accompagnateur de la froideur, lui aussi, avait vécu la tragédie. Alors, pour lui aussi, il fallait vérifier que, celle-ci, elle n’ait pas encrée trop profondément les ravages de son horreur. L’infirmier proclamé dans ces lieux sacré s’était avancé vers cette âme égarée, et, une fois à sa hauteur, le même manège que pour l’être désormais évadé avait recommencé. Elle ne faisait pas de différence, cette douce bonté. Le contraire, il aurait même étonné. La timidité naturelle de cette surprenante personnalité, elle n’avait plus le dessus sur elle, et sa bienveillance, c’était presque sans appréhension qu’elle savait désormais s’exprimer. Cette soirée, encore, pouvait en témoigner. Les gestes trahissent l’humilité, et la sensibilité, c’est dans toute cette âme qu'elle éclate. Oh, comment la compassion s’était-elle retrouvée au coeur des bassesses de l’humanité ?
- Ok, normalement c’est bon !
Gabrièle avait rejoint sa chaise, mais ne s’était pas rassi sur cette dernière. Un sourire empli de douceur décorait toujours ses traits, et les apparences de la candeur, elles étaient comme magnifiées par la blondeur de ces boucles qui tombaient délicatement sur une chair, presque colorée par la pureté. Bercé dans son attention, voilà désormais qu’elle s’inquiétait de savoir si l’âme étrangère, celle qui portait désormais un prénom, les affres du désastre ne l’avait pas anéanti.
- Et sinon… Ça va à peu près ? Tu veux manger quelque chose ? Ou boire, peut-être ? Attends, je reviens.
Mais l’esprit se perd dans sa prévenance, et la vigilance est pressée par les soins que l’on veut apporter au corps égaré. Disparu dans la furie de son amabilité, ce garçon, voilà qu’Aurèle venait à nouveau de le moquer. Rien d’inhabituel, dans ce temple vénérant l’illégalité, c’était au fond, sous les railleries que l'affection semblait s’exprimer.
- Il va te ramener tout le stock.
Ce rire faussement exaspéré, il trahissait toute la sympathie qu’on portait pour cet être, dont la place en ces terres, aurait pu être doutée. Une touche d’humour lâchée à l’invité forcé, c’est que sa présence ici, pour certains du moins, elle ne semblait pas déranger. Et alors que se dissipait de la pièce qui avait accueilli le chercheur de vivres, un léger raffut, les sourires des deux autres habitants, restés à leurs places, se confondaient dans leurs traits inondés par la malice. Des traits doucement narquois, c’est que la candeur, elle ne changerait pas. Le bruit s'arrête, et le mouvement, on l’entend revenir dans cette salle précédemment quittée. Alors, un semblant de sérieux est vivement retrouvé, et l’âme chargée, c’est sans fragment de dérision qu’on s’apprête à l’accueillir
- Voilà ! Si tu voulais un truc chaud, y’a aussi du café… J’aurais pu te faire une tisane, mais le temps que ça infuse… Je me dis que t’aurais plutôt envie de rentrer.
L’entrée du garçon tombé du ciel avait été ponctuée par les mots que l’attention emplissait toujours un peu plus. C’est que, sincèrement, on se préoccupait des souhaits de celui qui avait été traîné ici, on pouvait le deviner, sans sa réelle volonté. Des suppositions que l’esprit avait forgé, car après tout, il ne la connaissait pas vraiment, la vérité. Mais le droit de présumer, on se l’était octroyé. Peut-être qu’on avait lu sur ce visage inconnu, les traits de la désorientation. Peut-être qu’on avait vu, au coeur de ces eaux jamais connues, l’agitation d’une longue journée bordée par la violence de multiples confrontations. La candeur, elle pouvait dessiner maints et maints scenarios, car tous, dans leur improbabilité, savaient, dans ce monde impitoyable, s’avérer valables. Peut-être également savait-on déceler ce que les apparences trahissaient : comme lui, il ne semblait pas faire partie des déboires de cette bien sombre histoire. Et comme lui, peut-être, le destin l’avait placé sur un chemin que jamais, on n’aurait pensé fouler. Que jamais, il n’aurait voulu fréquenter. Gabrièle, lui, dans ces sentiers tapissés de dangers, il s’y était volontairement jeté. Mais cet océan, on l’avait imaginé croiser l’infamie d’une mer qui s’éprend pas de pitié. Mais on ne voulait pas l’embarasser, l’étranger, alors les questions qui pouvaient voguer dans un esprit noyé de curiosité, on se retiendrait bien de les poser.
Les trouvailles, soit un paquet de gâteaux sucrés, un de salé, ainsi que cinq bouteilles individuelles de différentes boissons avaient été déposés sur la table. Un choix laissé à la discrétion de l’invité, sa soif, s’il voulait, il avait de quoi l’étancher. Achevant ainsi la tâche qu’on s’était donnée, le corps, finalement, s’était rassis, sous de nouvelles remarques qu’on ne se tuerait pas à relever.
- Des tisanes ? Mais téma la grand-mère…
- Ben regarde son truc, il s’habille pareil que les vieux.
Les railleries s’évadaient dans une atmosphère que la légèreté avait de nouveau emplie. Le cardigan brun porté par le garçon était doucement moqué, mais l’intéressé, c’est en levant les yeux au ciel qu’il avait retenu son rire. Il n’y avait pas à dire, jusque dans les vêtements qu’il portait, il détonnait. Comment aurait-on pu croire qu’un telle présence vivotait dans les entrailles que la vertu poudrée de moralité se plaisait à dénoncer… C’était bien l’impensable dissimulé au coeur de l’illégal. Une âme égarée, une faiblesse que l’on manipule pour servir les dessins de quelques hommes avides, mais la réalité, sûrement qu’elle était différente de ces premières idées qui assiégeaient l'esprit. Le séraphin, peut-être que ça n’était pas pour rien qu’on l’avait jeté du paradis.
- Te gênes pas, tu peux prendre ce que tu veux !
Comme pour encourager le jeune inconnu à ne pas hésiter, Gabrièle avait ouvert l’un des paquets, pour en extirper un gâteau, dont il s’était empressé d’en avaler un morceau. Sydney s’était approché du festin, pour se servir à son tour, affrontant d’abord, une tape sur la main de la part de celui qui avait apporté de quoi satisfaire une faim qui commençait à s’éveiller. Les sourires s’échappent, les moqueries éclatent, et l’ambiance, elle aurait presque oublié que, dans l’une des pièces à côté, l’un affrontait les traces d’une tragédie que l’esprit, avait à jamais gravé. Sydney avait retrouvé sa place, offrant à l’ami d’à côté, un des gâteaux qu’il avait réussi à dérober, avant de replonger, dans les passions d’une discussion recommencée. Le troisième habitant, alors, c’est sur l’invité qu’il venait de reposer son regard. Un délicat sourire qui, naturellement, se dessine, ce visage, il aurait presque pu apaiser la nuit.
- Du coup… Ça va, toi ?
Et l’ultime précaution est déversée dans cet océan nouvellement rencontré. Une fois encore, les nuages, ce sont les eaux qu’ils viennent tendrement frôler. Incapables de rester en haut, amoureuses des profondeurs bleutées, ces beautés célestes, elles admirent les flots. Teintées d’infâmes froideurs, ou secouées des plus turbulentes chaleurs, c’est que, sur ces vastes étendues, elle semblait toujours y veiller. Le séraphin chassé du paradis, c’est peut-être le souvenir d’avoir été recueilli dans les accalmies d’une de ces mers qu’il garde en lui. Et alors, les Hyades intriguées par ces joyaux de vitalité, elles se penchent sur ces perles empruntant les teintes du saphir. Dans l’ombre d’une nuit glacée, les nymphes sont révélées. La tragédie les aura secouées, et la constellation dans laquelle elles ont été logées, le drame, elle l’enlace comme un souvenir. À jamais figé dans les mémoires de l’éternité, le carnage, la noirceur l’avait capturé. Il n’y avait que Nyx pour s’imprégner de ces ruines, et les étoiles maussades, elles se sont vilement échappées de leur parure assombrie. Oh, peut-être que ces pluvieuses, en retrouvant la grisaille d’un ciel atterré, elles ont chuchoté à l’ange que les siens avaient chassé, quelle fin la fatalité avait dessiné.
Gabrièle, cette glace que tu as tant appréciée, lentement, elle était en train de t’être ôtée. L’obscurité te l’avait conté, cette âme scellée par le rouge dont le funeste s’est habillé, le vice était en train de le rattraper. me abandonnée dans les vestiges de sa tragédie, peut-être qu’en ce moment, c’étaient les traces de l’ignominie qu’elle s’évertuait à effacer. L’empreinte d’une déchéance, cette honte que l’on veut terrer dans l’oubli. Abandonner les évidences de la folie, comme si jamais, face à elle, il s’était effondré. Elle était vaine, la tentative. La chair trahit les déboires d’une terrible maladie, tandis que l’esprit, lui aussi, s’affaire à se remémorer les détails que les étoiles ont figé dans le passé. Et c’est qu’évidemment, on se l’est prohibée, l’amnésie. La glace est tâchée, le rouge détonne sur les clartés cristallines ; les teintes de l’infamie, seul le temps permettra de les atténuer.
Les mirages ont aveuglé les âmes perdues dans leur frénésie. Il ne sert plus de les raisonner, elles n’en ont plus l’âge. Il fallait les écouter, l’insanité épouse la vilenie, et retrouvant leurs lits, elles se délectent du carnage. Enivrés dans leurs manies, ces soldats, ils ne sont que les spectres d’un adversaire plus aguerri. Une manœuvre réussie, et la victoire embellit un seigneur sans image. Oui, sur ce tour splendidement joué, voilà qu’on l’avait écroulé, l’ennemi. Le début d’une nouvelle ère, qui signait la fin d’un maître, un peu trop avancé dans cette sordide partie.
Embrasse les âpretés de la fatalité, car comme les autres, Irvine, ton temps, il sera bientôt écoulé.
Tic, Tak, "Time out" ; la cadence d’une nuit, c’est ta vie, qu’elle a fait résonner.
Ces jeux, tu les a cherché, et le trophée, il explose les ombres de ta mortalité.
En rythme, Moros danse sur ces notes emplies de gravité auxquelles elle t’a condamné,
L’écho, écoute-le gronder, “Tic, Tak”, demain, tout pourrait basculer ;
Time out, et si par miracle tu arrives à y échapper, c’est d’autres chimères qui seront là pour te rattraper.
à 15:28 le 03/09/2023
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Le bruit d’une serrure que l’on déverrouille, puis l’indiscrétion d’une porte qui, sans grande retenue, s’ouvre. Et sur cette douce mélodie, les locaux sont dévoilés au groupe nouvellement arrivé. Une entrée qu’un silence accueille, car c’est qu’à l’intérieur, il n’y avait personne pour errer dans ces pièces décorées par une impression d’abandon. Pourtant, dans le couloir qui continuait le vestibule, la lumière avait été laissée allumée. Et comme si on l’avait également oubliée, une autre salle était inondée de cette ocre électrisée. Cloisonnées par des simples vitres majoritairement opaques, même la ligne translucide située à hauteur de tête ne savait pas dénoncer celui qui s’éternisait ici. La porte est bruyamment refermée, avant de signaler à l’intrus qui n’aurait jamais dû pénétrer ces lieux que ce bandeau qui l’empêchait de voir, il pouvait enfin le retirer. Il n’y avait plus de quoi s’inquiéter, les fenêtres étant condamnées, les spectres de ce drôle de bâtiment, ils l’avaient étanchéifié d’un extérieur dénoncé comme ennemi. Mais, Dieu, qu’elle était mauvaise cette idée… Avoir mené ce garçon, que l’on peinait déjà bien assez de ne pas faire complètement tomber dans les bassesses d’un monde dont on aurait dû le tenir éloigné, jusqu’ici… C’était d’une inconscience irraisonnée. Et le roi de ces lieux, il ne semblait même pas avoir trouvé la force de contester. Tant pis. Peut-être était-ce l’opiniatreté notoire de cet ami du vice qui avait réfréné ses désirs de protestation. Parce que cette opposition, c’est autrement qu’elle s’était exprimée : un pesant silence, une colère que l’on ne s’embarrassait pas de cacher… Une désapprobation qui explose dans une froideur que ce désagrément avait exacerbé. Oh, il était certain que la présence de cet enfant, celui que Nyx ne cessait d’attirer dans ses bras, elle dérangeait un seigneur fragilisé par les éclats de l’adversité. Non, ces lieux, jamais il n’aurait dû les pénétrer, et le responsable de cette intrusion indésirée, c’est silencieusement, qu’on continuait de le maudire.
Les secondes paraissaient presque trop longues. Alors, comme pour amorcer une rencontre, l’un des invités venait de s’avancer. Et plus loin, comme si on l’avait invoquée, c’est la douceur d’une voix qui venait de s’élever. L’hymne de quelques notes joyeuses, un ton qui cachait dans ses langueurs, quelques éclats rieurs, oh, ce qui s’évadait du bout de ce couloir, c’étaient les échos de l’insoupçonné. Une grâce cachée dans la monstruosité, et la silhouette qui, lentement, apparaissait, dévoilait l'impensable dissimulé au milieu de l’illégal. Elle se révélait, cette allure que l'innocence embrassait, et ce corps, c’était la candeur qu’on attrapait dans les bras du vice… Une apaisante blondeur qui s’expose ainsi, quel ennui, elle était l’affligeante révélation d’un séraphin honteusement aligné aux côtés de l’injustice.
- Bah enfin ! C’est pas trop tôt, j’ai…
Sur la cadence d’une délicate allégresse, deux perles grisées s’étaient relevées. Détachées de ce sol que, dans la hâte, on avait fixé, elles avaient conduit le regard de cette créature aux contours de pureté sur le petit groupe qui venait tout juste de rentrer. Et sur le heurt des premières constations, les mots que la légèreté avait fait danser, c’était brutalement qu’ils venaient de tomber. Une phrase que l’on abandonne dans les bras de l’oubli, et la splendide insouciance des traits, laisse soudainement place aux tourments de l’angoisse. Un corps qui s’immobilise, et le visage, c’est pendant quelques infimes secondes qu’il se fige dans la stupeur qui l’embrasse. Les quarts de secondes s’étalent, et la rencontre, la voilà qui s’éternise. La beauté s’éclate contre l’hideur. Ce pourpre noirci, cette infamie qui ronge la chair de l’insensible, il choque ce ciel aux contours de paradis. Un coeur qui, progressivement se sert, et l’esprit, il se noie dans les affres de sa douleur. Il était délicat, ce nouveau tableau qu’avait peint la nuit. Au milieu des spectres ennemis de la moralité, se tenait cette figure presque angélique. Enfant providentiel, devant les images d’un désastre qu’il savait déjà dessiner, il sombrait dans sa peine. Ce rouge, on haïssait le voir tâcher la dureté de ces traits, ceux d’un visage qu’on se maudissait de ne pouvoir protéger. Et lorsqu’alors, cette teinte avait traversé la grisaille, c’était la panique qui l’avait lentement enlacée, l’âme séraphique. Et sous les lueurs d’une cascade ocrée, celles déversées par les astres électriques que l’on gardait prisonnier dans un épais verre, les bijoux de lumière glissaient dans les boucles de cet ange qu’on aurait cru tomber des merveilles célestes. Éloigné des vertus, oh, c’étaient les dieux eux-mêmes qui l’avait déchu. Pauvre garçon. Cette âme qui s’était attachée à ces êtres rongés par une bien terrible maladie, elle affrontait une fois de plus les coûts de cette dérive dans laquelle elle avait elle-même plongé. Inévitable tragédie, c’est que les faiblesses qui parcouraient ces traits candides, oh, elles étaient sublimes. Belle misère, logée ainsi dans cet air, c’était comme si elle éclatait un peu plus la juvénilité de ces lignes. Un fragment d’humanité, oh, ce désespoir qui naissait dans la crédulité, c’est que cette dernière, il l’aurait presque embellie.
- Mon Dieu… Qu’est-ce que… Mais qu’est-ce qui s’est passé ?
L’éclat du ciel s’abat sur les mortels, ces iris, c’était l’éden qu’ils portaient en eux. Et cet ange, devant les créatures que le vice avait abîmé, il ne pouvait pas être moins soucieux. Ces deux joyaux d’innocence, ils éclataient les tourments qui bouleversaient cette voûte nuageuse. Les Hyades, était-ce dans ces douces délicatesses qu’elles s’étaient réfugiées ? Au coeur de ce paradis grisé, c’est qu’on aurait presque pu en attraper une, tentant d’empêcher de faire s’évader ces perles salées que l’on haïssait voir tomber. Détestable sensibilité, contre la froideur de l’inhumanité, c’était éhontément qu’elle s’y était jetée. Infâme compassion, dans quels désastres pouvait-elle bien mener ? Lentement, la fine silhouette s’était de nouveau mue. La grisaille s’assombrit, et dans ces douceurs que l’angoisse anime, c’était le souvenir d’un ciel accablé par la nuit qui venait d'émerger. Pourquoi ne lui répondait-on pas, à ce garçon que l’inquiétude remue ? Pourquoi cette divine splendeur, c’était face au silence que ses affres avaient dû se confronter ?
- Irvine ?
Ce prénom qui avait résonné sur le rythme d’une terrible naïveté, c’était presque dans les bras des divinités qu’il avait été porté. Les iris célestes parcourent le visage que le vice avait ignominieusement amoché. Honte à lui, il fallait la punir, cette vile folie. La maudire, pour ce qu’elle avait fait subir à cette éternelle ataraxie. Terrible apathie, le désastre qui l’avait accablé, il aurait au moins pu le conter. Rassurer cette âme recueillie par l’immoralité, car ses délicates notes, c’est dans la dureté de ces traits qu’elle vient de se noyer. Le coeur de la candeur se serre, et sur cet affreux spectacle, on se noie dans cette mer d’une froideur abjecte. Il n’en avait pas peur, le bel enfant. Accoutumé de ces infâmes indifférences, c’était presque si on avait su les affectionner. Mais, ce visage que l’infamie avait tâché, il avait oppressé son coeur. Comment cette glace qui portait en elle les traces de l’ignominie ne s’était-elle toujours pas brisée ? Les ruines de la violence se confondent dans la blancheur. Sous l’affliction qui valse dans une poitrine étreinte de bonté, on examine les détails d’un visage resté impassible. Et alors, l’âme juvénile, elle se perd dans les travers d’une détestable fragilité. Maudits émois qu’on ne savait pas contrôler… Elle n’était pas comme cette mer aux touches bleutés, car elle, c’était dans la sensibilité qu’elle s’était noyée. Dévorée par les tourments de la compassion, cette délicatesse, elle en resterait à jamais piégée. Imprégné de la brutalité qu’il n’osait imaginer, le regard de l’être aux airs de vulnérabilité avait glissé sur un détail qui lui paraissait évident de remarquer. L’une des mains était entourée d’un morceau de tissu, et cette découverte, Dieu sait qu’elle n’avait rien pour le rassurer. Alors, une nouvelle fois, on s’était heurté contre une implacabilité que le vide enivrait. Oh, Irvine, et si au moins, tu répondais ?
- C’est pas possible… Qu’est-ce qui t’es arrivé ?
Ces deux perles embrasées par la pureté, c’est la glace rougie par le souvenir de la tragédie qu’elles tentaient de percer. Une fidèle amie dont on ne sait la séparer, une danse avec l’indifférence, et le vide de l’ignorance s’étale devant celui qui s’entêtait à la faire tomber, cette amante qu’on ne savait plus supporter. La défaite était certaine, alors, dans un réflexe qu’on n’avait su contrôler, les iris, traîtres des émois qu’on ne savait garder pour soi, ils avaient glissé sur le visage de celui qui avait conduit les âmes amochées jusqu’ici. Peut-être espérait-on que celui-là au moins, daigne répondre aux interrogations qu’un esprit inquiet faisait danser. Aurèle, toi au moins, tu ne t’enfermerais pas dans ce mutisme déplacé, un amour malvenu pour ces tendres enlaçades avec un silence qu’on commence à réprouver. Face à la froideur que des fragments de colère étaient en train de dévorer, il fallait seulement s’incliner. Il pouvait le voir, l’enfant, que cet éternel manque de vigueur, il avait été un peu plus assombri par les désastres de la nuit. Quelque chose occupait l’esprit, mais face à ce rien avec lequel on valsait, les raisons de cette infernale aigreur, il était impossible de pleinement les saisir… Pour le moment, parce que le garçon, la version du plus grand, il comptait bien la découvrir. En attendant, il se satisferait des précisions qu’Aurèle pourrait bien apporter.
- Il a fait une mauvaise rencontre. La bagnole est abîmée sévère, et de ce qu’il m’a dit, t’as sept gars qui les ont poursuivi. C’est tout ce que je sais.
Et sur le rythme d’un récit rapidement expédié, c’est l’horreur qui explose dans ces iris déjà effondrés par l’angoisse. Peut-être que c’était pire que ce qu’on s’était osé imaginer. Les traits façonnés par l’innocence sont déformés, ces sordides révélations, ce sont les affres de la fatalité qu’elles embrassent. Le choc de la vérité trouble cette âme que la peur secoue, et la stupeur, c’est dans ce doux visage qu’elle vient s’abriter. Oh, ce corps, il est traître des émois qui l’habite. Une agitation que l’on ne tente même pas de cacher. Pourquoi faire, ces êtres noyés dans les bras de l’immoralité, elles connaissaient déjà la tendre fébrilité de cette âme que le ciel avait laissé tomber. Les mots s’étaient déversés trop vite, la curiosité avait été attisée, cette poitrine chancelante, on voulait la faire taire, et maintenant, on brûlait pour la suite. Cet aperçu, il n’avait pas su calmer l’ingénu. Au contraire même, ces yeux que le saisissement avait agrandis, ils explosaient l’effarement d’une âme peu accoutumée du vice. Oh, ce ciel que tu portais dans tes iris, Gabrièle, il ne t’avait donc pas conté les débauches de la nuit ?
- Sept ? Y’en avait sept ?! C’est ça ton “petit accident” ?! Sérieusement ?!
La voix menaçait de se briser. Ce ton que l’inquiétude emportait, on aurait presque pu le sentir trembler. Les traits de la tragédie se dessinaient, et l’angoisse, c’est toujours plus qu’elle se déversait. On avait peur pour celui qui ne laissait jamais les affres l'embrasser. On craignait pour la vie de celui qui noyait cette dernière dans la plus terrible des indifférences. Accablant ces cruelles billes d’inhumanité, ce garçon, il semblait presque redonner à la glace ce qu’elle avait délaissé. Une chaleur qu’elle a oublié de porter, une mortalité qu’elle voulait ignorer, et la grisaille, elle éclate contre la froideur, les douceurs de son innocence. Un éclat qui brise ces touches bleutées, cette clarté, venait-elle de trembler ? Ce ciel que la pluie aurait pu emporter, cette voûte que les malheurs terrestres accable, l’avait-il fait frissonner, cette sérénité infâme ?
- Tranquille, tu vois bien, il “respire encore”!
Une intervention déplacée que le jeune garçon semblait presque réprimer. Ce regard qui venait, à nouveau, de se heurter contre les iris de l’orateur maladroit, il n’aurait pas pu être plus expressif. Aurèle, ton humour, il aurait fallu le garder pour toi. Le temps, pour l’enfant, n’était pas aux funestes plaisanteries. Et cette grisaille qui s’était abattue contre les iris du piètre moqueur, c’était comme si elle le menaçait de ne pas recommencer. Une frêle silhouette qui se dresse contre une allure bien plus imposante qu’elle, en voilà, une bien drôle de scène. Et pourtant, celui qui aurait pu détruire le marmot avec une évidente facilité, il s’était presque plié à la nervosité de cet être qu’une folle témérité avait frappé. Oh, ces liens, ça n’était pas l’adversité qui les avait forgés. Les beautés d’une gloire idolâtrée, ces âmes, elles ne les avaient pas aveuglées. Le vice s’imprègne des egos, rongeant en eux, ce qu’il y avait de plus beau. Et l’idiot sombre dans les folies de ses grandeurs, prêt à tout pour attraper ce qu’on a défini comme bonheur, pour que sa splendeur, elle brille jusqu’en haut. Mais comme on ne pouvait vaincre à deux, comme dans les bassesses de ce monde, il n’y avait que son apothéose qui comptait, il fallait se débarrasser des vertueux. Peu importe ce qu’il devait en coûter, après tout, il n’y avait rien de plus important que les somptuosités d’une apogée, splendidement ornée par une fastuosité méritée. Infâmes mirages, regardez où les déboires de ces derniers, ils vous ont menés. Des alliances tâchées fausseté, où chaque corps serait prêt à tuer cet ami, pour récupérer l’or d’un triomphe divinisé. Une guerre d’âmes isolées, se persuadant que dans ces méandres avilissantes, elles étaient seules à pouvoir exceller. Elle est délétère, cette humanité. Des terres pitoyables, rongés par les affres de l’individualité. Des maux qui écorchent la chair de celle qu’on aimait tant enjoliver, ils rongent ces êtres, pour les déshumaniser.
Mais les espoirs, peut-être ne sont-ils pas tous évanouis. Même dans les entrailles de l’immoralité, on pourrait y voir persister, un fragment de bonté. Regardez, les passions brûler ces corps confrontés au malheur de l’un des leurs ? Les traitrises, jamais elles ne naitraient ici. Ces lieux, c’était l’authenticité qui les avaient emplis, et la vérité, elle aurait pu éclater dans une certaine splendeur… Il régnait dans ces coeurs que le vice croyait avoir meurtri, les précieuses affections d’une inestimable fratrie.
- C’est c’qu’il m’a sorti ce con, j’te jure.
- Sérieux, qu’est-ce que vous avez fichu encore ?! Les autres, ils sont où même ? Pourquoi vous étiez pas ensemble ? Et lui, c’est qui ?
L’inquiétude noyait ces mots que l’on enchaînait sans trop réfléchir… Et la maladresse, il aurait fallu la voir venir. Presque innocemment, elle éclate dans cette dernière interrogation, et en désignant celui que l’on n’avait même pas présenté jusqu’ici. Légitimement, on avait demandé d’expliquer la raison de cette présence inopinée. Ce visage inconnu, on aurait aimé savoir s’il s’agissait d’un ami, ou d’un ennemi. Ce corps jamais vu, on aurait aimé connaître quel drame l’avait amené ici. Était-ce le même qu’Irvine ? Certainement. Mais alors, pourquoi cette silhouette, elle ne lui revenait pas ?
- Lukas.
Et enfin, les premiers éclats de la froideur résonnent dans ces lieux sacrés. Les premiers depuis son arrivée, alors qu’on s’était soigneusement affairé à ignorer les précédentes questions, voilà qu’à cette dernière, le grand garçon avait décidé de se réveiller. Une réponse expédiée dans une étouffante indifférence. Et cette réplique, elle semblait avoir encré sur les traits de celui qui l’avait posée, la grimace d’une évidente exaspération. C’est que ces jeux, ils duraient depuis trop longtemps déjà.
- Ah super ! Bah vraiment, merci, ça m’avance bien ça !
Et l’âme se perd dans son incompréhension. Pouvait-on en vouloir, à ce garçon ? Ce prénom froidement lâché, il n’indiquait que l’identité partielle de cette âme que l’on voyait en étranger. Alors, naïvement, la bêtise enlace cet esprit fatigué de ne pas recevoir d’explications concises. Était-ce si difficile, d’expliquer ce qui, ce soir, avait bien pu les accabler ? Elle l’irritait, cette glace, à se complaire dans la mélodie d’un silence parfaitement maîtrisé. L’ironie explose sur ces mots nerveusement jetés. Non seulement quelque chose de grave s’était passé, mais en plus, on s’évertuait à ignorer, avec un soin particulier, ses multiples interpellations… Sauf lorsqu’il s’agissait de balancer froidement, les sonorités d’un prénom qui n’aiderait même pas à comprendre ce qui s’était réellement passé. La goutte de trop, pour une âme fragilisée par les affres de sa compassion, qui se perdait définitivement dans son étrange agitation.
- Et du coup ? Mes autres questions, tu comptes les ignorer ? Je vous jure que tous là, vous sortez pas d’ici tant que j’aurais pas eu mes explications.
- J’ai aucune putain d’idée de ce qui s’est passé moi! J’étais pas là.
- Te dédouane pas toi ! Sérieusement, on me dit de pas m’inquiéter, et ça revient comme ça… Et le pire c’est qu’on m’appelle mais on me dit rien, on fait comme si tout allait bien. “Rien de grave, un petit accident”. Ah oui, tellement petit que l’autre, il rentre avec du sang sur son affreuse face !
L’enfant, c’était les affres d’une soirée bordée de fatalité qui l’avaient emporté… De cette funeste nuit qui aurait pu lui voler cette âme à laquelle il semblait tant tenir. Les fulminations s’évadent dans la paisible atmosphère de ce temple isolé. Sur les rythmes des dernières futilités qu’il continuait de marmonner, l’ange agacé s’était déplacé dans le couloir, pour disparaître dans la noirceur d’un bureau. Avait-on souhaité y trouver du repos ? Avait-on voulu se calmer avant d’affronter à nouveau, ce marbre infernal ? Ou ce remue-ménage que l’on pouvait déjà commencer à attendre, signifiait-il qu’on était en fait, à la recherche de quelques affaires ?
- Eh ben… Je l’ai jamais vu comme ça, le gamin.
- Super, Irvine, tu nous l’a énervé.
Une première remarque lâchée par Sydney, à laquelle Aurèle avait jugé utile d’ajouter sa touche personnelle. Tous deux l’avaient observé partir sur la cadence d’un éréthisme insoupçonné, avant de se diriger vers la salle supposément dédiées aux réunions, dans laquelle la lumière était restée allumée. Suivant le mouvement, le grand garçon avait également entamé sa marche, et de toute évidence, pour l’étranger, c’était les hôtes qu’il devrait suivre. Une fois introduis dans la salle, Sydney et Aurèle s’était dirigés en bout de table, à l’opposé de la porte d’entrée. Irvine, quant à lui, avait simplement attrapé la chaise la plus proche, pour s’y installer dans la plus profonde indifférence. Au loin, on pouvait entendre le garçon inquiet remuer quelques objets dans une des pièces du local. On aurait pu se demander ce qu’il était bien en train de faire, mais il ne fallut pas longtemps avant qu’il ne réapparaisse dans ce lieu de rassemblement, quelques affaires aux mains. Cependant, il n’eut pas le temps de poser ses trouvailles, car immédiatement, le seigneur du silence l’avait assailli d’une question glacialement posée.
- T’as fait quoi du tel ?
- J’ai continué de marcher pendant 15 bonnes minutes, puis je l’ai jeté dans la première poubelle que j’ai croisée. Et au lieu de faire demi tour, j’ai fait une boucle pour revenir par derrière. Juste au cas où.
- Tu l’avais éteint ?
- Juste avant de le jeter. Vraiment, t’as de la chance que, tellement j’ai confiance en vous, j’ai gardé la boîte avec les tels à côté de moi.
Les réponses données semblaient acceptables, car à nouveau, c’est dans cette immuable indolence que l’on s’était enfermé. Et alors, sur les derniers mots, le garçon empli de précaution venait de terminer de déposer ce qu’il s’était embêté à ramener. Du désinfectant, quelques compresses, ainsi que des bandages, c’est qu’on ne voulait pas laisser quelques blessures sans soins appropriés. Alors, après avoir attrapé une chaise qu’on avait rapprochée d’Irvine, la voix s’était élevée, dans une rude douceur. Une mélodie particulière, que l’on aurait presque pu trouver belle.
- Donne-moi ça.
Du regard, on avait désigné la main, dissimulée pour une bonne partie par le tissu noir qui l’enveloppait. Un ordre lâché avec témérité, mais face à celui que l’on connaissait trop bien, on n’avait pas attendu que ce corps inerte s’exécute. D’une brutale délicatesse, on avait saisi le poignet, dans le but d’enlever d’abord, l’accessoire qui protégeait le membre abîmé. Cet enfant, il semblait bien connaître le plus grand, car ce vêtement que l’on croyait ne jamais l’avoir vu porter, on était en train de se demander à qui il pouvait bien appartenir. Un détail frappant, c’est qu’il avait l’oeil, l’enfant.
- C’est pas à toi ça, si ?
Avec une nonchalance déstabilisante, Irvine avait désigné, d’un simple signe de tête, l’étranger dans ce domaine du vice. Accompagnée par le mouvement de cette indélicate froideur, la grisaille avait glissé dans cet océan, que l’on aurait pu croire un peu troublé. En ces eaux inconnues, comment la sérénité aurait-elle pu entièrement l’enlacer ? Et peut-être que l'ingénu, il avait cru saisir dans ces traits étrangers, les fragments d’une malaisance naturelle. Sur la douceur d’une timidité, à laquelle se mêlait la chaleur de la sympathie, il s’était dessiné sur ce visage que la blondeur des boucles décorait, un splendide sourire. Oh, celui-là, c’était comme s’il déversait, sans retenue, toute sa gratitude. Regardez-le, pendant que la glace rongeait ces traits aux doux contours de fragilité, pendant qu’elle s’évertuait dans sa froide patience à attendre que ces jeux s’achèvent, le garçon que l’on n’aurait pensé trouver dans les bras du vice, il volait un temps précieux pour s’adresser à celui que le maître détestait voir en ces lieux.
- Merci d’avoir pensé à ça ! Je peux le nettoyer, si tu veux. J’ai du détachant et tout… On se débrouillera pour te le rendre !
Belle candeur, il n’y avait pas à dire, elle détonnait au milieu de ces monstres que les ombres du vice avaient déshumanisé. Un ange égaré dans les noirceurs, on aurait pu se demander comment ces amis, il les avait trouvés. Ce séraphin abandonné, sa place, selon les apparences, elle n’était de toute évidence pas ici. Trop fragile pour les violences d’un monde dans lequel il peinerait à survivre, cette vulnérabilité, elle ne ferait rien d’autre que le trahir. C’était à se demander comment la faiblesse de l’humanité avait trouvé refuge au coeur d’un monde qui répugne la médiocrité. Oui, à première vue, il n’avait ni la carrure , ni la même force mentale de ces monstres qu’on plaisait à peindre de cruauté. Beauté céleste perdue, cette âme, au fond, c’étaient peut-être les dieux qui l’avait déchue. Enfant d’un paradis que l’on a abandonné, seules les immoralités avait alors accueilli ces perles de pureté. Le sacré l’a chassé du pays des vertus, cet exil, à quoi était-il dû ? Un péché réprimé, et dans le crime alors, éperdument, on s’est élancé. Oh, celui que le ciel avait laissé tomber, qu’avait-il donc à cacher ?
- Regarde la taille du truc… Comment tu t’es fait ça ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Qu’est-ce que vous avez fichu sérieux ?
- Ouais, c’est bon là, raconte nous comment t’as failli crever.
Les énièmes demandes de l’inlassable garçon avaient été appuyées par Aurèle. Tous ici brûlaient de connaître les détails de ce que, pour quelques raisons obscures, on leur gardait occulté. Mais la réticence, elle éclatait sans discrétion. Cette froideur, elle explosait dans l’atmosphère que l’on sent alors vaciller. Irvine, il était éreinté. Mais si encore, il n’y avait eu que cette fatigue, que les épreuves d’un sort joueur avaient intensifié… Non, le pire peut-être, c’étaient ces idées qui, depuis l’horreur, s’engouffraient continuellement dans un esprit qu’on ne savait plus arrêter. Comment l’aurait-il pu ? Ce qui venait de se passer, il devait se l’expliquer. Et affairé à créer des liens qui n’avaient pas été donnés, on s’obligeait à trouver les cause d’un drame mystérieusement abattu. Saisir les infimes indices que les soldats avaient maladroitement laissé, pour permettre à l’âme spectatrice, déceler la vérité dans sa propre tragédie. Mais, Irvine, sa réflexion, ne l’avait-il toujours pas achevée ? Avec ces minutes écoulées, restait-il au pied de ce mur qu’on ne savait contourner ? Et si, au fond, l’exégèse était déjà trouvée ? Si, plutôt, cette infâme colère, c’était son assimilation qui l’avait provoqué ? Qu’en savait-on, l’âme est glaciale, et dans ses yeux, c’est le seul vide qu’on y lit. Comme si rien ne la trahissait jamais, les vérités qu’elle gardait dissimulée, elles ne s'évaderaient que lorsque cette dernière l'aura décidé. Des hypothèses, c’étaient alors les seules choses que l’on pourrait former. Mais, autour, tout un monde attendait le récit que le maître tardait à narrer. Aurèle avait les bras croisés, Sydney fixait cet être que la nuit semblait avoir paralysé… Tous, vraisemblablement, semblaient patiemment attendre que le capricieux des mots daigne enfin accepter ces multiples invitations à s’exprimer. Mais cet énième silence… Peut-être avait-il déjà assez parlé. La clarté des iris se heurte contre les affaires du nouveau soigneur. Décidément, c'était leur jour, à ces apprentis infirmiers. Lui qui se confondait dans l’ignorance de sa douleur… D’autres semblaient décidés à la faire remarquer. Cette chaleur qui s’était évadée lorsque la blessure avait été révélée, il aurait préféré s’en dispenser. La brûlure d’une chair éventrée éclate, et le sang qui, ayant séché sur le tissu, avait été décollé, même toute la douceur de l’enfant n’avait pas réussi à le garder prisonnier. Quelques gouttes déjà, avaient recommencer à perler, mais pas de quoi s’inquiéter.
Gabrièle venait d’imbiber un coton de désinfectant. Déposant délicatement le morceau humidifié sur la blessure, cette rencontre, c’est la douleur qu’elle venait de réveiller. La main se crispe, le corps, il ne sait cacher la brûlure qui s'exalte sur la chair déchirée. Un infime supplice à subir, la paume, elle crie que la torture, enfin, se finisse. Le sang s’échauffe au contact des gouttes alcoolisées, et le rouge qui n’avait pas eu le temps de pleinement sécher, voilà que la violence d’un liquide censé protéger l’avait faire rougir, jusqu’au point de vouloir s’évader. Pour une blessure de cette taille, peut-être qu’elle était encore trop fraîche pour commencer, vraiment à cicatriser. On ne pouvait pas douter de la douleur qu’une pareille plaie devait provoquer… Et pourtant, les affres du corps, le visage dévoré par la froideur semblait en être déconnecté. Aucun de ces traits sévères ne s’était déformé, et dans l’indifférence, c’était inlassablement qu’il valsait. Oh, ignorant le silence qu’il avait lui-même imposé, autour, les âmes pourtant l’attendaient. Des questions avaient été posées, une demande avait été formulée, et ça, on n’allait pas oublier. D’ailleurs, le soigneur improvisé, il n’allait pas laisser cet être bercé par l’inhumanité s’échapper. Ce soir, il n'avait pas le choix. Son mutisme, il ne le garderait pas. Alors, les iris grisés s’étaient relevés, pour, témérairement, venir heurter cette mer dont l’inertie commençait sérieusement à peser.
- Irvine.
Le ciel s’abat contre la violence de ces perles bleutées. Cette glace, la grisaille intensifiée, elle ne la laisserait pas gagner. Enlaçant les contours d’une infâme froideur, ces splendides joyaux de cruauté, oh, elle trouverait bien un moyen de les percer. Les Hyades se sont cachées, accueillies dans les profondeurs de ces beautés brumeuses, peut-être chuchoteraient-elles à cette âme accablée, quels désastres la nuit avait offert à ces âmes meurtries… Et, sans trembler, on affronte la mer que l’inertie a dévorée. Une force qu’offre l’orage, la voûte assombrie, à tout moment, elle savait éclater ces miroirs de l’infamie. Un océan qui se résigne, la légèreté d’une vague pour l’agiter, contre le ciel, Dieu, qui aurait pu gagner ? Palais de la fatalité, c’était dans ces vastes hauteurs qu’elle était scellée, cette funeste infortune.
La glace se détourne. Une lente inspiration est prise, réveillant dans ce souffle, des douleurs que le corps avait piégé. La chute, c’est que ce dernier, il n’avait visiblement pas su l’apprécier. La fierté du marbre ne saurait pourtant se briser, alors, les traits forgés dans la rudesse, même la vive traversée des maux n’avaient pas su les trahir. Ces iris, piégés par les notes d’une colère que le temps n’avait su évanouir, ils balayaient la pièce dans une férocité presque insolente. Une brise qu’on exhale, et enfin, les notes qu’on avait tant prié d’entendre, c’est dans cette insensibilité arrogante qu’elles résonnent. Tu vois, Irvine, ça n’était pas si compliqué, de parler.
- On devait régler quelque chose, on allait rentrer mais quand on est retournés à la merco, deux range-rover nous ont foncé dessus. Elles nous lâchaient pas, je sais même pas combien de temps on a roulé… Bref, les gars ont fini par tirer dans le pneu, on s’est écrasé contre un mur. Lui a pu s’enfuir, moi j’me suis fait rattrapé par les sept.
L’atmosphère, sur ces notes de gravité, sur ces odes à la fatalité, elle semblait presque paradoxalement s’alléger. Le maître narrait, et ce récit qu’on avait brûlé d’écouter, peut-être que le simple fait de l’avoir étalé suffisait à calmer l’horreur qui, pourtant, l’entourait. Après tout, si on avait cédé, c’était sûrement qu’il n’y avait plus à s’inquiéter. L’excitation s’apaise, et sur les prémices de la tragédie qu’on exposait, seule l’angoisse de la suite subsistait. La stupeur qu’une telle histoire provoque, la peur d’imaginer qu’une âme appréciée se soit retrouvée dans les griffes d’un pareil drame… Et l’agacement qu’avait provoqué le silence du conteur, lorsque ses derniers mots s’achevaient, peut-être l’avait-on déjà oublié. Happées par la concision de l’orateur, elles semblaient presque s’être arrêtées de respirer, ces drôles d’âmes. Dans ces esprits stupéfaits, c’était certain la seule chose que l’on se demandait désormais, c’était comment un tel scenario avait-il bien pu se passer. On aurait pu le voir aux regards qui se croisaient, cette situation, personne ne la comprenait. Les traits, ils ne savaient tromper, et c’était alors l’incompréhension que, sans réserve, ils exposaient.
- Ah, parce qu’ils étaient armés ?!
Un mot n’avait pas échappé à la candeur. Détournant ses splendides iris du travail qu’elle avait largement entamé, cette douceur, elle avait tenté de lire cette glace qui ne reflétait pas l’âme. L’inquiétude s’intensifie à la mention de ces fruits funestes, une balle que l’on avait tirée pour stopper la fuite, ces outils façonnés par la fatalité, qui sait à quoi d’autre, ce soir, ils auraient pu servir. Elle est désillusionnée, cette âme. Naïve, comment pouvait-elle s’affliger des violence qui embrasaient ce monde dans lequel pourtant, elle avait fait le choix d’y vivre ? Pitoyable désolation, regardez-la se noyer dans les faiblesses de sa tendre humanité. Regardez ce ciel, embrasser les méandres de la cruauté. Ces iris, ils éclataient dans leur dualité. Gabrièle, il détonnait à côté de cette froide monstruosité. Ces terres, elles n’étaient pas celles de la charité. Ce Royaume de vice, il ne laissait pas la vulnérabilité triompher. Cette présence occulte, elle était de toute évidence un poids à supporter, une fragilité dénoncée, dont il faudrait se débarrasser avant qu’elle n’emporte les autres dans son évidente chute. La fin, on pouvait facilement la prédire, cette âme, tôt ou tard, la fatalité emporterait sa détestable crédulité. Valser avec le danger, quelle stupide idée lorsqu’on s’écroulait face aux brutalités de cette éternelle lutte…
On moque l’âme magnifiée dans sa pureté. Tracé dans le divin, c’est l’amertume du blasphème qu’elle enlace, et dans l’obscurité, c’est avec les démons qu’elle semble avoir lentement dansé. Si les cieux l’ont rejeté, c’est dans les entrailles de l’immoralité qu’elle s’est ainsi jeté, emportant un bout de paradis dont elle s’est jadis éprise, dans ses yeux. Les doutes consument cette candeur décriée, mais dans la laideur de ce monde, elle a su y peindre la beauté. Abandonnant ces vertus qui l’avaient haï, ces infamies emplies d’hideur, le garçon déchu, il en était honteusement tombé amoureux.
Oh, Gabrièle, dans ces noirceurs, c’est la splendeur de la vie qu’il avait su y trouver.
- Et après ? Ils t’ont fait quoi ?
L’enfant inquiet s’impatiente de connaître la suite. L’amant de la froideur avait abandonné son inertie, et ces mots qui s’enchaînaient, on voulait en profiter. Profiter de cette pause qu’on s’octroie de l’éternelle atonie, emmêlé dans les chaînes d’une terrible fatigue, on se surprenait presque à déverser, dans un calme fidèle, les étapes d’un récit invraisemblable. Mais, si la langue s’était soudainement déliée, l’apathie, le grand garçon ne l’avait pas trahie. Un écart à cet esprit qui reste interdit, restait-il que les détails que l’on ne souhaitait pas étaler, on se garderait bien de les énoncer. La concision frappait l’histoire, déjà assez incroyable pour qu’on réussisse à y croire… Et le mystère qu’on souhaitait garder, c’était sans encombre qu’on continuerait de l’imposer.
- Quand j’ai tenté de les semer, ils ont fini par me chopper… J’ai reçu quelques coups, mais ça devait pas être suffisant puisque t’en a un qui a sorti un canif. J’ai juste voulu attraper la lame pour la lui foutre dans sa main. Puis ils sont partis. C’est tout.
- C’est tout ?
Ça paraissait presque invraisemblable. Pourquoi un tel épisode s’était-il déroulé, sans que le poids d’une terrible fatalité n’ait pas accablé le corps plus que ça ? Pourquoi, ce grand garçon, il s’en était presque sorti indemne, alors que les soldats du vice, ils avaient eu à disposition, tous les moyens pour performer leurs infâmes exactions sur cette âme que la nuit avait isolée ? Ces marques qui avaient encré dans son corps, le souvenir du passage de spectres plus puissants, elles paraissaient presque insuffisantes. Et Irvine, il en était conscient. Cette apparition, elle ressemblait presque à un mirage, une aberration qu’on ne parvenait à expliquer. Du moins, c’était ce qu’on se plaisait à laisser penser. Les liens étaient impossibles à faire, et les raisons de l’évènement, il fallait simplement les supposer. Des hypothèses ressassées, qu’à la perfection, on garderait occultées.
- Comment ils t’ont rattrapé ?
- Ils m’ont coincé.
La vérité n’était pas loin de cette réponse formulée dans la concision. Une omission volontaire, peut-être pour ne pas inquiéter davantage l’infirmier improvisé, qui d’ailleurs, semblait avoir bientôt terminé. Un pansement effectué avec un soin irréprochable, on aurait presque pu s’imaginer que ce jeune homme, il était habitué à manier ces bandes dont la blancheur détonnait avec l’horreur du pourpre. Un dernier tour pour parfaire le bandage, puis un morceau de sparadrap est arraché du rouleau pour venir sceller ces portes qui préserveraient la chair meurtrie par la débauche d’un extérieur potentiellement ravageur. Sur ces dernières manipulations, le garçon, c’est une nouvelle question qu’il s’octroie le droit de poser. Le calme a frappé l’âme, et la sériosité, c’est presque son poids qui l’accable. Dans l’esprit interrogé, c’était une bousculade d’émois qu’avait provoqué l’écho de cette dramatique fable.
- Personne t’a tiré dessus ?
- À côté.
Et le regard écrasant se relève sur ce visage indifférent. Comment pouvait-il ressasser le souvenir de l’horreur, dans la plus parfaite des impassibilités ? C’était presque effrayant. Rien ne semblait jamais la toucher, cette glace infâme, et pour y déceler la vérité, c’était trop profondément qu’il fallait y plonger. Un trésor que l’on sait dissimuler, et les réponses qu’on aurait voulu trouver, on n’était même pas sûr de les trouver. Car cette mer inerte, les indices, c’est à la surface qu’elle les laisse. Et si elle décide de les ravaler, oh, il n’y aura plus rien à faire, la vérité, elle disparaît dans ces tréfonds, jusqu’à ce qu’elle ne se décide à les remonter. Bleu mystérieux, contre ces secrets bien gardés, s’enfoncer pouvait être une mauvaise idée. Ces eaux, elles étaient plus fourbes que les cieux.
- Donc c’était pas tout. Vraiment, tu me saoules à raconter la moitié des trucs. Ils t’ont loupé ou c’était fait exprès ?
- Je pense que c’était fait exprès.
S’ils avaient voulu t’ôter la vie, Irvine, ils l’auraient fait. Et tu le savais, ta mort, ce soir, ça n’était pas ce qu’ils étaient venu chercher.
Les faits intrigues, et les incohérences, on essaie doucement de les relever. Mais ça n’était pas le récit que l’on dénonçait, car le narrateur, on le croyait. Pourquoi est-ce qu’il mentirait, après tout. Et si l’un des faits étalé s’avérait être erroné, alors le deuxième témoin du désastre se serait manifesté pour objecter quelques mensonges éhontément évadés… N’est-ce pas ? Non, cette histoire, on ne voulait pas la remettre en cause, bercés par cette confiance que l’on accordait, les mensonges, on se persuadait qu’ils ne seraient pas étalés ce soir-là. Alors, si l’on suspectait seulement quelques oublis volontaires dans cette anecdote, c’étaient seulement les faits que l’on tentait vainement d’expliquer. Et le grand garçon, pour une fois, il était sur le même pied d’égalité que ses auditeurs : il n’était pas détenteur de la vérité.
- Donc les gars sont juste venus te fracasser, puis ils sont partis ? Ils ont rien dit ?
Sur la question qu’Aurèle venait de poser, Gabrièle s’était levé. Bouleversé peut-être par cette histoire qui ne lui avait pas vraiment plus, quelque chose semblait lui avoir traversé l’esprit. Il n’était pas dupe, l'ingénu, dans l’horreur qu’on venait de lui compter, il savait que des omissions avaient été glissées. Les détails, le déroulé de la scène dans son exactitude, ils ne lui avaient pas été donnés. Et, légitimement, alors, on se demandait si, dans sa terrible lutte, il n’était pas tombé. Si un coup n’avait pas été salement placé… Et la tête, avait-elle été touchée ? On voulait vérifier que cette froideur, elle n’avait été victime d’aucun traumatisme. Alors, sans crier gare, le jeune homme s’était avancé, et, à l’aide de ses deux mains, il avait bloqué la vue d’une de ces perles glacées. Enveloppant de noirceur, la clarté de l’iris gauche, c’était une bien drôle d’expérience que l’on était en train de mener.
- Ferme pas les yeux, je vérifie que ta sale tête aille bien.
Et sur le rythme d’une furtive raillerie, le projet avait été brièvement expliqué. Celui que la blondeur des boucles décorait innocemment, en plongeant l’oeil dans le noir, il souhaitait vérifier que la pupille, lorsque la lumière viendrait à nouveau l’enlacer, se dilate sous l’effet de cette brutale caresse. Une simple précaution, car comme le prône le dicton, il valait mieux prévenir que guérir. Une bonne trentaine de seconde s’était alors écoulée, avant qu’à nouveau, l’ocre électrisée ne vienne imprégner les beautés glaciales de ce bleu rongé par l’insensibilité. Comme prié, la bille noircie s’élargit sous le heurt de l’ennemie des ténèbres, et l’âme rassurée, elle laisse s’échapper dans un souffle la constatation d’un examen visiblement réussi. “C’est bon.”, et dans cette sereine délicatesse, le corps retrouve sa place, cette chaise qu’elle ne s’était pas embarrassée d’éloigner de celui qu’elle avait pourtant terminé de soigner. Et une fois le mouvement achevé, Aurèle, revenant à la charge, avait réitéré sa question. Les iris frôlent cette glace qu’on croyait, au moins pour un temps, avoir brisé.
- Du coup, ça te cherche, ça te poursuit, ils te tabassent un peu, puis ça se barre ? Genre, personne t’a vraiment rien dit ?
Le bruit d’une serrure que l’on déverrouille, puis l’indiscrétion d’une porte qui, sans grande retenue, s’ouvre. Et sur cette douce mélodie, les locaux sont dévoilés au groupe nouvellement arrivé. Une entrée qu’un silence accueille, car c’est qu’à l’intérieur, il n’y avait personne pour errer dans ces pièces décorées par une impression d’abandon. Pourtant, dans le couloir qui continuait le vestibule, la lumière avait été laissée allumée. Et comme si on l’avait également oubliée, une autre salle était inondée de cette ocre électrisée. Cloisonnées par des simples vitres majoritairement opaques, même la ligne translucide située à hauteur de tête ne savait pas dénoncer celui qui s’éternisait ici. La porte est bruyamment refermée, avant de signaler à l’intrus qui n’aurait jamais dû pénétrer ces lieux que ce bandeau qui l’empêchait de voir, il pouvait enfin le retirer. Il n’y avait plus de quoi s’inquiéter, les fenêtres étant condamnées, les spectres de ce drôle de bâtiment, ils l’avaient étanchéifié d’un extérieur dénoncé comme ennemi. Mais, Dieu, qu’elle était mauvaise cette idée… Avoir mené ce garçon, que l’on peinait déjà bien assez de ne pas faire complètement tomber dans les bassesses d’un monde dont on aurait dû le tenir éloigné, jusqu’ici… C’était d’une inconscience irraisonnée. Et le roi de ces lieux, il ne semblait même pas avoir trouvé la force de contester. Tant pis. Peut-être était-ce l’opiniatreté notoire de cet ami du vice qui avait réfréné ses désirs de protestation. Parce que cette opposition, c’est autrement qu’elle s’était exprimée : un pesant silence, une colère que l’on ne s’embarrassait pas de cacher… Une désapprobation qui explose dans une froideur que ce désagrément avait exacerbé. Oh, il était certain que la présence de cet enfant, celui que Nyx ne cessait d’attirer dans ses bras, elle dérangeait un seigneur fragilisé par les éclats de l’adversité. Non, ces lieux, jamais il n’aurait dû les pénétrer, et le responsable de cette intrusion indésirée, c’est silencieusement, qu’on continuait de le maudire.
Les secondes paraissaient presque trop longues. Alors, comme pour amorcer une rencontre, l’un des invités venait de s’avancer. Et plus loin, comme si on l’avait invoquée, c’est la douceur d’une voix qui venait de s’élever. L’hymne de quelques notes joyeuses, un ton qui cachait dans ses langueurs, quelques éclats rieurs, oh, ce qui s’évadait du bout de ce couloir, c’étaient les échos de l’insoupçonné. Une grâce cachée dans la monstruosité, et la silhouette qui, lentement, apparaissait, dévoilait l'impensable dissimulé au milieu de l’illégal. Elle se révélait, cette allure que l'innocence embrassait, et ce corps, c’était la candeur qu’on attrapait dans les bras du vice… Une apaisante blondeur qui s’expose ainsi, quel ennui, elle était l’affligeante révélation d’un séraphin honteusement aligné aux côtés de l’injustice.
- Bah enfin ! C’est pas trop tôt, j’ai…
Sur la cadence d’une délicate allégresse, deux perles grisées s’étaient relevées. Détachées de ce sol que, dans la hâte, on avait fixé, elles avaient conduit le regard de cette créature aux contours de pureté sur le petit groupe qui venait tout juste de rentrer. Et sur le heurt des premières constations, les mots que la légèreté avait fait danser, c’était brutalement qu’ils venaient de tomber. Une phrase que l’on abandonne dans les bras de l’oubli, et la splendide insouciance des traits, laisse soudainement place aux tourments de l’angoisse. Un corps qui s’immobilise, et le visage, c’est pendant quelques infimes secondes qu’il se fige dans la stupeur qui l’embrasse. Les quarts de secondes s’étalent, et la rencontre, la voilà qui s’éternise. La beauté s’éclate contre l’hideur. Ce pourpre noirci, cette infamie qui ronge la chair de l’insensible, il choque ce ciel aux contours de paradis. Un coeur qui, progressivement se sert, et l’esprit, il se noie dans les affres de sa douleur. Il était délicat, ce nouveau tableau qu’avait peint la nuit. Au milieu des spectres ennemis de la moralité, se tenait cette figure presque angélique. Enfant providentiel, devant les images d’un désastre qu’il savait déjà dessiner, il sombrait dans sa peine. Ce rouge, on haïssait le voir tâcher la dureté de ces traits, ceux d’un visage qu’on se maudissait de ne pouvoir protéger. Et lorsqu’alors, cette teinte avait traversé la grisaille, c’était la panique qui l’avait lentement enlacée, l’âme séraphique. Et sous les lueurs d’une cascade ocrée, celles déversées par les astres électriques que l’on gardait prisonnier dans un épais verre, les bijoux de lumière glissaient dans les boucles de cet ange qu’on aurait cru tomber des merveilles célestes. Éloigné des vertus, oh, c’étaient les dieux eux-mêmes qui l’avait déchu. Pauvre garçon. Cette âme qui s’était attachée à ces êtres rongés par une bien terrible maladie, elle affrontait une fois de plus les coûts de cette dérive dans laquelle elle avait elle-même plongé. Inévitable tragédie, c’est que les faiblesses qui parcouraient ces traits candides, oh, elles étaient sublimes. Belle misère, logée ainsi dans cet air, c’était comme si elle éclatait un peu plus la juvénilité de ces lignes. Un fragment d’humanité, oh, ce désespoir qui naissait dans la crédulité, c’est que cette dernière, il l’aurait presque embellie.
- Mon Dieu… Qu’est-ce que… Mais qu’est-ce qui s’est passé ?
L’éclat du ciel s’abat sur les mortels, ces iris, c’était l’éden qu’ils portaient en eux. Et cet ange, devant les créatures que le vice avait abîmé, il ne pouvait pas être moins soucieux. Ces deux joyaux d’innocence, ils éclataient les tourments qui bouleversaient cette voûte nuageuse. Les Hyades, était-ce dans ces douces délicatesses qu’elles s’étaient réfugiées ? Au coeur de ce paradis grisé, c’est qu’on aurait presque pu en attraper une, tentant d’empêcher de faire s’évader ces perles salées que l’on haïssait voir tomber. Détestable sensibilité, contre la froideur de l’inhumanité, c’était éhontément qu’elle s’y était jetée. Infâme compassion, dans quels désastres pouvait-elle bien mener ? Lentement, la fine silhouette s’était de nouveau mue. La grisaille s’assombrit, et dans ces douceurs que l’angoisse anime, c’était le souvenir d’un ciel accablé par la nuit qui venait d'émerger. Pourquoi ne lui répondait-on pas, à ce garçon que l’inquiétude remue ? Pourquoi cette divine splendeur, c’était face au silence que ses affres avaient dû se confronter ?
- Irvine ?
Ce prénom qui avait résonné sur le rythme d’une terrible naïveté, c’était presque dans les bras des divinités qu’il avait été porté. Les iris célestes parcourent le visage que le vice avait ignominieusement amoché. Honte à lui, il fallait la punir, cette vile folie. La maudire, pour ce qu’elle avait fait subir à cette éternelle ataraxie. Terrible apathie, le désastre qui l’avait accablé, il aurait au moins pu le conter. Rassurer cette âme recueillie par l’immoralité, car ses délicates notes, c’est dans la dureté de ces traits qu’elle vient de se noyer. Le coeur de la candeur se serre, et sur cet affreux spectacle, on se noie dans cette mer d’une froideur abjecte. Il n’en avait pas peur, le bel enfant. Accoutumé de ces infâmes indifférences, c’était presque si on avait su les affectionner. Mais, ce visage que l’infamie avait tâché, il avait oppressé son coeur. Comment cette glace qui portait en elle les traces de l’ignominie ne s’était-elle toujours pas brisée ? Les ruines de la violence se confondent dans la blancheur. Sous l’affliction qui valse dans une poitrine étreinte de bonté, on examine les détails d’un visage resté impassible. Et alors, l’âme juvénile, elle se perd dans les travers d’une détestable fragilité. Maudits émois qu’on ne savait pas contrôler… Elle n’était pas comme cette mer aux touches bleutés, car elle, c’était dans la sensibilité qu’elle s’était noyée. Dévorée par les tourments de la compassion, cette délicatesse, elle en resterait à jamais piégée. Imprégné de la brutalité qu’il n’osait imaginer, le regard de l’être aux airs de vulnérabilité avait glissé sur un détail qui lui paraissait évident de remarquer. L’une des mains était entourée d’un morceau de tissu, et cette découverte, Dieu sait qu’elle n’avait rien pour le rassurer. Alors, une nouvelle fois, on s’était heurté contre une implacabilité que le vide enivrait. Oh, Irvine, et si au moins, tu répondais ?
- C’est pas possible… Qu’est-ce qui t’es arrivé ?
Ces deux perles embrasées par la pureté, c’est la glace rougie par le souvenir de la tragédie qu’elles tentaient de percer. Une fidèle amie dont on ne sait la séparer, une danse avec l’indifférence, et le vide de l’ignorance s’étale devant celui qui s’entêtait à la faire tomber, cette amante qu’on ne savait plus supporter. La défaite était certaine, alors, dans un réflexe qu’on n’avait su contrôler, les iris, traîtres des émois qu’on ne savait garder pour soi, ils avaient glissé sur le visage de celui qui avait conduit les âmes amochées jusqu’ici. Peut-être espérait-on que celui-là au moins, daigne répondre aux interrogations qu’un esprit inquiet faisait danser. Aurèle, toi au moins, tu ne t’enfermerais pas dans ce mutisme déplacé, un amour malvenu pour ces tendres enlaçades avec un silence qu’on commence à réprouver. Face à la froideur que des fragments de colère étaient en train de dévorer, il fallait seulement s’incliner. Il pouvait le voir, l’enfant, que cet éternel manque de vigueur, il avait été un peu plus assombri par les désastres de la nuit. Quelque chose occupait l’esprit, mais face à ce rien avec lequel on valsait, les raisons de cette infernale aigreur, il était impossible de pleinement les saisir… Pour le moment, parce que le garçon, la version du plus grand, il comptait bien la découvrir. En attendant, il se satisferait des précisions qu’Aurèle pourrait bien apporter.
- Il a fait une mauvaise rencontre. La bagnole est abîmée sévère, et de ce qu’il m’a dit, t’as sept gars qui les ont poursuivi. C’est tout ce que je sais.
Et sur le rythme d’un récit rapidement expédié, c’est l’horreur qui explose dans ces iris déjà effondrés par l’angoisse. Peut-être que c’était pire que ce qu’on s’était osé imaginer. Les traits façonnés par l’innocence sont déformés, ces sordides révélations, ce sont les affres de la fatalité qu’elles embrassent. Le choc de la vérité trouble cette âme que la peur secoue, et la stupeur, c’est dans ce doux visage qu’elle vient s’abriter. Oh, ce corps, il est traître des émois qui l’habite. Une agitation que l’on ne tente même pas de cacher. Pourquoi faire, ces êtres noyés dans les bras de l’immoralité, elles connaissaient déjà la tendre fébrilité de cette âme que le ciel avait laissé tomber. Les mots s’étaient déversés trop vite, la curiosité avait été attisée, cette poitrine chancelante, on voulait la faire taire, et maintenant, on brûlait pour la suite. Cet aperçu, il n’avait pas su calmer l’ingénu. Au contraire même, ces yeux que le saisissement avait agrandis, ils explosaient l’effarement d’une âme peu accoutumée du vice. Oh, ce ciel que tu portais dans tes iris, Gabrièle, il ne t’avait donc pas conté les débauches de la nuit ?
- Sept ? Y’en avait sept ?! C’est ça ton “petit accident” ?! Sérieusement ?!
La voix menaçait de se briser. Ce ton que l’inquiétude emportait, on aurait presque pu le sentir trembler. Les traits de la tragédie se dessinaient, et l’angoisse, c’est toujours plus qu’elle se déversait. On avait peur pour celui qui ne laissait jamais les affres l'embrasser. On craignait pour la vie de celui qui noyait cette dernière dans la plus terrible des indifférences. Accablant ces cruelles billes d’inhumanité, ce garçon, il semblait presque redonner à la glace ce qu’elle avait délaissé. Une chaleur qu’elle a oublié de porter, une mortalité qu’elle voulait ignorer, et la grisaille, elle éclate contre la froideur, les douceurs de son innocence. Un éclat qui brise ces touches bleutées, cette clarté, venait-elle de trembler ? Ce ciel que la pluie aurait pu emporter, cette voûte que les malheurs terrestres accable, l’avait-il fait frissonner, cette sérénité infâme ?
- Tranquille, tu vois bien, il “respire encore”!
Une intervention déplacée que le jeune garçon semblait presque réprimer. Ce regard qui venait, à nouveau, de se heurter contre les iris de l’orateur maladroit, il n’aurait pas pu être plus expressif. Aurèle, ton humour, il aurait fallu le garder pour toi. Le temps, pour l’enfant, n’était pas aux funestes plaisanteries. Et cette grisaille qui s’était abattue contre les iris du piètre moqueur, c’était comme si elle le menaçait de ne pas recommencer. Une frêle silhouette qui se dresse contre une allure bien plus imposante qu’elle, en voilà, une bien drôle de scène. Et pourtant, celui qui aurait pu détruire le marmot avec une évidente facilité, il s’était presque plié à la nervosité de cet être qu’une folle témérité avait frappé. Oh, ces liens, ça n’était pas l’adversité qui les avait forgés. Les beautés d’une gloire idolâtrée, ces âmes, elles ne les avaient pas aveuglées. Le vice s’imprègne des egos, rongeant en eux, ce qu’il y avait de plus beau. Et l’idiot sombre dans les folies de ses grandeurs, prêt à tout pour attraper ce qu’on a défini comme bonheur, pour que sa splendeur, elle brille jusqu’en haut. Mais comme on ne pouvait vaincre à deux, comme dans les bassesses de ce monde, il n’y avait que son apothéose qui comptait, il fallait se débarrasser des vertueux. Peu importe ce qu’il devait en coûter, après tout, il n’y avait rien de plus important que les somptuosités d’une apogée, splendidement ornée par une fastuosité méritée. Infâmes mirages, regardez où les déboires de ces derniers, ils vous ont menés. Des alliances tâchées fausseté, où chaque corps serait prêt à tuer cet ami, pour récupérer l’or d’un triomphe divinisé. Une guerre d’âmes isolées, se persuadant que dans ces méandres avilissantes, elles étaient seules à pouvoir exceller. Elle est délétère, cette humanité. Des terres pitoyables, rongés par les affres de l’individualité. Des maux qui écorchent la chair de celle qu’on aimait tant enjoliver, ils rongent ces êtres, pour les déshumaniser.
Mais les espoirs, peut-être ne sont-ils pas tous évanouis. Même dans les entrailles de l’immoralité, on pourrait y voir persister, un fragment de bonté. Regardez, les passions brûler ces corps confrontés au malheur de l’un des leurs ? Les traitrises, jamais elles ne naitraient ici. Ces lieux, c’était l’authenticité qui les avaient emplis, et la vérité, elle aurait pu éclater dans une certaine splendeur… Il régnait dans ces coeurs que le vice croyait avoir meurtri, les précieuses affections d’une inestimable fratrie.
- C’est c’qu’il m’a sorti ce con, j’te jure.
- Sérieux, qu’est-ce que vous avez fichu encore ?! Les autres, ils sont où même ? Pourquoi vous étiez pas ensemble ? Et lui, c’est qui ?
L’inquiétude noyait ces mots que l’on enchaînait sans trop réfléchir… Et la maladresse, il aurait fallu la voir venir. Presque innocemment, elle éclate dans cette dernière interrogation, et en désignant celui que l’on n’avait même pas présenté jusqu’ici. Légitimement, on avait demandé d’expliquer la raison de cette présence inopinée. Ce visage inconnu, on aurait aimé savoir s’il s’agissait d’un ami, ou d’un ennemi. Ce corps jamais vu, on aurait aimé connaître quel drame l’avait amené ici. Était-ce le même qu’Irvine ? Certainement. Mais alors, pourquoi cette silhouette, elle ne lui revenait pas ?
- Lukas.
Et enfin, les premiers éclats de la froideur résonnent dans ces lieux sacrés. Les premiers depuis son arrivée, alors qu’on s’était soigneusement affairé à ignorer les précédentes questions, voilà qu’à cette dernière, le grand garçon avait décidé de se réveiller. Une réponse expédiée dans une étouffante indifférence. Et cette réplique, elle semblait avoir encré sur les traits de celui qui l’avait posée, la grimace d’une évidente exaspération. C’est que ces jeux, ils duraient depuis trop longtemps déjà.
- Ah super ! Bah vraiment, merci, ça m’avance bien ça !
Et l’âme se perd dans son incompréhension. Pouvait-on en vouloir, à ce garçon ? Ce prénom froidement lâché, il n’indiquait que l’identité partielle de cette âme que l’on voyait en étranger. Alors, naïvement, la bêtise enlace cet esprit fatigué de ne pas recevoir d’explications concises. Était-ce si difficile, d’expliquer ce qui, ce soir, avait bien pu les accabler ? Elle l’irritait, cette glace, à se complaire dans la mélodie d’un silence parfaitement maîtrisé. L’ironie explose sur ces mots nerveusement jetés. Non seulement quelque chose de grave s’était passé, mais en plus, on s’évertuait à ignorer, avec un soin particulier, ses multiples interpellations… Sauf lorsqu’il s’agissait de balancer froidement, les sonorités d’un prénom qui n’aiderait même pas à comprendre ce qui s’était réellement passé. La goutte de trop, pour une âme fragilisée par les affres de sa compassion, qui se perdait définitivement dans son étrange agitation.
- Et du coup ? Mes autres questions, tu comptes les ignorer ? Je vous jure que tous là, vous sortez pas d’ici tant que j’aurais pas eu mes explications.
- J’ai aucune putain d’idée de ce qui s’est passé moi! J’étais pas là.
- Te dédouane pas toi ! Sérieusement, on me dit de pas m’inquiéter, et ça revient comme ça… Et le pire c’est qu’on m’appelle mais on me dit rien, on fait comme si tout allait bien. “Rien de grave, un petit accident”. Ah oui, tellement petit que l’autre, il rentre avec du sang sur son affreuse face !
L’enfant, c’était les affres d’une soirée bordée de fatalité qui l’avaient emporté… De cette funeste nuit qui aurait pu lui voler cette âme à laquelle il semblait tant tenir. Les fulminations s’évadent dans la paisible atmosphère de ce temple isolé. Sur les rythmes des dernières futilités qu’il continuait de marmonner, l’ange agacé s’était déplacé dans le couloir, pour disparaître dans la noirceur d’un bureau. Avait-on souhaité y trouver du repos ? Avait-on voulu se calmer avant d’affronter à nouveau, ce marbre infernal ? Ou ce remue-ménage que l’on pouvait déjà commencer à attendre, signifiait-il qu’on était en fait, à la recherche de quelques affaires ?
- Eh ben… Je l’ai jamais vu comme ça, le gamin.
- Super, Irvine, tu nous l’a énervé.
Une première remarque lâchée par Sydney, à laquelle Aurèle avait jugé utile d’ajouter sa touche personnelle. Tous deux l’avaient observé partir sur la cadence d’un éréthisme insoupçonné, avant de se diriger vers la salle supposément dédiées aux réunions, dans laquelle la lumière était restée allumée. Suivant le mouvement, le grand garçon avait également entamé sa marche, et de toute évidence, pour l’étranger, c’était les hôtes qu’il devrait suivre. Une fois introduis dans la salle, Sydney et Aurèle s’était dirigés en bout de table, à l’opposé de la porte d’entrée. Irvine, quant à lui, avait simplement attrapé la chaise la plus proche, pour s’y installer dans la plus profonde indifférence. Au loin, on pouvait entendre le garçon inquiet remuer quelques objets dans une des pièces du local. On aurait pu se demander ce qu’il était bien en train de faire, mais il ne fallut pas longtemps avant qu’il ne réapparaisse dans ce lieu de rassemblement, quelques affaires aux mains. Cependant, il n’eut pas le temps de poser ses trouvailles, car immédiatement, le seigneur du silence l’avait assailli d’une question glacialement posée.
- T’as fait quoi du tel ?
- J’ai continué de marcher pendant 15 bonnes minutes, puis je l’ai jeté dans la première poubelle que j’ai croisée. Et au lieu de faire demi tour, j’ai fait une boucle pour revenir par derrière. Juste au cas où.
- Tu l’avais éteint ?
- Juste avant de le jeter. Vraiment, t’as de la chance que, tellement j’ai confiance en vous, j’ai gardé la boîte avec les tels à côté de moi.
Les réponses données semblaient acceptables, car à nouveau, c’est dans cette immuable indolence que l’on s’était enfermé. Et alors, sur les derniers mots, le garçon empli de précaution venait de terminer de déposer ce qu’il s’était embêté à ramener. Du désinfectant, quelques compresses, ainsi que des bandages, c’est qu’on ne voulait pas laisser quelques blessures sans soins appropriés. Alors, après avoir attrapé une chaise qu’on avait rapprochée d’Irvine, la voix s’était élevée, dans une rude douceur. Une mélodie particulière, que l’on aurait presque pu trouver belle.
- Donne-moi ça.
Du regard, on avait désigné la main, dissimulée pour une bonne partie par le tissu noir qui l’enveloppait. Un ordre lâché avec témérité, mais face à celui que l’on connaissait trop bien, on n’avait pas attendu que ce corps inerte s’exécute. D’une brutale délicatesse, on avait saisi le poignet, dans le but d’enlever d’abord, l’accessoire qui protégeait le membre abîmé. Cet enfant, il semblait bien connaître le plus grand, car ce vêtement que l’on croyait ne jamais l’avoir vu porter, on était en train de se demander à qui il pouvait bien appartenir. Un détail frappant, c’est qu’il avait l’oeil, l’enfant.
- C’est pas à toi ça, si ?
Avec une nonchalance déstabilisante, Irvine avait désigné, d’un simple signe de tête, l’étranger dans ce domaine du vice. Accompagnée par le mouvement de cette indélicate froideur, la grisaille avait glissé dans cet océan, que l’on aurait pu croire un peu troublé. En ces eaux inconnues, comment la sérénité aurait-elle pu entièrement l’enlacer ? Et peut-être que l'ingénu, il avait cru saisir dans ces traits étrangers, les fragments d’une malaisance naturelle. Sur la douceur d’une timidité, à laquelle se mêlait la chaleur de la sympathie, il s’était dessiné sur ce visage que la blondeur des boucles décorait, un splendide sourire. Oh, celui-là, c’était comme s’il déversait, sans retenue, toute sa gratitude. Regardez-le, pendant que la glace rongeait ces traits aux doux contours de fragilité, pendant qu’elle s’évertuait dans sa froide patience à attendre que ces jeux s’achèvent, le garçon que l’on n’aurait pensé trouver dans les bras du vice, il volait un temps précieux pour s’adresser à celui que le maître détestait voir en ces lieux.
- Merci d’avoir pensé à ça ! Je peux le nettoyer, si tu veux. J’ai du détachant et tout… On se débrouillera pour te le rendre !
Belle candeur, il n’y avait pas à dire, elle détonnait au milieu de ces monstres que les ombres du vice avaient déshumanisé. Un ange égaré dans les noirceurs, on aurait pu se demander comment ces amis, il les avait trouvés. Ce séraphin abandonné, sa place, selon les apparences, elle n’était de toute évidence pas ici. Trop fragile pour les violences d’un monde dans lequel il peinerait à survivre, cette vulnérabilité, elle ne ferait rien d’autre que le trahir. C’était à se demander comment la faiblesse de l’humanité avait trouvé refuge au coeur d’un monde qui répugne la médiocrité. Oui, à première vue, il n’avait ni la carrure , ni la même force mentale de ces monstres qu’on plaisait à peindre de cruauté. Beauté céleste perdue, cette âme, au fond, c’étaient peut-être les dieux qui l’avait déchue. Enfant d’un paradis que l’on a abandonné, seules les immoralités avait alors accueilli ces perles de pureté. Le sacré l’a chassé du pays des vertus, cet exil, à quoi était-il dû ? Un péché réprimé, et dans le crime alors, éperdument, on s’est élancé. Oh, celui que le ciel avait laissé tomber, qu’avait-il donc à cacher ?
- Regarde la taille du truc… Comment tu t’es fait ça ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Qu’est-ce que vous avez fichu sérieux ?
- Ouais, c’est bon là, raconte nous comment t’as failli crever.
Les énièmes demandes de l’inlassable garçon avaient été appuyées par Aurèle. Tous ici brûlaient de connaître les détails de ce que, pour quelques raisons obscures, on leur gardait occulté. Mais la réticence, elle éclatait sans discrétion. Cette froideur, elle explosait dans l’atmosphère que l’on sent alors vaciller. Irvine, il était éreinté. Mais si encore, il n’y avait eu que cette fatigue, que les épreuves d’un sort joueur avaient intensifié… Non, le pire peut-être, c’étaient ces idées qui, depuis l’horreur, s’engouffraient continuellement dans un esprit qu’on ne savait plus arrêter. Comment l’aurait-il pu ? Ce qui venait de se passer, il devait se l’expliquer. Et affairé à créer des liens qui n’avaient pas été donnés, on s’obligeait à trouver les cause d’un drame mystérieusement abattu. Saisir les infimes indices que les soldats avaient maladroitement laissé, pour permettre à l’âme spectatrice, déceler la vérité dans sa propre tragédie. Mais, Irvine, sa réflexion, ne l’avait-il toujours pas achevée ? Avec ces minutes écoulées, restait-il au pied de ce mur qu’on ne savait contourner ? Et si, au fond, l’exégèse était déjà trouvée ? Si, plutôt, cette infâme colère, c’était son assimilation qui l’avait provoqué ? Qu’en savait-on, l’âme est glaciale, et dans ses yeux, c’est le seul vide qu’on y lit. Comme si rien ne la trahissait jamais, les vérités qu’elle gardait dissimulée, elles ne s'évaderaient que lorsque cette dernière l'aura décidé. Des hypothèses, c’étaient alors les seules choses que l’on pourrait former. Mais, autour, tout un monde attendait le récit que le maître tardait à narrer. Aurèle avait les bras croisés, Sydney fixait cet être que la nuit semblait avoir paralysé… Tous, vraisemblablement, semblaient patiemment attendre que le capricieux des mots daigne enfin accepter ces multiples invitations à s’exprimer. Mais cet énième silence… Peut-être avait-il déjà assez parlé. La clarté des iris se heurte contre les affaires du nouveau soigneur. Décidément, c'était leur jour, à ces apprentis infirmiers. Lui qui se confondait dans l’ignorance de sa douleur… D’autres semblaient décidés à la faire remarquer. Cette chaleur qui s’était évadée lorsque la blessure avait été révélée, il aurait préféré s’en dispenser. La brûlure d’une chair éventrée éclate, et le sang qui, ayant séché sur le tissu, avait été décollé, même toute la douceur de l’enfant n’avait pas réussi à le garder prisonnier. Quelques gouttes déjà, avaient recommencer à perler, mais pas de quoi s’inquiéter.
Gabrièle venait d’imbiber un coton de désinfectant. Déposant délicatement le morceau humidifié sur la blessure, cette rencontre, c’est la douleur qu’elle venait de réveiller. La main se crispe, le corps, il ne sait cacher la brûlure qui s'exalte sur la chair déchirée. Un infime supplice à subir, la paume, elle crie que la torture, enfin, se finisse. Le sang s’échauffe au contact des gouttes alcoolisées, et le rouge qui n’avait pas eu le temps de pleinement sécher, voilà que la violence d’un liquide censé protéger l’avait faire rougir, jusqu’au point de vouloir s’évader. Pour une blessure de cette taille, peut-être qu’elle était encore trop fraîche pour commencer, vraiment à cicatriser. On ne pouvait pas douter de la douleur qu’une pareille plaie devait provoquer… Et pourtant, les affres du corps, le visage dévoré par la froideur semblait en être déconnecté. Aucun de ces traits sévères ne s’était déformé, et dans l’indifférence, c’était inlassablement qu’il valsait. Oh, ignorant le silence qu’il avait lui-même imposé, autour, les âmes pourtant l’attendaient. Des questions avaient été posées, une demande avait été formulée, et ça, on n’allait pas oublier. D’ailleurs, le soigneur improvisé, il n’allait pas laisser cet être bercé par l’inhumanité s’échapper. Ce soir, il n'avait pas le choix. Son mutisme, il ne le garderait pas. Alors, les iris grisés s’étaient relevés, pour, témérairement, venir heurter cette mer dont l’inertie commençait sérieusement à peser.
- Irvine.
Le ciel s’abat contre la violence de ces perles bleutées. Cette glace, la grisaille intensifiée, elle ne la laisserait pas gagner. Enlaçant les contours d’une infâme froideur, ces splendides joyaux de cruauté, oh, elle trouverait bien un moyen de les percer. Les Hyades se sont cachées, accueillies dans les profondeurs de ces beautés brumeuses, peut-être chuchoteraient-elles à cette âme accablée, quels désastres la nuit avait offert à ces âmes meurtries… Et, sans trembler, on affronte la mer que l’inertie a dévorée. Une force qu’offre l’orage, la voûte assombrie, à tout moment, elle savait éclater ces miroirs de l’infamie. Un océan qui se résigne, la légèreté d’une vague pour l’agiter, contre le ciel, Dieu, qui aurait pu gagner ? Palais de la fatalité, c’était dans ces vastes hauteurs qu’elle était scellée, cette funeste infortune.
La glace se détourne. Une lente inspiration est prise, réveillant dans ce souffle, des douleurs que le corps avait piégé. La chute, c’est que ce dernier, il n’avait visiblement pas su l’apprécier. La fierté du marbre ne saurait pourtant se briser, alors, les traits forgés dans la rudesse, même la vive traversée des maux n’avaient pas su les trahir. Ces iris, piégés par les notes d’une colère que le temps n’avait su évanouir, ils balayaient la pièce dans une férocité presque insolente. Une brise qu’on exhale, et enfin, les notes qu’on avait tant prié d’entendre, c’est dans cette insensibilité arrogante qu’elles résonnent. Tu vois, Irvine, ça n’était pas si compliqué, de parler.
- On devait régler quelque chose, on allait rentrer mais quand on est retournés à la merco, deux range-rover nous ont foncé dessus. Elles nous lâchaient pas, je sais même pas combien de temps on a roulé… Bref, les gars ont fini par tirer dans le pneu, on s’est écrasé contre un mur. Lui a pu s’enfuir, moi j’me suis fait rattrapé par les sept.
L’atmosphère, sur ces notes de gravité, sur ces odes à la fatalité, elle semblait presque paradoxalement s’alléger. Le maître narrait, et ce récit qu’on avait brûlé d’écouter, peut-être que le simple fait de l’avoir étalé suffisait à calmer l’horreur qui, pourtant, l’entourait. Après tout, si on avait cédé, c’était sûrement qu’il n’y avait plus à s’inquiéter. L’excitation s’apaise, et sur les prémices de la tragédie qu’on exposait, seule l’angoisse de la suite subsistait. La stupeur qu’une telle histoire provoque, la peur d’imaginer qu’une âme appréciée se soit retrouvée dans les griffes d’un pareil drame… Et l’agacement qu’avait provoqué le silence du conteur, lorsque ses derniers mots s’achevaient, peut-être l’avait-on déjà oublié. Happées par la concision de l’orateur, elles semblaient presque s’être arrêtées de respirer, ces drôles d’âmes. Dans ces esprits stupéfaits, c’était certain la seule chose que l’on se demandait désormais, c’était comment un tel scenario avait-il bien pu se passer. On aurait pu le voir aux regards qui se croisaient, cette situation, personne ne la comprenait. Les traits, ils ne savaient tromper, et c’était alors l’incompréhension que, sans réserve, ils exposaient.
- Ah, parce qu’ils étaient armés ?!
Un mot n’avait pas échappé à la candeur. Détournant ses splendides iris du travail qu’elle avait largement entamé, cette douceur, elle avait tenté de lire cette glace qui ne reflétait pas l’âme. L’inquiétude s’intensifie à la mention de ces fruits funestes, une balle que l’on avait tirée pour stopper la fuite, ces outils façonnés par la fatalité, qui sait à quoi d’autre, ce soir, ils auraient pu servir. Elle est désillusionnée, cette âme. Naïve, comment pouvait-elle s’affliger des violence qui embrasaient ce monde dans lequel pourtant, elle avait fait le choix d’y vivre ? Pitoyable désolation, regardez-la se noyer dans les faiblesses de sa tendre humanité. Regardez ce ciel, embrasser les méandres de la cruauté. Ces iris, ils éclataient dans leur dualité. Gabrièle, il détonnait à côté de cette froide monstruosité. Ces terres, elles n’étaient pas celles de la charité. Ce Royaume de vice, il ne laissait pas la vulnérabilité triompher. Cette présence occulte, elle était de toute évidence un poids à supporter, une fragilité dénoncée, dont il faudrait se débarrasser avant qu’elle n’emporte les autres dans son évidente chute. La fin, on pouvait facilement la prédire, cette âme, tôt ou tard, la fatalité emporterait sa détestable crédulité. Valser avec le danger, quelle stupide idée lorsqu’on s’écroulait face aux brutalités de cette éternelle lutte…
On moque l’âme magnifiée dans sa pureté. Tracé dans le divin, c’est l’amertume du blasphème qu’elle enlace, et dans l’obscurité, c’est avec les démons qu’elle semble avoir lentement dansé. Si les cieux l’ont rejeté, c’est dans les entrailles de l’immoralité qu’elle s’est ainsi jeté, emportant un bout de paradis dont elle s’est jadis éprise, dans ses yeux. Les doutes consument cette candeur décriée, mais dans la laideur de ce monde, elle a su y peindre la beauté. Abandonnant ces vertus qui l’avaient haï, ces infamies emplies d’hideur, le garçon déchu, il en était honteusement tombé amoureux.
Oh, Gabrièle, dans ces noirceurs, c’est la splendeur de la vie qu’il avait su y trouver.
- Et après ? Ils t’ont fait quoi ?
L’enfant inquiet s’impatiente de connaître la suite. L’amant de la froideur avait abandonné son inertie, et ces mots qui s’enchaînaient, on voulait en profiter. Profiter de cette pause qu’on s’octroie de l’éternelle atonie, emmêlé dans les chaînes d’une terrible fatigue, on se surprenait presque à déverser, dans un calme fidèle, les étapes d’un récit invraisemblable. Mais, si la langue s’était soudainement déliée, l’apathie, le grand garçon ne l’avait pas trahie. Un écart à cet esprit qui reste interdit, restait-il que les détails que l’on ne souhaitait pas étaler, on se garderait bien de les énoncer. La concision frappait l’histoire, déjà assez incroyable pour qu’on réussisse à y croire… Et le mystère qu’on souhaitait garder, c’était sans encombre qu’on continuerait de l’imposer.
- Quand j’ai tenté de les semer, ils ont fini par me chopper… J’ai reçu quelques coups, mais ça devait pas être suffisant puisque t’en a un qui a sorti un canif. J’ai juste voulu attraper la lame pour la lui foutre dans sa main. Puis ils sont partis. C’est tout.
- C’est tout ?
Ça paraissait presque invraisemblable. Pourquoi un tel épisode s’était-il déroulé, sans que le poids d’une terrible fatalité n’ait pas accablé le corps plus que ça ? Pourquoi, ce grand garçon, il s’en était presque sorti indemne, alors que les soldats du vice, ils avaient eu à disposition, tous les moyens pour performer leurs infâmes exactions sur cette âme que la nuit avait isolée ? Ces marques qui avaient encré dans son corps, le souvenir du passage de spectres plus puissants, elles paraissaient presque insuffisantes. Et Irvine, il en était conscient. Cette apparition, elle ressemblait presque à un mirage, une aberration qu’on ne parvenait à expliquer. Du moins, c’était ce qu’on se plaisait à laisser penser. Les liens étaient impossibles à faire, et les raisons de l’évènement, il fallait simplement les supposer. Des hypothèses ressassées, qu’à la perfection, on garderait occultées.
- Comment ils t’ont rattrapé ?
- Ils m’ont coincé.
La vérité n’était pas loin de cette réponse formulée dans la concision. Une omission volontaire, peut-être pour ne pas inquiéter davantage l’infirmier improvisé, qui d’ailleurs, semblait avoir bientôt terminé. Un pansement effectué avec un soin irréprochable, on aurait presque pu s’imaginer que ce jeune homme, il était habitué à manier ces bandes dont la blancheur détonnait avec l’horreur du pourpre. Un dernier tour pour parfaire le bandage, puis un morceau de sparadrap est arraché du rouleau pour venir sceller ces portes qui préserveraient la chair meurtrie par la débauche d’un extérieur potentiellement ravageur. Sur ces dernières manipulations, le garçon, c’est une nouvelle question qu’il s’octroie le droit de poser. Le calme a frappé l’âme, et la sériosité, c’est presque son poids qui l’accable. Dans l’esprit interrogé, c’était une bousculade d’émois qu’avait provoqué l’écho de cette dramatique fable.
- Personne t’a tiré dessus ?
- À côté.
Et le regard écrasant se relève sur ce visage indifférent. Comment pouvait-il ressasser le souvenir de l’horreur, dans la plus parfaite des impassibilités ? C’était presque effrayant. Rien ne semblait jamais la toucher, cette glace infâme, et pour y déceler la vérité, c’était trop profondément qu’il fallait y plonger. Un trésor que l’on sait dissimuler, et les réponses qu’on aurait voulu trouver, on n’était même pas sûr de les trouver. Car cette mer inerte, les indices, c’est à la surface qu’elle les laisse. Et si elle décide de les ravaler, oh, il n’y aura plus rien à faire, la vérité, elle disparaît dans ces tréfonds, jusqu’à ce qu’elle ne se décide à les remonter. Bleu mystérieux, contre ces secrets bien gardés, s’enfoncer pouvait être une mauvaise idée. Ces eaux, elles étaient plus fourbes que les cieux.
- Donc c’était pas tout. Vraiment, tu me saoules à raconter la moitié des trucs. Ils t’ont loupé ou c’était fait exprès ?
- Je pense que c’était fait exprès.
S’ils avaient voulu t’ôter la vie, Irvine, ils l’auraient fait. Et tu le savais, ta mort, ce soir, ça n’était pas ce qu’ils étaient venu chercher.
Les faits intrigues, et les incohérences, on essaie doucement de les relever. Mais ça n’était pas le récit que l’on dénonçait, car le narrateur, on le croyait. Pourquoi est-ce qu’il mentirait, après tout. Et si l’un des faits étalé s’avérait être erroné, alors le deuxième témoin du désastre se serait manifesté pour objecter quelques mensonges éhontément évadés… N’est-ce pas ? Non, cette histoire, on ne voulait pas la remettre en cause, bercés par cette confiance que l’on accordait, les mensonges, on se persuadait qu’ils ne seraient pas étalés ce soir-là. Alors, si l’on suspectait seulement quelques oublis volontaires dans cette anecdote, c’étaient seulement les faits que l’on tentait vainement d’expliquer. Et le grand garçon, pour une fois, il était sur le même pied d’égalité que ses auditeurs : il n’était pas détenteur de la vérité.
- Donc les gars sont juste venus te fracasser, puis ils sont partis ? Ils ont rien dit ?
Sur la question qu’Aurèle venait de poser, Gabrièle s’était levé. Bouleversé peut-être par cette histoire qui ne lui avait pas vraiment plus, quelque chose semblait lui avoir traversé l’esprit. Il n’était pas dupe, l'ingénu, dans l’horreur qu’on venait de lui compter, il savait que des omissions avaient été glissées. Les détails, le déroulé de la scène dans son exactitude, ils ne lui avaient pas été donnés. Et, légitimement, alors, on se demandait si, dans sa terrible lutte, il n’était pas tombé. Si un coup n’avait pas été salement placé… Et la tête, avait-elle été touchée ? On voulait vérifier que cette froideur, elle n’avait été victime d’aucun traumatisme. Alors, sans crier gare, le jeune homme s’était avancé, et, à l’aide de ses deux mains, il avait bloqué la vue d’une de ces perles glacées. Enveloppant de noirceur, la clarté de l’iris gauche, c’était une bien drôle d’expérience que l’on était en train de mener.
- Ferme pas les yeux, je vérifie que ta sale tête aille bien.
Et sur le rythme d’une furtive raillerie, le projet avait été brièvement expliqué. Celui que la blondeur des boucles décorait innocemment, en plongeant l’oeil dans le noir, il souhaitait vérifier que la pupille, lorsque la lumière viendrait à nouveau l’enlacer, se dilate sous l’effet de cette brutale caresse. Une simple précaution, car comme le prône le dicton, il valait mieux prévenir que guérir. Une bonne trentaine de seconde s’était alors écoulée, avant qu’à nouveau, l’ocre électrisée ne vienne imprégner les beautés glaciales de ce bleu rongé par l’insensibilité. Comme prié, la bille noircie s’élargit sous le heurt de l’ennemie des ténèbres, et l’âme rassurée, elle laisse s’échapper dans un souffle la constatation d’un examen visiblement réussi. “C’est bon.”, et dans cette sereine délicatesse, le corps retrouve sa place, cette chaise qu’elle ne s’était pas embarrassée d’éloigner de celui qu’elle avait pourtant terminé de soigner. Et une fois le mouvement achevé, Aurèle, revenant à la charge, avait réitéré sa question. Les iris frôlent cette glace qu’on croyait, au moins pour un temps, avoir brisé.
- Du coup, ça te cherche, ça te poursuit, ils te tabassent un peu, puis ça se barre ? Genre, personne t’a vraiment rien dit ?
à 15:28 le 03/09/2023
Un vrombissement étouffé par la lourdeur de la nuit s’évade dans l’atmosphère vidée de l’étouffante lourdeur que le désastre lui avait fait porter. Et dans les bras de cette drôle d'accalmie, il y résonne le chant des graviers sur lesquels, plus loin, on est en train de rouler. La blancheur d’une lueur perce les branchages, et les deux corps que la fatigue était en train de faire tomber, se retrouvent baignés d’un éclat presque salvateur. Et cette lumière, ce salut libérateur, elle aveugle les iris habitués aux noirceurs. Le grondement s’approche, et la vitesse de la bête, on aurait pu la deviner à l’écho du roulement des petites pierres qui tapissent le chemin d’ordinaire déserté. C’est qu’il avait l’air pressé, ce sauveur dont on avait prié la venue. Et alors que l’on commençait à apercevoir les courbures du véhicule, l’un des deux corps s’était redressé, comme pour saluer cette arrivée aux airs presque providentiels. La lueur vient s’éclater contre la glace, éblouie par la clarté du soleil électrisé, et comme par réflexe, une main vient se placer devant le visage que la lumière divine était en train d’inonder. Malgré cet éclat aveuglant, on avait su deviner les contours de la voiture dont le propriétaire était attendu. Bonne nouvelle, la première de cette soirée peut-être, ces deux âmes abandonnées, elles étaient bel et bien sauvées.
La bête s'était élancée avec une frénésie mesurée sur ce chemin que l’humanité avait délaissé. Une dernière ligne droite, pour rejoindre les corps embrassés par la difficulté. Cette vitesse rythmée par la fébrilité, peut-être étaient-ce les affres de l'inquiétude qui l’avaient déclenchée. Cet appel à l’aide innocemment lancé, peut-être cachait-il les ombres d’un désastre plus grave que ce qu’on aurait pu imaginer ? À la façon dont la bête était maniée, on décelait presque la nervosité du dompteur impatienté. Dévalant les graviers, se jetant sur les deux corps que le désastre avait épargnés, c’était l’exaltation qui semblait emporter un chauffeur exalté. Malade, peut-être que lui aussi, avait laissé la fièvre de la nuit l’emporter. Perdu dans l’ardeur d’une excitation instable, les passions baignées de danger l’auraient aveuglé, jusqu’à l’égarer dans les risques d’une course effrénée. Oh, ce chauffeur que le délire semblait avoir gagné, allait-il oublier de freiner ?
La bête est élancée, enivrée par l’impatience, on finirait par le plus pouvoir la contrôler… Quelle douce maladie avait pu éprendre cet homme sur lequel les espoirs avaient été sagement déposés ? Oh, quelques secondes de plus dans sa folie, et le drame que la soirée avait commencé, on aurait pu finalement l’achever. Mais, dans une brutalité étonnement maîtrisée, le véhicule est finalement habilement arrêté, et l’ivresse, on l’avait abandonnée. Ou presque. Le rugissement s’évade dans l’atmosphère enlacée par le vice, et alors que le moteur n’avait toujours pas été coupé, la portière du conducteur s’ouvre sur le rythme d’une violence que la nervosité ne parvenait pas à dissimuler. Il semblait impatient, ce conducteur que l’agitation faisait danser, car alors même qu’il ne s’était pas évadé du véhicule, sa voix commençait déjà à valser dans la quiétude nocturne.
- Franchement, t’avais le droit d’être plus précis, hein.
La franchise est relâchée, et c’est sans retenue qu’elle rythmait une voix bercée par une certaine dureté. Qu’il semblait fébrile, ce sauveur improvisé. Et les âmes qu’il était venu chercher, il ne les avaient toujours pas regardées. Perdu dans les reproches qu’il commençait à étaler, peut-être était-il en train d’oublier les raisons de sa venue en ces lieux perdus. Les ruines s’étalent sous ses yeux, mais ces iris, traîtres qui menaçaient de dévoiler l’appréhension qui enveloppait cette imposante carrure, peut-être hésitaient-ils à se confronter à la réalité.
- J’veux bien croire que les tels, c’est chaud, mais vas-y, comment j’te retrouve avec le peu d’info que tu donnes… puis l’autre là, il m’a fait flipper sa mère, j’attendais per-
Et l’effervescence du réquisitoire est chassée par l’étonnement d’une découverte qu’on avait certainement espéré ne pas faire. Oh, Aurèle, quand le message t’avais été porté, qu’est-ce que ton esprit avait bien pu s’imaginer ? Le regard est happé par cette carcasse que l’immoralité, dans sa splendide bestialité, avait rendu inutilisable. Puis, s’imprégnant d’une violence qu’on savait pleinement concevoir, les iris animés par les affres de la révélation insoupçonnée avaient glissé sur celui qui, malgré tout, restait éternellement insaisissable. L’âme est secouée, et devant les ombres du désastre, voilà qu’elle restait interdite.
- Waw…
Et le passager, finalement retiré du véhicule, n’avait pu retenir sa surprise. Éhontément échappée, elle avait dénoncé l’inquiétude de ce second bienfaiteur. Observant avec stupeur le témoin de la violence, lui aussi, avait été visiblement frappé par les angoisses de cette découverte inimaginée. Un choc qu’on peinait à endurer, peut-être qu’une touche d’incompréhension se joignait aux affres provoqués par cette terrible confession. L’horreur avait éclaté, et la nuit, cette âme isolée, elle avait bien failli l’emporter.
- Bah putain… T’as foutu quoi encore ? On m’a parlé d’un “petit” accident… Mais t’as vu ta face ? T’as vu la bagnole ?
Les iris perçaient une glace impénétrable. Même pour cet habitué des froideurs éternelle, l'apathie cruelle, elle était insupportable. On la connaissait bien, cette terrible indolence, et peut-être que l’éclat d’une colère qui se mêle à l’indifférence, elle n’avait rien pour rassurer. La sévérité éclatait, et cette férocité glaciale, on avait préféré brièvement s’en détourner. Les iris que la vitalité agitait constamment venaient de se poser sur le visage du garçon qu’on ne s’était peut-être pas vraiment attendu à retrouver ici… Un vif intérêt pour ce corps qu’on savait étranger aux folies d’un monde que l’empathie n’avait jamais enlacé, cette dépravation, peut-être avait-on voulu s’assurer qu’elle n’avait pas trop abîmé le compagnon de l’enfant du vice. Le corps est rapidement balayé
- Mec… Bordel, qu’est-ce qu’il s’est passé ?!
C’était à l’insensibilité qu’on se heurtait. L’interrogation, la mer abjecte la laissait partir à la dérive, sans jamais rapporter cette missive qu’on lui avait jetée. Le pourpre détonne sur la dureté de la teinte glacée. Les perles de vitalité glissent sur la clarté jamais amochée. Le sang dévore ces touches bleutées, à chaque cataclysme, la neige est tâchée. Immaculée, l’avenir laissait le présager, cette eau limpide, celle-là même qui cache sous cette immuable sérénité, les ombres d’une menace terrible, c’est de rouge qu’elle se retrouvera un jour colorée. Oh, ce soir, cette austérité que la violence n’avait pas effondrée, c’était pourtant la létalité qui aurait pu la submerger. Elle le savait, cette furieuse froideur… Et ce coeur vidé d’ardeur, il n’avait rien pour apaiser l’âme envoûtée par la vigueur. La chaleur s’élève contre cette glaciale hostilité, ces forces opposées, c’était une drôle de synergie qui les avait toujours animées. Mais, Irvine, cette fois-ci, peut-être que tu ferais mieux laisser ta vieille amie de côté.
- Répond putain, commence pas à casser les couilles.
La brutalité explosait les mots, mais ces derniers, c’était l’inquiétude qu’ils essayaient tant bien que mal de cacher. La nervosité berçait l’esprit, et Aurèle, cet être rongé par l’inertie, on commençait à lentement le maudire. C’est qu’on avait besoin de réponses, pour calmer un esprit que l’ignorance finirait par abêtir. Inondé dans les non-dits, on savait imaginer le pire. Alors cette infâme glace, il fallait la bousculer pour, qu’à défaut de réussir à la briser, elle laisse s’évader, au moins les prémices d’une histoire que l’on voulait entendre narrée. Alors, défiant cette implacable austérité, l’éclat de la vivacité continuait d’étreindre ces iris que rien ne faisait vaciller. Et l’habituel engouement qui remuait ce corps s’était comme évaporé, pour laisser place à la rudesse d’une autorité que l’inquiétude, probablement, avait contrôlé. Cette puissante stature, mêlée à la soudaine sévérité qui s’était encrée dans les traits d’un visage étonnement fermé, elle rendait cet homme presque effrayant. Peut-être d’ailleurs que celui que l’on avait gentiment prié de s’exprimer l’avait compris : s’il voulait qu’on le lâche un peu, il allait devoir se plier aux volontés de ce sauveur et son air un peu trop paternaliste.
- Des gars ont déboulé de nulle part, et nous ont suivi.
Alors, enfin, les prémices d’une explication avaient été rudement lâchées. Une terrible austérité qui inonde l'atmosphère, portant dans sa mélodie, les chimères d’un souvenir amer. La froideur, elle s’éternise dans sa colère. Une aigreur restée inexpliquée, mais en face, sûrement qu’on y était habitué. Le résumé du désastre n’était pas suffisant, et pourtant, celui que l’inquiétude semblait étreindre un peu plus, il n’avait pas insisté. Pas pour le moment, du moins. Fin connaisseur de cette âme glaciale qui lui faisait face, sûrement qu’il avait jugé qu’il n’était pas opportun de continuer un interrogatoire pour lequel le témoin n’était pas prêt de coopérer. Qu’il était irritant, cet être qui gardait toutes ses intentions occultées. Qu’elle était infernale, cette constante inexpressivité, abjecte indifférence que, pour une fois, on aurait aimé briser. Mais la férocité est difficile à dompter, et on connaissait suffisamment la bête pour savoir que, pour le moment, il fallait s’arrêter. Une abstention qu’on ne saurait tenir bien longtemps, la curiosité, elle allait tôt ou tard l’emporter. Un défaut qui n’en était pas vraiment un, c’est que, face à ce visage abîmé, on ne pouvait faire autrement que s’inquiéter. Un désir de comprendre enivrant, un besoin de s’assurer que les sorts n'étaient pas scellés, car après tout, il n’y avait rien de plus humain que de vouloir saisir les détails d’un drame difficilement évité.
- Putain. Ben ils vous ont pas loupé.
- Eh Aurèle, faut se dépêcher de la dégager d’ici… Mais tu penses qu’il pourra la réparer ?
Une nouvelle voix s’élève dans les noirceurs qu’une touche de gravité avait doucement enveloppé. L’accompagnateur venait de réapparaître. Alors qu’il s’était noyé dans l’observation du monstre que la folie avait forcé à s’arrêter, le passager s’était relevé pour interpeller celui qui peinait à garder son calme face à l'infernale ataraxie. Dans un moment pareil, il y avait de quoi la haïr.
- Aucune idée. Si pas, y’en a un qui va se faire engueuler.
Et sur la réponse d’Aurèle, c’était sur Irvine que le regard de ce dernier venait à nouveau de se poser. Les sous-entendus éclataient, et il n’y avait pas besoin d’en dire plus pour que l’intéressé comprenne les allusions. Une hiérarchie avare, c’était sans aucun doute qu’elle condamnerait cette dépense qui n’aurait pas dû arriver. Éclatés contre la glace, les derniers mots résonnent dans le silence de la nuit. Un vide entêtant, et sur ces notes fièrement lâchées, un éclat de fureur s’est immiscé dans l’iris abandonné par la vie. Une lueur menaçante, et cette terrible sévérité, on aurait pu se demander pourquoi elle s’était ainsi déchaînée. L’origine de ce rude mécontentement, était-ce cette pauvre réflexion, ou bien le mystère résidait-il dans une autre raison ? Peu importe, car cette infime furie, on avait préféré l’ignorer. À la place seulement, le déversement de commentaires avaient continué, car ça n’était pas les pauvres explications qui avaient été données qui suffiraient à apaiser une âme inavouablement inquiétée.
- Putain, t’as dit à Gab’ que c’était un petit accident… J’me doutais que t’avais raconté de la merde, mais à ce point…
Une dernière fois, les iris se faufilent sur cette carcasse inanimée. Le désir de comprendre brûlait la chair, et l’âme qui s’interdisait de déverser toutes les questions que son esprit avait imaginé poser, elle commençait à s’impatienter sous les mystifications inutilement étalées. Comment un monstre pareil avait-il bien pu être immobilisé ? Et ce grand garçon que rien ne semblait jamais affoler, pourquoi la teinte de létalité avait-elle coloré ce visage prisonnier de son effroyable austérité ? Puis, ce jeune homme qu’on devait déposer, pourquoi était-il encore aux côtés de l’enfant, Roi des sordides immoralités ? Sur le rythme d’une bruyante inspiration, on avait fait taire les pensées. La vérité, elle finirait par lui être dévoilée… Et peu importe si, pour cela, il devrait bousculer cet être baigné dans les songes de la létalité.
- Heureusement que t’as pas pris la mienne.
Une touche d’humour, pour percer la gravité dont l’atmosphère s’était parée. Et sur le rythme de remarque emplie de légèreté, un vague sourire avait décoré le visage du jeune homme qu’on voulait garder éloigné des terreurs que la soirée avait, sur ces deux âmes abandonnées, écroulé. Un instant de silence berce ces lieux imprégnés des ombres d’une infâme fatalité. Terrible nuit, et comme pour défaire les corps que les dieux avaient scellés aux ruines de cette tragédie, un claquement provoqué par la paume des deux mains résonne au coeur de l’infamie. Un réveil, on appelle les prisonniers d’une infortune détestée à sortir de leurs rêveries. La mort, on l’avait chassée, et les angoisses d’un sort dont on ne pouvait se délier, on les faisait violemment tomber. Le destin, dans quelle insanité avait-on cru s’évanouir ?
Il n’était rien, une chimère dans laquelle l’âme se complaisait lassemment, l’avenir, le ciel ne l’avait pas défini. Et des chaînes de la mort, on saura toujours s’enfuir.
- Bon on va pas traîner, montez. Et toi, tu vas répondre aux questions dans la bagnole. Sydney ! On part !
Aucune réponse n’avait été donné à l’ordre qu’Aurèle avait lancé. Simplement, Irvine s’était dirigé vers le véhicule afin d’y récupérer le téléphone qu’on y avait précédemment laissé. Après s’être assuré que rien n’avait été oublié, il s’était dirigé vers la voiture qui, finalement, les ramènerait loin de ces ruines que la mort avait habité, pour monter à l’arrière, derrière le siège du passager, lequel d’ailleurs, venait de sortir des décombres pour lesquels il semblait tant se passionner. Quant à Aurèle, avant de retrouver sa place de conducteur, son regard s’était attardé sur l’invité dans les jeux de l’illégalité. Peut-être qu’une multitude de questions venaient se bousculer dans un esprit déjà bien encombré. Sûrement qu’on se demandait qui il était vraiment. Ce qu’il faisait, pour la seconde fois, entraîné dans des jeux qu’il n’avait pas l’air de pleinement maîtriser. Regardez ce visage, ça n’était pas dans le vice qu’il semblait avoir été forgé. Alors, que faisait-il encore, sur les sentiers de l’illégalité ?
Peu importe. Les interrogations avaient été abandonnées aux pleurs de la nuit, et alors que tout le petit monde venait d’embarquer, le conducteur était à son tour monté, clôturant les douleurs portées par Nyx sur le claquement d’une portière, que les dieux peut-être, auront entendu. Les rideaux se ferment, la fin est signalée, Ésa, écoute le rugissement qui s’évade loin des Hyades, tes furies, on venait de les déjouer.
Oh, de pareilles tragédies, on espérait qu’il n’y en ait plus.
Le chemin qu’on avait traversé dans la frénésie, plus tôt dans la soirée, dévoile ses paysages dans un semblant d’accalmie. La conduite est pressée, mais jamais elle ne pourra égaler l’ivresse qui avait emporté les deux âmes vilement poursuivies. Les secousses paraissent presque douces, et le repos, on aurait presque pu le trouver dans ce voyage délaissé des supplices d’un monde noyé dans le vice. Ce silence dans lequel dansait des touches de sérénités, il accueillait les âmes éreintées à profiter de cette trêve généreusement concédée. Mais cette quiétude, Sydney la brisa pour s’adresser à Aurèle. L’amorce d’un calme dont on se défait, comme un appel à sortir tout ce que l’on aurait à dire.
- T’avais deux pneus crevés…
- Ah ?
Le conducteur semblait intrigué. Après tout, pour quelle drôle de raison deux roues auraient été abimées, sur un temps aussi rapproché ? Étaient-elles déjà endommagées ? Était-ce la faute d’une poursuite enragée sur un chemin tellement accidenté que les pneus avaient cédé ? C’était peu probable. Un 4x4 était justement édifié pour fonctionner sur ce genre de routes remuées par les graviers, et les reliefs d’un terrain qu’on ne s’occupait pas d’entretenir. La remarque lancée par le passager, c’était évident, elle avait attisé la curiosité grandissante d’un conducteur gardé éloigné du récit dramatique. C’est qu’il finirait par s’impatienter, d’être ainsi enfermé dans des mystères qu’il était pourtant en droit de se voir révéler. Après tout, de cette tragédie, il en faisait au moins un peu partie. Tous égarés dans le vice, c’était ce monde détérioré par la folie des hommes qu’ils partageaient, dans une solidarité supposée sacrée. Douce fraternité tant glorifiée, n’était-elle qu’un mirage que l’on tentait vainement de dessiner ? On savait que non. Celui qui occultait les ombres de sa fatalité, peut-être était-ce pour de bonnes raisons. Peut-être attendait-on que l’esprit s'éclaircisse dans les réponses. Ou peut-être encore voulait-on protéger cette seconde famille d’une réalité qu’elle n’était pas prête à voir révélée. Mais peu importe qu’elles soient légitimées, ces infernales dissimulations, de l’autre côté, on avait besoin de savoir. Alors, les lèvres s'entrouvrent, probablement dans l’intention de déballer ces questions qui commençaient à échauffer l’esprit, mais le chauffeur est vivement coupé par celui qui, derrière, se faisait bien calme. Une détestable habitude, car ce soir, sûrement qu’on aurait aimé le voir un peu plus bavard.
- Dépose-moi chez moi.
La froideur éclate. L’austérité de ces mots rudement lancés, elle résonne dans l’habitacle qu’un terrible silence avait de nouveau rongé. Cette vigueur que l’on avait cru voir naître dans les prémices d’une conversation entamée est subitement retombée, et le rythme infernal qu’a apporté l’ordre sévèrement craché, c’est une infâme rigidité qui vient l’enlacer. Elle ne savait pas s’arrêter, cette glace dévorée par l’indifférence. Déversée dans un paysage qui se confondait dans l’ivresse d’une vitesse modérée, elle détruisait les aurores d’une ambiance timidement allégée, cette impitoyable présence. Le heurt de deux iris qui se rencontrent fracasse le miroir du rétroviseur intérieur. Le conducteur, noyé dans la langueur de sa sidération, c’était sans effroi qu’il avait croisé ces perles inhumaines. Le sens de cette demande brutalement évadée, l’avait-on correctement assimilée ?
- Chez toi? Genre, chez ta mère?
Une innocente interrogation, demandant à ce que la requête soit plus clairement reformulée. Au fond, on espérait certainement que le plus grand se soit mal exprimé. Peut-être apparaissait-elle aberrante, pour ce chauffeur qu’un tel non-sens semblait visiblement affecter. Un sourcil s’était arqué, les expressions de ce dernier, elles trahissaient le moindre émoi qui aurait pu le traverser. Il ne s’en cachait pas, et pour parvenir à affronter cette cruelle indolence, oh, il fallait au moins ça.
- Oui.
Un rire s’échappe dans un souffle incontrôlé. Derrière cette fugue, se mêle une nervosité baignée d’exaspération. Décidément, ce marbre, il mettait les nerfs à rude épreuve. L'absurdité explosait dans cette affirmation éhontément présentée. Oui, qu’on l’avait entendu dire. Oui, il voulait rentrer chez cette mère, avec un visage décoré par les traces du sang que le temps avait commencé à faire sécher. N’était-ce pas une excellente idée, que d’apparaître devant cette figure maternelle, la chair rougie par les violences de la nuit ? D’ailleurs, cette décision, il semblait pleinement l’approuver, le conducteur rongé par les traîtresses de son esprit. Regardez ce drôle de sourire que l’ahurissement avait déformé. Oh, les volontés du seigneur baigné dans son immuable ataraxie… Comment pouvait-il les refuser ? Après tout, face à ces voeux, il ne pouvait que dire oui.
- Ben ouais, bien sûr. Et tu penses qu’elle va réagir comment ? T’as vu ta gueule? Ton état ? Je ramène personne nul part, c’est direction le lo-
- Aurèle.
- Aurèle il est sérieux. Je rêve, il veut rentrer chez lui. L’autre il a du sang plein la face mais il veut rentrer chez lui. Et s’il te voit, il va dire quoi le p’tit ? Hein, t’y as pensé ?
Oh, si un regard pouvait tuer… La glace du petit miroir intérieur se serait déjà brisée. L’infernale froideur dévore les iris du conducteur que l’inquiétude avait l’air d’avoir visiblement bien agité. Aurèle tu ferais mieux de te taire, les détails de la vie, on préférait qu’ils ne soient pas sortis ici. Ce regard, il te fusille, et peut-être qu’inconsciemment, tu l’avais compris. L’attention est de nouveau centré sur la route que l’on venait de retrouver, abandonnant les graviers et les secousses qui fatiguaient le corps, peiné d’être ainsi remué.
- Non non, toi tu vas aller lui raconter ton “petit” accident,
- Je respire encore, non ? Alors c’est bon, tout va bien.
La folie était en train de l’étreindre, cette âme infâme qui s’amusait des mirages de la mort. La glace valse sur ces mots dénués de vitalité, la létalité, elle semblait presque l’avoir embrassée. Regardez avec quelle indifférence on se joue de celle qui, en cette terrible soirée, aurait pu s’abandonner dans les entrailles d’un corps que le seul vide avait animé. Il est oublié, le trésor. La vie qu’on lui avait généreusement laissée, c’était avec un désintérêt effronté qu’il la considérait. Et cette sordide désinvolture, on semblait fermement la blâmer. L’inquiétude n’était pas retombée, et bercés dans l’ignorance d’un drame toujours pas dévoilé, ces mots, c’était dans le malaise qu’ils avaient plongé ce coeur préoccupé.
- Tu vas voir quand tu respireras plus si tu vas faire le malin comme ça.
- C’est sûr, je serais plus là pour ça.
Et sur cette dernière remarque, la froideur s’était échappée dans un souffle presque rieur. Une plaisanterie détonante, que le conducteur semblait d’ailleurs réprimer… Du moins, si un sourire n’était pas venu s’immiscer sur les traits de ce visage, marqué par une sériosité plus criante qu’à l’accoutumée. C’est que cette inhumanité, elle l’amusait comme elle l’ennuyait. Il la maudissait, comme il avait appris à l’affectionner. Et cette légèreté avec laquelle on se moquait de la mort… Elle valsait entre l’apaisement et l’inquiétude. De cette fatalité qui risquait d’écrouler ce bijou de l’humanité, comment savait-on à ce point s’en détacher ? Précieuse vitalité qui animait ces corps dans les méandres d’un vice glorifié, était-elle autant dévalorisée ? Les esprits s’éveillent dans ces jeux défiant leurs destins que le ciel avait scellés, et l’inévitable, comme pour l’ignorer, on s’évertuait à s’en moquer. Les affres d’un sort funestes se dissipent sous les railleries, et l’ironie, elle était peut-être le seul moyen de cette sordide réalité.
Un jour peut-être, le souffle manquera pour étouffer les rires. Et alors, l’éclat provoqué par ces viles satires, on le verra, dans le gouffre de l’éternité, s’évanouir.
- Mec, il est hors de question que je dise à ta daronne que son fils s’est fait descendre. Putain, sérieux Irvine, il s’est passé quoi ? Et ils étaient combien ?
- Sept.
- Contre deux. Bordel, vous étiez que deux. Et encore, l’autre, il était même pas armé. Et eux, ils l’étaient ?
- Oui.
Une injure réfrénée, noyée dans un soupir que les tourments de la crainte ne savaient plus cacher. La gravité de ce qui s’était déroulé en cette sombre soirée, on ne s’embarrassait pas de la dissimuler. Au contraire peut-être, on voulait éclater à celui qui narrait les faits sans trop s’abandonner dans des détails, la sériosité de cette histoire partiellement contée. Pourtant, le récit, on aurait aimé l’avoir dans son entièreté. Jugeait-on certains éléments superfétatoires, ou la raison d’un exposé éclipsé était toute autre ? Au fond, on ne faisait que répondre aux questions posées. Aucun devant n’avait été pris pour lever ce voile étouffant les réalités du drame , et de toute évidence, ce drap de mirages, on ne ferait aucun pas pour le déchirer. Alors, le curieux, s’il voulait pouvoir reconstruire cette histoire décousue grâce aux bribes d’informations ingénieusement attrapées, il fallait forcer l’âme silencieuse à les faire s’échapper. On avait besoin de savoir, et ce marbre, oh, il en savait bien plus que ce qu’il disait.
- On les connaît?
- Non.
- Non ? Genre… Genre pas du tout ?
- Jamais vu.
- Ben apparemment, eux si. Putain. T’sais quoi ? C’est un miracle que tu sois pas crevé aujourd’hui. Entre c’t’aprèm et ce soir là… Va falloir que tu t’calmes, j’ai juré que j’ai la flemme de t’enterrer.
- Si on retrouve pas mon corps ça risque d’être compliqué.
- Mais ta gueule putain.
Et alors qu’un soupir s’était bruyamment échappé sur le rythme de l’injure, le passager d’à côté, lui, c’était un vague rire qu’il n’avait pu retenir. Décidément, cette danse avec Moros, loin d’avoir traumatisé ce corps amoché par les frénésies d’un vice exalté, ces terreurs nocturnes, elles l’auraient presque revigoré. La noirceur s’évade des réflexions sordidement lâchées, cette fin que la vie craint, regardez comment ces âmes la dénaturent. Elle explose, la désinvolture, et celui qui aurait pu embrasser l'inévitable, il en joue toujours un peu plus. Une âme épargnée, et ce cadeau qu’on lui a laissé, voyez l’effronterie avec laquelle elle le gratifie. Elles sont funestes, ces moqueries, mais peut-être que sur leur rythme, c’était d’une sinistre fatalité dont on souhaitait se délier. Un sceau que l’on tente de briser, car dans ce monde rongé par les chimères que le vice avait dévoilé, cette infamie magnifiée, on voulait s’en évader. Et, audacieusement, on la relativisait, cette sombre maladie. Mais, la chair est consumée, les tares de l’humanité sont bassement dévoilées. Les rêveries sont malmenées par les spectres de l’impureté, et dans le ciel, une lame se corrode. Bientôt brisée sous une débauche qui l’abime, elle laissera pleuvoir sur ces âmes prisonnières des travers qu’elles avaient passionnément enlacé, les fragments d’une fatalité dûment servie.
Splendide tragédie, elle éclate dans les iris de ces enfants déshumanisés, la fin de l’histoire, oh, c’est déjà tragiquement qu’elle est définie.
- T’as oublié de tourner.
- Quoi ?
- C’était à droite.
- J’t’ai dit quoi ? Je ramène personne chez lui. On va vérifier que tout aille bien, toi tu vas aller lui avouer que ton petit accident a frôlé le drame, et j’suis désolé mais je fais pas de détour pour en déposer un je ne sais où, c’est bon. Ça va pas être long, je sais même pas ce qu’il s’est réellement passé, donc je préfère pas prendre de risques. Et si ça vous va pas, c’est la même.
La réponse ne saurait être plus claire. À l’invité derrière, celui dont la présence aurait presque pu être oubliée, on lui faisait implicitement comprendre qu’il resterait prisonnier de ce monde qu’il n’était pas censé côtoyer, un peu plus longtemps encore. Peut-être aurait-on pu comprendre le conducteur. Après tout, il commençait à se faire tard, et s’il pouvait limiter ses trajets, alors il n’allait pas s’en priver. Puis, il n’y avait pas de quoi s’inquiéter, la confidence berçait ces corps connus des déboires du vice, alors de ces splendeurs mystifiées, il n’y avait personne ici dont il fallait les cacher…
Personne, vraiment ?
L’un des passagers n’était visiblement pas de cet avis. La froideur s’éveille, et le silence, Dieu qu’il est criant. Ce miroir, à de nombreuses reprises, il aurait pu se briser sous la pression d’un pareil éclat. Et le chauffeur, ces perles devenues presque bavardes, il semblait les avoir comprises. Alors même qu’aucun mot n’avait été lâché, alors même qu’aucun son ne s’était échappé de cette âme assagie dans sa froide colère, la danse de ces touches bleutés avait été saisie.
- Sérieux ? Tu nous l’a emmené dans deux traquenards déjà, j’pense que c’est bon là…
Mais visiblement, non. L’iris se heurte une fois de plus dans la glace du rétroviseur. Oh, ce garçon que l’on avait immiscé dans les enlaçades d’une immoralité infâme, il n’était pas le bienvenu dans les abysses de ce monde que les vertueuses idées avaient condamné. Peut-être aurait-il fallu t’y attendre, Irvine. Toi qui l’avais amené à la surface de ces eaux troublées par les tares de l’humanité, c’est immanquablement que, plus profondément, il aurait été entraîné. Et te voilà devant le fait accompli : ce sanctuaire que tu t’affairais tant à garder occulté, l’étranger allait le profaner. Et le choix de contester cette intrusion inconsidérée, on te faisait comprendre que tu ne l’avais plus vraiment. Si cette immixtion paraissait déjà inadmissible, il était clairement inconcevable de laisser un océan observateur balayer le paysage qui le mènerait jusqu’au panthéon que ce bas monde avait sacré. Et peut-être que ça, au moins, le conducteur l’avait finalement compris.
- Désolé gamin, il est parano, va falloir que tu mettes ça. Et si j’étais toi, j’essaierai pas de l’enlever en douce.
Un bandeau servant à cacher les yeux avaient été récupéré, avant d’être tendu à celui que l’on n’acceptait pas totalement ici. Lorsqu’il fut attrapé, la main avait été reposée sur le volant, et dans l’ombre d’un mesquin sourire, on avait continué sa route. Mais visiblement, le passager avant était intrigué par la présence du tissu dans ces lieux, et c’est dans une douce raillerie qu’il comptait exprimer son interrogation.
- Qu’est-ce que tu fiches avec ça dans ta bagnole…
- Avec l’autre fou, vaut mieux en avoir.
- Tu parles, avoue, tu te tapes tes meilleures siestes quand t’es supposé bosser, mais tu supportes pas la lumière alors…
- Vas-y, ferme-la.
Et sur l’écho des faibles rires, la légèreté se dissipe. Le silence retombe, pour écrouler les âmes éreintées par les affres de la nuit. Une mer bercée par l’accalmie se confond dans l’ivresse du décor qui défile, et, fermée dans son agressive froideur, l’âme s’enferme dans cette colère restée interdite. L’océan, à côté, c’est dans les noirceurs de l'inconnu qu’on l’a submergé. Les paysages, il n’aura qu’à se les imaginer. Et si le souvenir de l’ignominie refait surface, alors tant pis. La froideur, c’est cette furie qu’elle ressasse. Inlassable, elle est là, sûrement, la raison de cette austérité exacerbée. Un esprit irrité qui sombre dans les méandres de ses pensées, parce que le drame que les Hyades avaient pleuré, il fallait bien réussir à l’expliquer. Parce que ce qui venait de s’écrouler, on ne voulait pas le voir recommencer. Faire attention avec qui l’on se permettait de jouer, car la vie, ce soir, elle aurait bien pu le quitter.
Les minutes défilent, et le temps, l’un ne le voit pas passer. La familiarité d’un environnement jauni par l’ocre des soleils emprisonnés réveille l’âme endolorie dans son silence. Le devoir est rappelé, et les priorités, la fatigue ne les laissait pas s’oublier. Alors, brisant la sérénité qui avait enveloppé ces âmes reposées, une terrible voix détonne dans l’écho de son indifférence. Elle aurait presque pu les faire sursauter, ces êtres qui avaient presque oublié cette étonnante inhumanité.
- Arrête-toi.
- Hein ?
- Arrête-toi.
- Pourquoi ?
L’éclat d’un regard avait forcé le conducteur à s’exécuter, alors même qu’aucune réponse n’avait été donnée à ses interrogations, certainement fondées. À la place seulement, c’est cet éternel silence qui avait bercé les mouvements d’un corps dont les intentions restaient occultées. Le véhicule s’était arrêté sur le côté, et le chauffeur, c’était dans l’incompréhension qu’il sombrait. Ils n’étaient pas arrivés au temple qui logeait en son coeur, les ombres de la sainteté, alors, si loin du but, pourquoi s’était-on interrompu ? Les réponses, c’étaient les mouvements d’un corps animé par aucune chaleur. De sa propre poche, on venait d’extirper deux téléphones. Et à côté, sans même demander, la veste du passager avait été brièvement fouillée pour y récupérer ce troisième appareil, qu’on ne voulait pas risquer de faire pénétrer dans des lieux mystifiés. Le sac abimé aux pieds de l’invité indésiré avait été à son tour ramassé, et sous le silence écroulé dans l'habitacle étonné, on s’était évadé de la voiture. La portière n’avait pas été refermée, et pourtant, on ne s’était pas gêné pour exprimer le fond de ses pensées.
- On dirait un malade.
- J’te jure…
- Ça risque d’être pire.
- On est bien barrés avec ça.
- T’inquiète pas gamin, si tes affaires disparaissent, tu les lui fera payer !
- Et tu demande un dédommagement en prime !
En observant ce corps éternellement indolent dissimuler les affaires dans un des bosquets d’une rue peu passante, on semblait presque s’inquiéter de la psychose qui commençait à l’embraser. Toutes ces précautions, étaient-elles vraiment utiles ? Ou s’évertuait-on dans le futile, pour rassurer l’esprit et se persuader qu’avec tout ça, les risques devenaient limités ? Peu importe. On préférait se tuer à penser au moindre détail que de se maudire par la suite d’avoir été trop négligent. Et ces moqueries, au fond, elles se confondaient presque dans l’innocence. On savait les risques grands. Les railleries étaient faciles, et dans cette légèreté, peut-être cherchait-on seulement à soulager une atmosphère trop souvent alourdie par la dureté de cette âme moquée. Et alors que cette dernière retrouvait justement ses pas, on continuait de la chercher. Un claquement de portière, et l’être que le marbre avait édifié venait finalement de retrouver sa place. On pouvait redémarrer, mais ça ne serait pas sans l’éclat d’une énième moquerie.
- C’est bon, t’es soulagé ?
L’iris vient, une nouvelle fois, se briser dans le miroir. Cette vile offense, on ne s’embarrasserait pas d’y répondre. Le corps était meurtri, et cette courte échappée avait rappelé la violence de la nuit. Il espérait, le grand garçon, que cette légère douleur ne dure pas trop longtemps… Il avait besoin d’être pleinement libre de ses mouvements. Quoiqu’il en était, un signe avait été lancé au conducteur. Un mouvement qui s’évade dans la pénombre, on demandait en réalité à ce que, plutôt que le chemin soit continué normalement, des tours soient fait, comme pour perdre un esprit qui aurait voulu retenir un trajet que la vue ne pouvait pourtant pas capturer. Savait-on jamais… Oh, elle devenait presque risible, cette prudence. Peu importe, au moins, des risques que l’on avait jugé possibles, il n’aurait pas à s’en inquiéter. En s’occupant de les effacer avant même qu’ils ne soient nés, on s’assurant, en quelque sorte, une certaine tranquillité. Dans tous les cas, le véhicule venait de redémarrer, et une fois de plus, c’est dans le silence que l’habitacle avait été submergé. C’est seulement après l’écoulement d’une bonne quinzaine de minutes que le véhicule, de nouveau, s’était arrêté. Pourtant, le bâtiment sacré, ça n’était pas en ces lieux qui s’élevait. Alors pourquoi, dans le coeur de la pénombre, les portières s’étaient-elles ouvertes ? Pourquoi le conducteur venait-il d’accompagner la descente de celui que l’on avait délibérément aveuglé ? La laborieuse épopée, n’était-elle pas encore achevée ?
- Gamin, j’espère que t’as de l’équilibre, va falloir marcher à l’aveugle !
Pas encore. C’était maintenant une dizaine de minutes de marche qu’il faudrait entamer, afin de pouvoir, finalement, atteindre le sommet pour lequel la fastidieuse aventure avait été entreprise. Des précautions peut-être futiles, mais dans le, sait-on jamais, il n’y avait rien qui paraissait vraiment inutile. Les claquements résonnent, un tintement se dissipe dans la nuit pour atteindre les nuages grisés. Ce véhicule qu’on venait d’éteindre, il annonçait le début de l’effort ultime. Les Hyades endormies leur laisseraient cette accalmie, et, sans se risquer à affronter la pluie, c’était sereinement qu’on avait amorcé l’avancée. Cependant, pour le garçon à qui on avait fait perdre la vue, ça n’était pas dans une parfaite tranquillité qu’il saurait se déplacer. Alors, dans un élan de bonté peut-être, ce fut Aurèle qui se chargea de le guider un peu, afin d’éviter qu’il ne soit laissé seul face à l’ignorance que lui avait apporté l’obscurité. Une situation qui semblait visiblement l’amuser, tant ce vif sourire ne l’avait plus quitté. L’image d’une vigueur retrouvée, cette sériosité qu’avaient fait tomber les affres de l’inquiétude, il ne fallait visiblement qu’un rien pour la faire momentanément tomber.
La bête s'était élancée avec une frénésie mesurée sur ce chemin que l’humanité avait délaissé. Une dernière ligne droite, pour rejoindre les corps embrassés par la difficulté. Cette vitesse rythmée par la fébrilité, peut-être étaient-ce les affres de l'inquiétude qui l’avaient déclenchée. Cet appel à l’aide innocemment lancé, peut-être cachait-il les ombres d’un désastre plus grave que ce qu’on aurait pu imaginer ? À la façon dont la bête était maniée, on décelait presque la nervosité du dompteur impatienté. Dévalant les graviers, se jetant sur les deux corps que le désastre avait épargnés, c’était l’exaltation qui semblait emporter un chauffeur exalté. Malade, peut-être que lui aussi, avait laissé la fièvre de la nuit l’emporter. Perdu dans l’ardeur d’une excitation instable, les passions baignées de danger l’auraient aveuglé, jusqu’à l’égarer dans les risques d’une course effrénée. Oh, ce chauffeur que le délire semblait avoir gagné, allait-il oublier de freiner ?
La bête est élancée, enivrée par l’impatience, on finirait par le plus pouvoir la contrôler… Quelle douce maladie avait pu éprendre cet homme sur lequel les espoirs avaient été sagement déposés ? Oh, quelques secondes de plus dans sa folie, et le drame que la soirée avait commencé, on aurait pu finalement l’achever. Mais, dans une brutalité étonnement maîtrisée, le véhicule est finalement habilement arrêté, et l’ivresse, on l’avait abandonnée. Ou presque. Le rugissement s’évade dans l’atmosphère enlacée par le vice, et alors que le moteur n’avait toujours pas été coupé, la portière du conducteur s’ouvre sur le rythme d’une violence que la nervosité ne parvenait pas à dissimuler. Il semblait impatient, ce conducteur que l’agitation faisait danser, car alors même qu’il ne s’était pas évadé du véhicule, sa voix commençait déjà à valser dans la quiétude nocturne.
- Franchement, t’avais le droit d’être plus précis, hein.
La franchise est relâchée, et c’est sans retenue qu’elle rythmait une voix bercée par une certaine dureté. Qu’il semblait fébrile, ce sauveur improvisé. Et les âmes qu’il était venu chercher, il ne les avaient toujours pas regardées. Perdu dans les reproches qu’il commençait à étaler, peut-être était-il en train d’oublier les raisons de sa venue en ces lieux perdus. Les ruines s’étalent sous ses yeux, mais ces iris, traîtres qui menaçaient de dévoiler l’appréhension qui enveloppait cette imposante carrure, peut-être hésitaient-ils à se confronter à la réalité.
- J’veux bien croire que les tels, c’est chaud, mais vas-y, comment j’te retrouve avec le peu d’info que tu donnes… puis l’autre là, il m’a fait flipper sa mère, j’attendais per-
Et l’effervescence du réquisitoire est chassée par l’étonnement d’une découverte qu’on avait certainement espéré ne pas faire. Oh, Aurèle, quand le message t’avais été porté, qu’est-ce que ton esprit avait bien pu s’imaginer ? Le regard est happé par cette carcasse que l’immoralité, dans sa splendide bestialité, avait rendu inutilisable. Puis, s’imprégnant d’une violence qu’on savait pleinement concevoir, les iris animés par les affres de la révélation insoupçonnée avaient glissé sur celui qui, malgré tout, restait éternellement insaisissable. L’âme est secouée, et devant les ombres du désastre, voilà qu’elle restait interdite.
- Waw…
Et le passager, finalement retiré du véhicule, n’avait pu retenir sa surprise. Éhontément échappée, elle avait dénoncé l’inquiétude de ce second bienfaiteur. Observant avec stupeur le témoin de la violence, lui aussi, avait été visiblement frappé par les angoisses de cette découverte inimaginée. Un choc qu’on peinait à endurer, peut-être qu’une touche d’incompréhension se joignait aux affres provoqués par cette terrible confession. L’horreur avait éclaté, et la nuit, cette âme isolée, elle avait bien failli l’emporter.
- Bah putain… T’as foutu quoi encore ? On m’a parlé d’un “petit” accident… Mais t’as vu ta face ? T’as vu la bagnole ?
Les iris perçaient une glace impénétrable. Même pour cet habitué des froideurs éternelle, l'apathie cruelle, elle était insupportable. On la connaissait bien, cette terrible indolence, et peut-être que l’éclat d’une colère qui se mêle à l’indifférence, elle n’avait rien pour rassurer. La sévérité éclatait, et cette férocité glaciale, on avait préféré brièvement s’en détourner. Les iris que la vitalité agitait constamment venaient de se poser sur le visage du garçon qu’on ne s’était peut-être pas vraiment attendu à retrouver ici… Un vif intérêt pour ce corps qu’on savait étranger aux folies d’un monde que l’empathie n’avait jamais enlacé, cette dépravation, peut-être avait-on voulu s’assurer qu’elle n’avait pas trop abîmé le compagnon de l’enfant du vice. Le corps est rapidement balayé
- Mec… Bordel, qu’est-ce qu’il s’est passé ?!
C’était à l’insensibilité qu’on se heurtait. L’interrogation, la mer abjecte la laissait partir à la dérive, sans jamais rapporter cette missive qu’on lui avait jetée. Le pourpre détonne sur la dureté de la teinte glacée. Les perles de vitalité glissent sur la clarté jamais amochée. Le sang dévore ces touches bleutées, à chaque cataclysme, la neige est tâchée. Immaculée, l’avenir laissait le présager, cette eau limpide, celle-là même qui cache sous cette immuable sérénité, les ombres d’une menace terrible, c’est de rouge qu’elle se retrouvera un jour colorée. Oh, ce soir, cette austérité que la violence n’avait pas effondrée, c’était pourtant la létalité qui aurait pu la submerger. Elle le savait, cette furieuse froideur… Et ce coeur vidé d’ardeur, il n’avait rien pour apaiser l’âme envoûtée par la vigueur. La chaleur s’élève contre cette glaciale hostilité, ces forces opposées, c’était une drôle de synergie qui les avait toujours animées. Mais, Irvine, cette fois-ci, peut-être que tu ferais mieux laisser ta vieille amie de côté.
- Répond putain, commence pas à casser les couilles.
La brutalité explosait les mots, mais ces derniers, c’était l’inquiétude qu’ils essayaient tant bien que mal de cacher. La nervosité berçait l’esprit, et Aurèle, cet être rongé par l’inertie, on commençait à lentement le maudire. C’est qu’on avait besoin de réponses, pour calmer un esprit que l’ignorance finirait par abêtir. Inondé dans les non-dits, on savait imaginer le pire. Alors cette infâme glace, il fallait la bousculer pour, qu’à défaut de réussir à la briser, elle laisse s’évader, au moins les prémices d’une histoire que l’on voulait entendre narrée. Alors, défiant cette implacable austérité, l’éclat de la vivacité continuait d’étreindre ces iris que rien ne faisait vaciller. Et l’habituel engouement qui remuait ce corps s’était comme évaporé, pour laisser place à la rudesse d’une autorité que l’inquiétude, probablement, avait contrôlé. Cette puissante stature, mêlée à la soudaine sévérité qui s’était encrée dans les traits d’un visage étonnement fermé, elle rendait cet homme presque effrayant. Peut-être d’ailleurs que celui que l’on avait gentiment prié de s’exprimer l’avait compris : s’il voulait qu’on le lâche un peu, il allait devoir se plier aux volontés de ce sauveur et son air un peu trop paternaliste.
- Des gars ont déboulé de nulle part, et nous ont suivi.
Alors, enfin, les prémices d’une explication avaient été rudement lâchées. Une terrible austérité qui inonde l'atmosphère, portant dans sa mélodie, les chimères d’un souvenir amer. La froideur, elle s’éternise dans sa colère. Une aigreur restée inexpliquée, mais en face, sûrement qu’on y était habitué. Le résumé du désastre n’était pas suffisant, et pourtant, celui que l’inquiétude semblait étreindre un peu plus, il n’avait pas insisté. Pas pour le moment, du moins. Fin connaisseur de cette âme glaciale qui lui faisait face, sûrement qu’il avait jugé qu’il n’était pas opportun de continuer un interrogatoire pour lequel le témoin n’était pas prêt de coopérer. Qu’il était irritant, cet être qui gardait toutes ses intentions occultées. Qu’elle était infernale, cette constante inexpressivité, abjecte indifférence que, pour une fois, on aurait aimé briser. Mais la férocité est difficile à dompter, et on connaissait suffisamment la bête pour savoir que, pour le moment, il fallait s’arrêter. Une abstention qu’on ne saurait tenir bien longtemps, la curiosité, elle allait tôt ou tard l’emporter. Un défaut qui n’en était pas vraiment un, c’est que, face à ce visage abîmé, on ne pouvait faire autrement que s’inquiéter. Un désir de comprendre enivrant, un besoin de s’assurer que les sorts n'étaient pas scellés, car après tout, il n’y avait rien de plus humain que de vouloir saisir les détails d’un drame difficilement évité.
- Putain. Ben ils vous ont pas loupé.
- Eh Aurèle, faut se dépêcher de la dégager d’ici… Mais tu penses qu’il pourra la réparer ?
Une nouvelle voix s’élève dans les noirceurs qu’une touche de gravité avait doucement enveloppé. L’accompagnateur venait de réapparaître. Alors qu’il s’était noyé dans l’observation du monstre que la folie avait forcé à s’arrêter, le passager s’était relevé pour interpeller celui qui peinait à garder son calme face à l'infernale ataraxie. Dans un moment pareil, il y avait de quoi la haïr.
- Aucune idée. Si pas, y’en a un qui va se faire engueuler.
Et sur la réponse d’Aurèle, c’était sur Irvine que le regard de ce dernier venait à nouveau de se poser. Les sous-entendus éclataient, et il n’y avait pas besoin d’en dire plus pour que l’intéressé comprenne les allusions. Une hiérarchie avare, c’était sans aucun doute qu’elle condamnerait cette dépense qui n’aurait pas dû arriver. Éclatés contre la glace, les derniers mots résonnent dans le silence de la nuit. Un vide entêtant, et sur ces notes fièrement lâchées, un éclat de fureur s’est immiscé dans l’iris abandonné par la vie. Une lueur menaçante, et cette terrible sévérité, on aurait pu se demander pourquoi elle s’était ainsi déchaînée. L’origine de ce rude mécontentement, était-ce cette pauvre réflexion, ou bien le mystère résidait-il dans une autre raison ? Peu importe, car cette infime furie, on avait préféré l’ignorer. À la place seulement, le déversement de commentaires avaient continué, car ça n’était pas les pauvres explications qui avaient été données qui suffiraient à apaiser une âme inavouablement inquiétée.
- Putain, t’as dit à Gab’ que c’était un petit accident… J’me doutais que t’avais raconté de la merde, mais à ce point…
Une dernière fois, les iris se faufilent sur cette carcasse inanimée. Le désir de comprendre brûlait la chair, et l’âme qui s’interdisait de déverser toutes les questions que son esprit avait imaginé poser, elle commençait à s’impatienter sous les mystifications inutilement étalées. Comment un monstre pareil avait-il bien pu être immobilisé ? Et ce grand garçon que rien ne semblait jamais affoler, pourquoi la teinte de létalité avait-elle coloré ce visage prisonnier de son effroyable austérité ? Puis, ce jeune homme qu’on devait déposer, pourquoi était-il encore aux côtés de l’enfant, Roi des sordides immoralités ? Sur le rythme d’une bruyante inspiration, on avait fait taire les pensées. La vérité, elle finirait par lui être dévoilée… Et peu importe si, pour cela, il devrait bousculer cet être baigné dans les songes de la létalité.
- Heureusement que t’as pas pris la mienne.
Une touche d’humour, pour percer la gravité dont l’atmosphère s’était parée. Et sur le rythme de remarque emplie de légèreté, un vague sourire avait décoré le visage du jeune homme qu’on voulait garder éloigné des terreurs que la soirée avait, sur ces deux âmes abandonnées, écroulé. Un instant de silence berce ces lieux imprégnés des ombres d’une infâme fatalité. Terrible nuit, et comme pour défaire les corps que les dieux avaient scellés aux ruines de cette tragédie, un claquement provoqué par la paume des deux mains résonne au coeur de l’infamie. Un réveil, on appelle les prisonniers d’une infortune détestée à sortir de leurs rêveries. La mort, on l’avait chassée, et les angoisses d’un sort dont on ne pouvait se délier, on les faisait violemment tomber. Le destin, dans quelle insanité avait-on cru s’évanouir ?
Il n’était rien, une chimère dans laquelle l’âme se complaisait lassemment, l’avenir, le ciel ne l’avait pas défini. Et des chaînes de la mort, on saura toujours s’enfuir.
- Bon on va pas traîner, montez. Et toi, tu vas répondre aux questions dans la bagnole. Sydney ! On part !
Aucune réponse n’avait été donné à l’ordre qu’Aurèle avait lancé. Simplement, Irvine s’était dirigé vers le véhicule afin d’y récupérer le téléphone qu’on y avait précédemment laissé. Après s’être assuré que rien n’avait été oublié, il s’était dirigé vers la voiture qui, finalement, les ramènerait loin de ces ruines que la mort avait habité, pour monter à l’arrière, derrière le siège du passager, lequel d’ailleurs, venait de sortir des décombres pour lesquels il semblait tant se passionner. Quant à Aurèle, avant de retrouver sa place de conducteur, son regard s’était attardé sur l’invité dans les jeux de l’illégalité. Peut-être qu’une multitude de questions venaient se bousculer dans un esprit déjà bien encombré. Sûrement qu’on se demandait qui il était vraiment. Ce qu’il faisait, pour la seconde fois, entraîné dans des jeux qu’il n’avait pas l’air de pleinement maîtriser. Regardez ce visage, ça n’était pas dans le vice qu’il semblait avoir été forgé. Alors, que faisait-il encore, sur les sentiers de l’illégalité ?
Peu importe. Les interrogations avaient été abandonnées aux pleurs de la nuit, et alors que tout le petit monde venait d’embarquer, le conducteur était à son tour monté, clôturant les douleurs portées par Nyx sur le claquement d’une portière, que les dieux peut-être, auront entendu. Les rideaux se ferment, la fin est signalée, Ésa, écoute le rugissement qui s’évade loin des Hyades, tes furies, on venait de les déjouer.
Oh, de pareilles tragédies, on espérait qu’il n’y en ait plus.
Le chemin qu’on avait traversé dans la frénésie, plus tôt dans la soirée, dévoile ses paysages dans un semblant d’accalmie. La conduite est pressée, mais jamais elle ne pourra égaler l’ivresse qui avait emporté les deux âmes vilement poursuivies. Les secousses paraissent presque douces, et le repos, on aurait presque pu le trouver dans ce voyage délaissé des supplices d’un monde noyé dans le vice. Ce silence dans lequel dansait des touches de sérénités, il accueillait les âmes éreintées à profiter de cette trêve généreusement concédée. Mais cette quiétude, Sydney la brisa pour s’adresser à Aurèle. L’amorce d’un calme dont on se défait, comme un appel à sortir tout ce que l’on aurait à dire.
- T’avais deux pneus crevés…
- Ah ?
Le conducteur semblait intrigué. Après tout, pour quelle drôle de raison deux roues auraient été abimées, sur un temps aussi rapproché ? Étaient-elles déjà endommagées ? Était-ce la faute d’une poursuite enragée sur un chemin tellement accidenté que les pneus avaient cédé ? C’était peu probable. Un 4x4 était justement édifié pour fonctionner sur ce genre de routes remuées par les graviers, et les reliefs d’un terrain qu’on ne s’occupait pas d’entretenir. La remarque lancée par le passager, c’était évident, elle avait attisé la curiosité grandissante d’un conducteur gardé éloigné du récit dramatique. C’est qu’il finirait par s’impatienter, d’être ainsi enfermé dans des mystères qu’il était pourtant en droit de se voir révéler. Après tout, de cette tragédie, il en faisait au moins un peu partie. Tous égarés dans le vice, c’était ce monde détérioré par la folie des hommes qu’ils partageaient, dans une solidarité supposée sacrée. Douce fraternité tant glorifiée, n’était-elle qu’un mirage que l’on tentait vainement de dessiner ? On savait que non. Celui qui occultait les ombres de sa fatalité, peut-être était-ce pour de bonnes raisons. Peut-être attendait-on que l’esprit s'éclaircisse dans les réponses. Ou peut-être encore voulait-on protéger cette seconde famille d’une réalité qu’elle n’était pas prête à voir révélée. Mais peu importe qu’elles soient légitimées, ces infernales dissimulations, de l’autre côté, on avait besoin de savoir. Alors, les lèvres s'entrouvrent, probablement dans l’intention de déballer ces questions qui commençaient à échauffer l’esprit, mais le chauffeur est vivement coupé par celui qui, derrière, se faisait bien calme. Une détestable habitude, car ce soir, sûrement qu’on aurait aimé le voir un peu plus bavard.
- Dépose-moi chez moi.
La froideur éclate. L’austérité de ces mots rudement lancés, elle résonne dans l’habitacle qu’un terrible silence avait de nouveau rongé. Cette vigueur que l’on avait cru voir naître dans les prémices d’une conversation entamée est subitement retombée, et le rythme infernal qu’a apporté l’ordre sévèrement craché, c’est une infâme rigidité qui vient l’enlacer. Elle ne savait pas s’arrêter, cette glace dévorée par l’indifférence. Déversée dans un paysage qui se confondait dans l’ivresse d’une vitesse modérée, elle détruisait les aurores d’une ambiance timidement allégée, cette impitoyable présence. Le heurt de deux iris qui se rencontrent fracasse le miroir du rétroviseur intérieur. Le conducteur, noyé dans la langueur de sa sidération, c’était sans effroi qu’il avait croisé ces perles inhumaines. Le sens de cette demande brutalement évadée, l’avait-on correctement assimilée ?
- Chez toi? Genre, chez ta mère?
Une innocente interrogation, demandant à ce que la requête soit plus clairement reformulée. Au fond, on espérait certainement que le plus grand se soit mal exprimé. Peut-être apparaissait-elle aberrante, pour ce chauffeur qu’un tel non-sens semblait visiblement affecter. Un sourcil s’était arqué, les expressions de ce dernier, elles trahissaient le moindre émoi qui aurait pu le traverser. Il ne s’en cachait pas, et pour parvenir à affronter cette cruelle indolence, oh, il fallait au moins ça.
- Oui.
Un rire s’échappe dans un souffle incontrôlé. Derrière cette fugue, se mêle une nervosité baignée d’exaspération. Décidément, ce marbre, il mettait les nerfs à rude épreuve. L'absurdité explosait dans cette affirmation éhontément présentée. Oui, qu’on l’avait entendu dire. Oui, il voulait rentrer chez cette mère, avec un visage décoré par les traces du sang que le temps avait commencé à faire sécher. N’était-ce pas une excellente idée, que d’apparaître devant cette figure maternelle, la chair rougie par les violences de la nuit ? D’ailleurs, cette décision, il semblait pleinement l’approuver, le conducteur rongé par les traîtresses de son esprit. Regardez ce drôle de sourire que l’ahurissement avait déformé. Oh, les volontés du seigneur baigné dans son immuable ataraxie… Comment pouvait-il les refuser ? Après tout, face à ces voeux, il ne pouvait que dire oui.
- Ben ouais, bien sûr. Et tu penses qu’elle va réagir comment ? T’as vu ta gueule? Ton état ? Je ramène personne nul part, c’est direction le lo-
- Aurèle.
- Aurèle il est sérieux. Je rêve, il veut rentrer chez lui. L’autre il a du sang plein la face mais il veut rentrer chez lui. Et s’il te voit, il va dire quoi le p’tit ? Hein, t’y as pensé ?
Oh, si un regard pouvait tuer… La glace du petit miroir intérieur se serait déjà brisée. L’infernale froideur dévore les iris du conducteur que l’inquiétude avait l’air d’avoir visiblement bien agité. Aurèle tu ferais mieux de te taire, les détails de la vie, on préférait qu’ils ne soient pas sortis ici. Ce regard, il te fusille, et peut-être qu’inconsciemment, tu l’avais compris. L’attention est de nouveau centré sur la route que l’on venait de retrouver, abandonnant les graviers et les secousses qui fatiguaient le corps, peiné d’être ainsi remué.
- Non non, toi tu vas aller lui raconter ton “petit” accident,
- Je respire encore, non ? Alors c’est bon, tout va bien.
La folie était en train de l’étreindre, cette âme infâme qui s’amusait des mirages de la mort. La glace valse sur ces mots dénués de vitalité, la létalité, elle semblait presque l’avoir embrassée. Regardez avec quelle indifférence on se joue de celle qui, en cette terrible soirée, aurait pu s’abandonner dans les entrailles d’un corps que le seul vide avait animé. Il est oublié, le trésor. La vie qu’on lui avait généreusement laissée, c’était avec un désintérêt effronté qu’il la considérait. Et cette sordide désinvolture, on semblait fermement la blâmer. L’inquiétude n’était pas retombée, et bercés dans l’ignorance d’un drame toujours pas dévoilé, ces mots, c’était dans le malaise qu’ils avaient plongé ce coeur préoccupé.
- Tu vas voir quand tu respireras plus si tu vas faire le malin comme ça.
- C’est sûr, je serais plus là pour ça.
Et sur cette dernière remarque, la froideur s’était échappée dans un souffle presque rieur. Une plaisanterie détonante, que le conducteur semblait d’ailleurs réprimer… Du moins, si un sourire n’était pas venu s’immiscer sur les traits de ce visage, marqué par une sériosité plus criante qu’à l’accoutumée. C’est que cette inhumanité, elle l’amusait comme elle l’ennuyait. Il la maudissait, comme il avait appris à l’affectionner. Et cette légèreté avec laquelle on se moquait de la mort… Elle valsait entre l’apaisement et l’inquiétude. De cette fatalité qui risquait d’écrouler ce bijou de l’humanité, comment savait-on à ce point s’en détacher ? Précieuse vitalité qui animait ces corps dans les méandres d’un vice glorifié, était-elle autant dévalorisée ? Les esprits s’éveillent dans ces jeux défiant leurs destins que le ciel avait scellés, et l’inévitable, comme pour l’ignorer, on s’évertuait à s’en moquer. Les affres d’un sort funestes se dissipent sous les railleries, et l’ironie, elle était peut-être le seul moyen de cette sordide réalité.
Un jour peut-être, le souffle manquera pour étouffer les rires. Et alors, l’éclat provoqué par ces viles satires, on le verra, dans le gouffre de l’éternité, s’évanouir.
- Mec, il est hors de question que je dise à ta daronne que son fils s’est fait descendre. Putain, sérieux Irvine, il s’est passé quoi ? Et ils étaient combien ?
- Sept.
- Contre deux. Bordel, vous étiez que deux. Et encore, l’autre, il était même pas armé. Et eux, ils l’étaient ?
- Oui.
Une injure réfrénée, noyée dans un soupir que les tourments de la crainte ne savaient plus cacher. La gravité de ce qui s’était déroulé en cette sombre soirée, on ne s’embarrassait pas de la dissimuler. Au contraire peut-être, on voulait éclater à celui qui narrait les faits sans trop s’abandonner dans des détails, la sériosité de cette histoire partiellement contée. Pourtant, le récit, on aurait aimé l’avoir dans son entièreté. Jugeait-on certains éléments superfétatoires, ou la raison d’un exposé éclipsé était toute autre ? Au fond, on ne faisait que répondre aux questions posées. Aucun devant n’avait été pris pour lever ce voile étouffant les réalités du drame , et de toute évidence, ce drap de mirages, on ne ferait aucun pas pour le déchirer. Alors, le curieux, s’il voulait pouvoir reconstruire cette histoire décousue grâce aux bribes d’informations ingénieusement attrapées, il fallait forcer l’âme silencieuse à les faire s’échapper. On avait besoin de savoir, et ce marbre, oh, il en savait bien plus que ce qu’il disait.
- On les connaît?
- Non.
- Non ? Genre… Genre pas du tout ?
- Jamais vu.
- Ben apparemment, eux si. Putain. T’sais quoi ? C’est un miracle que tu sois pas crevé aujourd’hui. Entre c’t’aprèm et ce soir là… Va falloir que tu t’calmes, j’ai juré que j’ai la flemme de t’enterrer.
- Si on retrouve pas mon corps ça risque d’être compliqué.
- Mais ta gueule putain.
Et alors qu’un soupir s’était bruyamment échappé sur le rythme de l’injure, le passager d’à côté, lui, c’était un vague rire qu’il n’avait pu retenir. Décidément, cette danse avec Moros, loin d’avoir traumatisé ce corps amoché par les frénésies d’un vice exalté, ces terreurs nocturnes, elles l’auraient presque revigoré. La noirceur s’évade des réflexions sordidement lâchées, cette fin que la vie craint, regardez comment ces âmes la dénaturent. Elle explose, la désinvolture, et celui qui aurait pu embrasser l'inévitable, il en joue toujours un peu plus. Une âme épargnée, et ce cadeau qu’on lui a laissé, voyez l’effronterie avec laquelle elle le gratifie. Elles sont funestes, ces moqueries, mais peut-être que sur leur rythme, c’était d’une sinistre fatalité dont on souhaitait se délier. Un sceau que l’on tente de briser, car dans ce monde rongé par les chimères que le vice avait dévoilé, cette infamie magnifiée, on voulait s’en évader. Et, audacieusement, on la relativisait, cette sombre maladie. Mais, la chair est consumée, les tares de l’humanité sont bassement dévoilées. Les rêveries sont malmenées par les spectres de l’impureté, et dans le ciel, une lame se corrode. Bientôt brisée sous une débauche qui l’abime, elle laissera pleuvoir sur ces âmes prisonnières des travers qu’elles avaient passionnément enlacé, les fragments d’une fatalité dûment servie.
Splendide tragédie, elle éclate dans les iris de ces enfants déshumanisés, la fin de l’histoire, oh, c’est déjà tragiquement qu’elle est définie.
- T’as oublié de tourner.
- Quoi ?
- C’était à droite.
- J’t’ai dit quoi ? Je ramène personne chez lui. On va vérifier que tout aille bien, toi tu vas aller lui avouer que ton petit accident a frôlé le drame, et j’suis désolé mais je fais pas de détour pour en déposer un je ne sais où, c’est bon. Ça va pas être long, je sais même pas ce qu’il s’est réellement passé, donc je préfère pas prendre de risques. Et si ça vous va pas, c’est la même.
La réponse ne saurait être plus claire. À l’invité derrière, celui dont la présence aurait presque pu être oubliée, on lui faisait implicitement comprendre qu’il resterait prisonnier de ce monde qu’il n’était pas censé côtoyer, un peu plus longtemps encore. Peut-être aurait-on pu comprendre le conducteur. Après tout, il commençait à se faire tard, et s’il pouvait limiter ses trajets, alors il n’allait pas s’en priver. Puis, il n’y avait pas de quoi s’inquiéter, la confidence berçait ces corps connus des déboires du vice, alors de ces splendeurs mystifiées, il n’y avait personne ici dont il fallait les cacher…
Personne, vraiment ?
L’un des passagers n’était visiblement pas de cet avis. La froideur s’éveille, et le silence, Dieu qu’il est criant. Ce miroir, à de nombreuses reprises, il aurait pu se briser sous la pression d’un pareil éclat. Et le chauffeur, ces perles devenues presque bavardes, il semblait les avoir comprises. Alors même qu’aucun mot n’avait été lâché, alors même qu’aucun son ne s’était échappé de cette âme assagie dans sa froide colère, la danse de ces touches bleutés avait été saisie.
- Sérieux ? Tu nous l’a emmené dans deux traquenards déjà, j’pense que c’est bon là…
Mais visiblement, non. L’iris se heurte une fois de plus dans la glace du rétroviseur. Oh, ce garçon que l’on avait immiscé dans les enlaçades d’une immoralité infâme, il n’était pas le bienvenu dans les abysses de ce monde que les vertueuses idées avaient condamné. Peut-être aurait-il fallu t’y attendre, Irvine. Toi qui l’avais amené à la surface de ces eaux troublées par les tares de l’humanité, c’est immanquablement que, plus profondément, il aurait été entraîné. Et te voilà devant le fait accompli : ce sanctuaire que tu t’affairais tant à garder occulté, l’étranger allait le profaner. Et le choix de contester cette intrusion inconsidérée, on te faisait comprendre que tu ne l’avais plus vraiment. Si cette immixtion paraissait déjà inadmissible, il était clairement inconcevable de laisser un océan observateur balayer le paysage qui le mènerait jusqu’au panthéon que ce bas monde avait sacré. Et peut-être que ça, au moins, le conducteur l’avait finalement compris.
- Désolé gamin, il est parano, va falloir que tu mettes ça. Et si j’étais toi, j’essaierai pas de l’enlever en douce.
Un bandeau servant à cacher les yeux avaient été récupéré, avant d’être tendu à celui que l’on n’acceptait pas totalement ici. Lorsqu’il fut attrapé, la main avait été reposée sur le volant, et dans l’ombre d’un mesquin sourire, on avait continué sa route. Mais visiblement, le passager avant était intrigué par la présence du tissu dans ces lieux, et c’est dans une douce raillerie qu’il comptait exprimer son interrogation.
- Qu’est-ce que tu fiches avec ça dans ta bagnole…
- Avec l’autre fou, vaut mieux en avoir.
- Tu parles, avoue, tu te tapes tes meilleures siestes quand t’es supposé bosser, mais tu supportes pas la lumière alors…
- Vas-y, ferme-la.
Et sur l’écho des faibles rires, la légèreté se dissipe. Le silence retombe, pour écrouler les âmes éreintées par les affres de la nuit. Une mer bercée par l’accalmie se confond dans l’ivresse du décor qui défile, et, fermée dans son agressive froideur, l’âme s’enferme dans cette colère restée interdite. L’océan, à côté, c’est dans les noirceurs de l'inconnu qu’on l’a submergé. Les paysages, il n’aura qu’à se les imaginer. Et si le souvenir de l’ignominie refait surface, alors tant pis. La froideur, c’est cette furie qu’elle ressasse. Inlassable, elle est là, sûrement, la raison de cette austérité exacerbée. Un esprit irrité qui sombre dans les méandres de ses pensées, parce que le drame que les Hyades avaient pleuré, il fallait bien réussir à l’expliquer. Parce que ce qui venait de s’écrouler, on ne voulait pas le voir recommencer. Faire attention avec qui l’on se permettait de jouer, car la vie, ce soir, elle aurait bien pu le quitter.
Les minutes défilent, et le temps, l’un ne le voit pas passer. La familiarité d’un environnement jauni par l’ocre des soleils emprisonnés réveille l’âme endolorie dans son silence. Le devoir est rappelé, et les priorités, la fatigue ne les laissait pas s’oublier. Alors, brisant la sérénité qui avait enveloppé ces âmes reposées, une terrible voix détonne dans l’écho de son indifférence. Elle aurait presque pu les faire sursauter, ces êtres qui avaient presque oublié cette étonnante inhumanité.
- Arrête-toi.
- Hein ?
- Arrête-toi.
- Pourquoi ?
L’éclat d’un regard avait forcé le conducteur à s’exécuter, alors même qu’aucune réponse n’avait été donnée à ses interrogations, certainement fondées. À la place seulement, c’est cet éternel silence qui avait bercé les mouvements d’un corps dont les intentions restaient occultées. Le véhicule s’était arrêté sur le côté, et le chauffeur, c’était dans l’incompréhension qu’il sombrait. Ils n’étaient pas arrivés au temple qui logeait en son coeur, les ombres de la sainteté, alors, si loin du but, pourquoi s’était-on interrompu ? Les réponses, c’étaient les mouvements d’un corps animé par aucune chaleur. De sa propre poche, on venait d’extirper deux téléphones. Et à côté, sans même demander, la veste du passager avait été brièvement fouillée pour y récupérer ce troisième appareil, qu’on ne voulait pas risquer de faire pénétrer dans des lieux mystifiés. Le sac abimé aux pieds de l’invité indésiré avait été à son tour ramassé, et sous le silence écroulé dans l'habitacle étonné, on s’était évadé de la voiture. La portière n’avait pas été refermée, et pourtant, on ne s’était pas gêné pour exprimer le fond de ses pensées.
- On dirait un malade.
- J’te jure…
- Ça risque d’être pire.
- On est bien barrés avec ça.
- T’inquiète pas gamin, si tes affaires disparaissent, tu les lui fera payer !
- Et tu demande un dédommagement en prime !
En observant ce corps éternellement indolent dissimuler les affaires dans un des bosquets d’une rue peu passante, on semblait presque s’inquiéter de la psychose qui commençait à l’embraser. Toutes ces précautions, étaient-elles vraiment utiles ? Ou s’évertuait-on dans le futile, pour rassurer l’esprit et se persuader qu’avec tout ça, les risques devenaient limités ? Peu importe. On préférait se tuer à penser au moindre détail que de se maudire par la suite d’avoir été trop négligent. Et ces moqueries, au fond, elles se confondaient presque dans l’innocence. On savait les risques grands. Les railleries étaient faciles, et dans cette légèreté, peut-être cherchait-on seulement à soulager une atmosphère trop souvent alourdie par la dureté de cette âme moquée. Et alors que cette dernière retrouvait justement ses pas, on continuait de la chercher. Un claquement de portière, et l’être que le marbre avait édifié venait finalement de retrouver sa place. On pouvait redémarrer, mais ça ne serait pas sans l’éclat d’une énième moquerie.
- C’est bon, t’es soulagé ?
L’iris vient, une nouvelle fois, se briser dans le miroir. Cette vile offense, on ne s’embarrasserait pas d’y répondre. Le corps était meurtri, et cette courte échappée avait rappelé la violence de la nuit. Il espérait, le grand garçon, que cette légère douleur ne dure pas trop longtemps… Il avait besoin d’être pleinement libre de ses mouvements. Quoiqu’il en était, un signe avait été lancé au conducteur. Un mouvement qui s’évade dans la pénombre, on demandait en réalité à ce que, plutôt que le chemin soit continué normalement, des tours soient fait, comme pour perdre un esprit qui aurait voulu retenir un trajet que la vue ne pouvait pourtant pas capturer. Savait-on jamais… Oh, elle devenait presque risible, cette prudence. Peu importe, au moins, des risques que l’on avait jugé possibles, il n’aurait pas à s’en inquiéter. En s’occupant de les effacer avant même qu’ils ne soient nés, on s’assurant, en quelque sorte, une certaine tranquillité. Dans tous les cas, le véhicule venait de redémarrer, et une fois de plus, c’est dans le silence que l’habitacle avait été submergé. C’est seulement après l’écoulement d’une bonne quinzaine de minutes que le véhicule, de nouveau, s’était arrêté. Pourtant, le bâtiment sacré, ça n’était pas en ces lieux qui s’élevait. Alors pourquoi, dans le coeur de la pénombre, les portières s’étaient-elles ouvertes ? Pourquoi le conducteur venait-il d’accompagner la descente de celui que l’on avait délibérément aveuglé ? La laborieuse épopée, n’était-elle pas encore achevée ?
- Gamin, j’espère que t’as de l’équilibre, va falloir marcher à l’aveugle !
Pas encore. C’était maintenant une dizaine de minutes de marche qu’il faudrait entamer, afin de pouvoir, finalement, atteindre le sommet pour lequel la fastidieuse aventure avait été entreprise. Des précautions peut-être futiles, mais dans le, sait-on jamais, il n’y avait rien qui paraissait vraiment inutile. Les claquements résonnent, un tintement se dissipe dans la nuit pour atteindre les nuages grisés. Ce véhicule qu’on venait d’éteindre, il annonçait le début de l’effort ultime. Les Hyades endormies leur laisseraient cette accalmie, et, sans se risquer à affronter la pluie, c’était sereinement qu’on avait amorcé l’avancée. Cependant, pour le garçon à qui on avait fait perdre la vue, ça n’était pas dans une parfaite tranquillité qu’il saurait se déplacer. Alors, dans un élan de bonté peut-être, ce fut Aurèle qui se chargea de le guider un peu, afin d’éviter qu’il ne soit laissé seul face à l’ignorance que lui avait apporté l’obscurité. Une situation qui semblait visiblement l’amuser, tant ce vif sourire ne l’avait plus quitté. L’image d’une vigueur retrouvée, cette sériosité qu’avaient fait tomber les affres de l’inquiétude, il ne fallait visiblement qu’un rien pour la faire momentanément tomber.
à 15:26 le 03/09/2023
L’inertie d’un océan rongé par sa terrible impassibilité venait de se relever vers celui que le véhicule en ruine n’avait toujours pas désintéressé. Les éclats de voix dénaturés par la distance s’étaient atténués, et le corps s’était figé dans une pénombre enlacée par les mémoires du cataclysme. Une scène que le peintre capture, éternisant les vestiges du désastre, et le récit de la nuit, elle explose dans la peinture. Ce soir, les dieux ravagent les espoirs, car encore, à cet esprit écroulé sous la disgrâce d’une divinité joueuse, on lui avait dérobé ses timides fragments d’optimisme. Et, celui que le ciel ne cessait de décevoir se noie dans son immobilité, enivré par le vide qui gardait prisonnier, les affres d’un sort moqueur. L’appel semblait visiblement achevé, alors le grand garçon s’était relevé pour rejoindre cet être atterré, une fois de plus, par les railleries de cette malchance qui paraissait tant l’aimer. Le vice se glisse dans les sombreurs de ce Royaume animé par les batailles pour une gloire constellée de fastuosité, et le prince de ces terres, triste enfant de ces immoralités, il s’y déplaçait comme s’il y avait toujours habité.
Un sursaut fait danser le corps épuisé, un frisson incontrôlé que les ombres d’une présence bercée dans son silence a malencontreusement déclenché. Elle est reine, cette silhouette que les bassesses de la pénombre a couronnée. Les mouvements de l’âme que l’on venait de retrouver trahissaient les émois qui s’y agitaient. Harassé par ces obstacles fastidieux, peut-être était-on fatigué de trouver le pire lorsque l’on avait espéré le mieux. Et alors, comme pour s’abandonner dans la misère que le destin venait de leur porter, puisqu’il n’y avait plus que ça à faire, le corps s’était assis, accueillant les railleries du ciel dont on ne savait se défaire. Une main qui se frotte contre une joue, un regard qui se détourne, c’est que, le sort, il finirait par les achever, avec tous ces coups.
- On aurait pu changer une roue… mais deux…
L’affliction berçait ces paroles annonciatrices de l’infortune. Et la mer ébranlée s’était alors évadée sur le rythme de sa déception, sûrement qu’elle en voulait aux dieux, ces puissants plein de rancune. La glace ravage les vestiges du désastre. La merveille noire se trouvait dans un bien triste état, et il était de toute évidence impossible de la conduire comme ça. L’avant avait été abîmé par le choc de sa rencontre avec le mur, mais si encore, il n’y avait eu que ça… Les roues, c’est qu’elles aussi, avaient pris un sacré coup. Un malheur de plus, au coeur d’un drame que l’on était pressé de donner au passé. Sur ces paroles qui portaient en elles, les énièmes affres de la malédiction, le plus grand s’était accroupi d’abord pour observer la première roue que la balle avait traversée, avant de recommencer cette danse sur celle que l’on n’aurait pas soupçonné d’avoir souffert de la violence d’hommes que le vice avait embrasé. Par ces observations, on avait voulu espérer qu’il soit toujours possible, avec toute la précaution du monde, de diriger cette bête que les monstres avaient voulu abattre. Le grand garçon s’était relevé, et sur cette danse, l’espérance était tombée. Cette solution, elle était tout sauf judicieuse. Il fallait trouver autre chose. Et des idées, on pensait déjà en trouver. Ce téléphone qui n’était pas le sien, peut-être qu’il pourrait servir. Après tout, s’il n’était sûrement pas possible d’utiliser internet, de toute évidence, un simple appel semblait pouvoir être passé… Sinon, comment le garçon avait-il pu se plonger dans une discussion que la distance aurait pourtant dû empêcher ? La nuit, contrairement aux forteresses bétonnées, elle savait jouer les messagers. Mais, encore fallait-il contrer ces résistances qui tapissaient un esprit peut-être un peu trop prudent. Ces appareils, dieu sait qu’on hésitait à les utiliser. Pourtant, dans l’état actuel des évènements… La meilleure chose à faire était sûrement de joindre quelqu’un afin qu’il vienne les chercher. Cependant, la discrétion devait rester maîtresse des décisions, alors il était hors de question de faire intervenir un total étranger dans ces jeux que le danger avait remué. La question maintenant… C’était de savoir qui faire entrer dans ces secrets que le vice empêchait de dévoiler. Parce que ce téléphone dont il s’était octroyé la propriété, pour peu qu’on se souvienne de la suite de chiffre, il offrait de multiples possibilités. Alors, oui, cette question à laquelle l'esprit s'affairait de répondre était la suivante : qui était-il judicieux de mettre dans ces confidences que l’on se devait de garder dissimulées ?
Le premier prénom qui traversa les pensées fut évidemment celui d’Aurèle. Mais le problème était évident, il n’y avait aucun moyen de lui communiquer quoi que ce soit. Le petit groupe n’avait aucun téléphone à leur disposition et restaient tous parfaitement injoignables. Les inconvénients d’une prudence peut-être un peu trop poussée… Mais soit, des solutions, c’est qu’il y en avait forcément d’autres, restait seulement à les trouver.
Soan ? C’était à peine envisageable. Et d’ailleurs, il n’avait aucune envie d’informer ce dernier du drame qui venait d’étreindre l’enfant avec lequel les discordes avaient déjà éclaté. Un être déraisonné, qui valse avec les fantômes de son instabilité. Non, celui-là, il valait mieux que ce soit dans l’ignorance qu’il reste baigné, car Irvine, il n’avait pas envie de se justifier auprès de cet être que la bêtise avait trop souvent enlacé. D’ailleurs, il ne souhaitait pas non plus dévoiler ses difficultés à aucun de ces chefs de quartier. Une question d’ego, ou simple précaution que l’on souhaitait prendre afin d’éviter que des problèmes s’élèvent dans un futur qui ne lui avait pas encore été dérobé, ces noms, ils avaient rapidement été évincés.
Fox ? Une pensée qui aurait presque pu décrocher un rire. Oh, sincèrement, cette idée avait-elle vraiment pu ne serait-ce que traverser l’esprit ? La tête, c’était peut-être un peu trop fort qu’on l’avait frappée. Parce que de tous, c’était certainement celui dont il fallait se tenir le plus éloigné. Étonnant, n’est-ce pas ? Cet homme que l’on avait tant estimé, celui que la hiérarchie de l’ombre plaçait au-dessus de toi, celui-là même que ta confiance aurait dû embrasser… Alors pourquoi, dans ces drames que la nuit avait porté, c’était la défiance que l’on sentait s’éveiller ?
Tu ferais mieux de faire gaffe avec qui tu joues.
Et voilà comment l’avait-on porté, le pire des coups. Ils résonnent encore, ces mots crachés sur le rythme d’une menace exaltée. Vidés d’humanités, ils s’abattent avec violence pour meurtrir l’esprit, à l’image de cette chair qu’ils avaient déjà endolori, ces fous. Dans les tréfonds de la raison, l’écho de l’intimidation est emprisonné, et la voix, à jamais remémorée. Des conseils qui dansent sur l’intonation d’un vice à peine dissimulé, mais ces derniers, on comptait bien les suivre. Les dés sont à nouveau lancés, car à peine le coup adverse assimilé, le temps, qui continuait de courir, il fallait ne pas le laisser nous distancer. La bassesse des stratégies façonnées dans l’hostilité est accueillie, on intériorise ce tour que l’on n’a pas su voir venir et ce que l’on s’était promis, c’est que, de cette infamie, jamais plus on en sera la victime. Car désormais alors, on se méfiera des joueurs attablés autour de ce plateau sur lequel reposent les pions immaculés par l’immoralité. Voyez, comme plus la partie progresse, plus la débauche ronge ces compétiteurs déshumanisés. Voyez comme ces iris noircis par le vice, ils dévorent le trophée que le gagnant, le plus mauvais de ces concurrents, aura le droit de toucher. Une couronne de gloire idéalisée, sur laquelle on a cristallisé, les mirages d’une opulence que rien ne pourrait faire tomber. Et, avides de ces promesses dans lesquelles miroite la plus belle des splendeurs, ces compétiteurs, ils s'enivrent des plus viles bassesses. Peu importe, après tout, pour ce bijou tant convoité, on permettait le plus abject des coups, traîtrise et individualisme n’étaient que les amies d’une victoire divinisée. Et il n’y avait que grâce à elles que l’on sortirait de ce cruel combat, vainqueur pour toujours.
Mais aucune gloire n’est éternelle, et ce jeu qui, jamais ne se finit, il faudra, tôt ou tard, en payer le prix. Oh, comprenez-le, votre humanité, elle n’est pas immortelle.
Les ombres d’un visage se dessinent, et dans cette situation où aucune solution n’apparaissait comme étant parfaite, un énième prénom se glisse. Gabrièle ? Si l’on souhaitait garder un semblant de discrétion sans risquer que le désastre de cette soirée vienne à s’ébruiter, et forger des entraves qu’on pouvait facilement imaginer, alors cela semblait être un compromis que l’on pouvait accepter. Après tout, les choix, pour le grand garçon, étaient vraisemblablement limités. À chaque personne à laquelle l’esprit pensait, il y avait des raisons de ne pas les informer de ce léger obstacle qu’il était en train d’affronter. À tort, peut-être, mais c’est que la sécurité, on comptait, du mieux que l’on pouvait, la préserver. Alors, même si le secret, il faudrait en cette terrible soirée, le sacrifier, on n’était pas prêt de le faire dans son entièreté. Ainsi, on avait évincé les étrangers, tout comme les simples connaissances on avait préféré les éloigner. Les risques, on voulait les minimiser, mais pour chaque solution trouvée, il y avait un prix à payer, un sacrifice que l’on se devait de supporter… Et la contrepartie, finalement, on semblait l’avoir acceptée. Alors, l’appareil que l’on tenait entre les mains venait d’être déverrouillé, une application avait été ouverte, et une suite de chiffres, partiellement alignée. Cependant, une hésitation venait de suspendre les intentions du grand garçon. Ce téléphone… Était-ce réellement une bonne idée de l’utiliser pour joindre directement un lieu que l’on voulait garder dissimulé ? Il était évident que non. Et le souvenir des précautions inonde l’esprit que la vivacité commençait à lentement abandonner. C’est que la fatigue, elle commence à ronger cette réactivité qu’on avait tant loué. Alors qu’on avait chargé la petite bande de préparer les affaires afin d’affronter cette journée, sûrement avait-elle pensé à glisser dans les véhicules, un de ces appareils supposés offrir un fragment d’anonymat. Oui, ces téléphones jetables, ceux-là même qui avaient été, fut un temps, entreposés dans cet ancien bâtiment qu’ils étaient supposés avoir déserté maintenant… Peut-être qu’un esprit prévoyant avait jugé utile d’en placer un dans chaque voiture, en espérant sûrement ne pas avoir à s’en servir vraiment. Après tout, ça n’aurait pas été la première fois que l’on utiliserait ce type de transmission. Irvine ayant interdit les téléphones ordinaires que l’on jugeait beaucoup trop risqué pour être utilisés n’importe où, ils étaient au coeur de cette petite bande, l’unique moyen de communication autorisé lorsque cela paraissait justifié par la situation. La question désormais était de savoir si cette habitude, malgré les agitations d’un déménagement presque précipité, avait été consciencieusement gardée… Oh, on espérait que oui.
Et c’est alors une nouvelle intention qui vient happer l’esprit. L’espérance que, dans l’habitacle, soit disposé ce trésor que l’on voulait posséder enveloppe le corps, et ce dernier, disparaissant ainsi dans la carcasse, c’était une fouille minutieuse dans la cellule du conducteur qu’il venait d’entreprendre. N’y trouvant pas ce qu’on était venu y chercher, on s’était extirpé du véhicule arrêté afin de recommencer la même affaire, côté passager cette fois-ci. Là encore, le rangement côté portière fut exploré, avant d’ouvrir la boîte à gants pour espérer y extirper le petit appareil que l’on souhaitait voir dévoilé… Sans succès. Les possibilités se restreignaient, et sur le rythme des secondes qui s’écoulaient, on s’inquiétait de ne pas trouver cet objet que l’on priait pourtant silencieusement de trouver. Peut-être qu’une âme attentive l’avait-elle précautionneusement glissé dans la cache couverte par l’accoudoir qui trônait au milieu ?
Bingo.
Un trésor dont on s’empare, l’espoir d’une trêve accordée par la miséricorde de quelques dieux là-haut. Et le corps alors, s’évade du véhicule, le Graal à la main, mais le visage toujours façonné dans cette froide indifférence. C’est que cette infâme colère, l’espoir assouvi n’avait pas réussi à la faire s’évanouir. Un marbre que rien ne déforme, elle reste immuable, la glace qu’on ne saurait anéantir.
La droiture explose ce corps faiblement animé. Dans chacune des mains, se tenait un de ces petits outils de communication : dans la droite, le téléphone ordinaire, dans la gauche, le jetable. Et dans l’inertie la plus parfaite, ces iris aux teintes glacés se déversent sur ces deux appareils à l’utilité sensiblement comparables. Si on avait pu récupérer le petit dernier, c’est qu’alors Aurèle et les autres étaient joignables. En théorie, car Irvine était prêt à parier que ces derniers étaient restés dans les véhicules. Préférant ne pas multiplier les appels avec ce téléphone-ci, c’était l’idée d’origine que l’on préférait suivre, même s’il fallait pour cela,
Mais un énième problème se révélait au grand garçon : ce téléphone dont il avait emprunté la propriété, il n’était pas judicieux de le garder aux côtés de celui dont on se servirait une unique fois, pour contacter un lieu que personne ne devait jamais voir. Après tout, même s’il n’était pas le sien, l’intelligence de son véritable titulaire était telle que le prénom du possesseur temporaire apparaissait dans cette longue liste de contacts, sur laquelle pourtant, on avait maintes fois exprimé l’envie de ne pas y être. Une chance peut-être, ce cher Adam, il n’avait aucun réel lien avec les réalités du trafic dont il côtoyait pourtant les sombres figures. C’était déjà ça de gagné. Mais l’incertitude vacille. L’esprit chancelle, c’est que, face à la technologie, on reste interdit. Ce risque, on semblait hésiter à le courir… Mais le temps file, et ces lieux que continuent de bercer les bras du désastre, il fallait s’en échapper. Rien que pour ramener chez lui, ce garçon qu’on avait extirpé des songes d’un quotidien dans lequel il aurait dû rester. Alors, tant pis. De ce détail, il verrait plus tard comment en anéantir les indices. Après tout, il n’y avait sûrement pas à s’inquiéter… Les précautions du passé permettraient certainement de combler les risques qu’on avait pris aujourd’hui.
Le téléphone dérobé venait d’être éteint totalement. Un geste sûrement peu utile qui relevait plus du réflexe que d’une réelle persuasion de se protéger. Peu importe, quel autre choix avait-il, le grand garçon ? Le numéro avait été composé sur le téléphone dénué de toute trace de fastuosité. La mémoire de l’esprit aiguisé, on espérait que la fatigue ne lui ait pas fait d’infidélité… La confiance l’enveloppait, ces suites de chiffres, il les retenaient avec une étonnante facilité. Après tout, c’était le minimum à faire. La combinaison est entrée, et la connexion, on venait de la lancer. On espérait au moins que le numéro qu’on venait de rentrer allait fonctionner… Et que l’interlocuteur allait décrocher. La glace alors se déverse sur le fruit d’une démarche au doux goût d’erreur. L’esprit, c’étaient les futilités qui l’avait embrasé. On s’inquiétait pour rien, et de toute façon, dans leur situation, il fallait qu’ils avancent… c’est qu’elles savaient tourner vite, les heures. L’indifférence embrase le visage d’une âme pourtant abandonnée dans les doutes, mais ces multiples hésitations, les traits au moins, ne les avaient pas dénoncées. Calmement, on observait une dernière fois les pixels confirmant que la connexion avait été réussie, avant d’oser briser les douceurs d’un silence sacré.
- Eh.
Une froide interpellation lancée au garçon resté assis sur le gravier. Sur le rythme d’une liaison qui était en train de se faire, sur la cadence de cette infime mélodie d’un appel qui tentait de débuter, c’était un doux silence qui avait accompagné l'onomatopée. Détournés de l’éclatante lumière du petit écran, les iris aux terribles teintes bleutés venaient de se figer sur le visage de celui dont les plans avaient été écroulés. La froideur de l’apostrophe s’éternisait, et la suite, c’était comme si on attendait le dernier moment pour la révéler. Étaient-ce les mots qui avaient du mal à sortir ? Ce retardement, sinon, pourquoi s’immortalisait-il dans le soupir du vide ? Dans l’ivresse de la noirceur, le silence était à renouveau tombé. Les interventions de cette féroce indifférence, elles semblaient toujours être pleinement maîtrisées. Un contrôle instinctif, dont on aurait pu se demander s’il découlait vraiment d’une nature aussi inflexible. Peu importe, les secondes s’écoulent, et les mots, on les retenaient toujours prisonniers dans un marbre immaculé par l’indéchiffrable. Oh, quelle infamie s’apprêtait-il encore à déverser, le grand garçon ?
- Ça va le faire.
Le silence est à nouveau écrasé par la froideur de la voix. Enlacée par la rudesse de sa sévérité, elle explose la mémoire d’une folie impossible à oublier. Elle est cruelle, cette tonalité, et pourtant, pour la première fois peut-être, c’est l’ombre d’un réconfort qu’elle avait évadé. Quelques mots pour rassurer, valsant sur le rythme d’une insensibilité qu’on ne savait abandonner, ça n'était pas l’âme égarée qu’elle avait voulu accabler. Et même qu’entre les lignes, c’était un fragment d’excuse qui, discrètement, s’était évaporé. Mais elle reste indéchiffrable, l’infâme glace. Immuable, cette colère qui l’avait rongée, elle ne l’avait toujours pas délaissée. La sévérité continuait de gronder dans ces iris, immanquablement heurtés contre la profondeur de l’océan, et dans celui-là, c’est les lueurs d’une férocité latente qui vient s’y jeter. Oh, ils restent durs, ces joyaux indolents, et pourtant, vient se mêler à ces teintes de cruauté, l’éclat d’une infime indulgence. Les perles d’inhumanité étouffent l’océan que le drame avait remué, dessinées par l’impitoyable, peut-être saurait-on y déceler un fragment d’humanité. Une douceur presque insignifiante, qui accompagne la fuite des secondes… Car bientôt, la voilà effacée. Oh, cette âme embrasée par sa célèbre sévérité, c’est qu’elle aussi, la nuit semblait l’avoir éreintée. Une routine qu’il faudrait pourtant étreindre, car aux larmes du désastre, on continuerait de s’y confronter. Un cauchemar embaumé de fatalité, et aux affres de ce dernier, il fallait s’y habituer. Peu importe, cette sombre destinée, on l’avait embrassée, et les risques, c’était avec eux que l’on avait décidé d’avancer. Il était là, le prix que l’on tentait d’ignorer, on se persuadait que jamais, on n’aurait à le payer… Et s’il le fallait, alors tant pis, c’était le coût de la poursuite de ces songes tapissés de dorés. Car, même sur ces sentiers où le vice menaçait la vie, on ne s’imaginait plus reculer.
La faible mélodie se dissipe dans l’atmosphère que la nuit avait épuisé, et vivement, l’appareil avait été porté à l’oreille. Une conversation sensiblement codée s’apprêtait à débuter, c’est que, sous des bribes d’informations révélant la vérité, d’autres phrases cachaient des informations qu’on ne saurait deviner. Un stratagème qu’on avait subtilement élaboré dans le passé, des mots-clefs dont avait précédemment convenu pour se préparer à toute éventualité, et le manège pouvait finalement débuter.
- Ouais, c’est moi. [...]
Dans cette conversation, aucune réelle identité ne serait étalée. Pour le moment d’ailleurs, aucun prénom n’avait été prononcé. Sûrement que la voix suffisait aux interlocuteurs pour savoir de qui il s’agissait. Ce qu’on espérait maintenant, c’est que celui qu’on était en train de joindre s’en tienne aux codes autrefois élaborés. Après tout, cela faisait quelques semaines que la plupart étaient en place, et ces derniers, ça n’était pas tous les jours qu’on rappelait leur existence… Alors, c’était à l’appelant de mener la danse.
- Pas encore, je vais avoir besoin de toi… [...] Non, t’inquiète. Rien de bien grave, juste un petit accident. [...] Non je te dis, c’est pas grave. [...] Mais non… [...] Justement, ils sont déjà chez l’autre, là… [...]
À l’autre bout, on s’inquiétait, et les mots-clefs, on parvenait avec difficulté à les amener. Mais voilà, le premier enfin avait été lâché : chez l’autre, et l’interlocuteur, de toute évidence, avait saisi les sens de cette parfaite généralité. En réalité, c’était de l’ancien local dont on faisait mention. On devait jouer dans la précaution, et se remémorer les détails chiffrés, ceux qu’on voulait absolument garder occultés.
- Non, on les a perdu de vue. [...] Je sais, mais là, j’ai pas d’autres moyens… [...] Je sais, je sais, surtout que tu devais pas venir à la soirée. [...] J’ai essayé mais, ils ont plus de batterie je crois. [...]
Qu’elle paraissait étrange, cette conversation. Au fond, elle était presque d’une banalité déconcertante. C’est qu’en amont, on semblait s’être préparé à devoir gérer les difficultés, tout en sécurisant certaines données que l’on rechignait à voir exposées. Cette discrétion que l’on se tuait à garder, ça n’était pas pour que la technologie vienne éhontément la révéler.
- T’es où, toi ?
Une interrogation anodine, mais sous cette innocence, on demandait au garçon de sortir du bâtiment pour continuer la discussion. C’est qu’on l’invitait à faire comme si cet appel passé en ces lieux n’était rien de plus qu’une coïncidence. Elles étaient nombreuses les précautions, mais on les jugeait bien trop importantes pour s’octroyer le droit de les ignorer. À l’autre bout, l’interlocuteur semblait d’ailleurs comprendre ces phrases, dissimulant un autre sens que seuls les intéressés pouvaient comprendre. Heureusement alors, sa mémoire ne trahirait pas les efforts qu’on était en train de déployer pour maintenir cette confidence que l’on jugeait comme primordiale.
- Tu te promènes ? Le soir ? Ouais, bon tu peux pas quoi… [...] Tu peux toujours tester ouais, mais… [...] Hein ? Hanaé ?
Et la première identité avait été dévoilée. Pourtant, si l’on devait désigner spécifiquement quelqu’un, ce n’était pas par le biais de celui que ce dernier portait qu’on le ferait. Des pseudonymes définis à l’avance, pour que les identités ne soient pas si facilement dévoilées. De même, aucun nom, aucune information donnée ne permettait de deviner un lieu que l’on avait souhaité désigner, et ce, par aucun des deux interlocuteurs. Alors, évidemment, personne ne connaissait cette femme dont on faisait mention. Un énième code, que l’autre au bout de la ligne, avait intentionnellement lâché. C’est que, chacun savait exactement déceler les subtilités dans les mots qu’on emplissait de banalité.
Demander à Gabrièle d’aller jusqu’à l’ancien local alors que ce dernier n’avait aucun moyen, à part ses jambes, de s’y rendre, tout ça pour prévenir Aurèle qu’il devait absolument venir dépanner celui qui se retrouvait dans une difficulté pour le moment occultée, parce qu’il n’avait aucune autre possibilité de rentrer… Oui, c’était laborieux. Mais le grand garçon, il n’aimait pas trop l’idée d’immiscer quelqu’un dans des affaires qu’il préférait garder dans les méandres d’esprits familiers. Alors la proposition de cet interlocuteur, on avait un peu de mal à l’accepter.
- Elle est avec eux ?
Toutes ces phrases à double sens, elles formaient une conversation tout à fait cohérente. Peut-être même qu’Irvine ne s’était pas attendu à autant de fluidité… Quoiqu’il en était, la question, on avait marqué une courte pause avant de la poser. Entre les lignes, on demandait en réalité si la personne que l’on dissimulait sous ce doux pseudonyme était digne de confiance. La réticence éclatait, et, face à cette offre qu’au bout de la ligne, on venait de proposer, on ne savait trop quoi penser. Au fond, le garçon avait seulement suggéré de contacter quelqu’un d’autre pour faire à sa place que, cloîtré, lui ne pouvait faire. Simplement, cet homme que l’on pensait envoyer jouer les messagers à la place de celui initialement pensé… On voulait s’assurer que celui qui le conseillait savait ce qu’il faisait. Pourtant, le remplaçant proposé, on savait qu’il avait déjà pu aider le correspondant de l’autre côté de la ligne dans l’arrosage et la récolte des plantes tant chéries par ce dernier. Alors l’ancien local, on le savait, il était connu de l’Hermès en devenir. Pour autant, l’hésitation, on ne pouvait s’empêcher de la retenir. Oui, elle était de mise la prudence, à l’extrême, peut-être, mais pouvait-on vraiment le reprocher à celui que la nuit venait déjà de trahir.
- Ok bon… [...] Ouais, demande-lui. [...]
Les précautions semblaient laborieuses, mais on se persuadait qu’elles permettaient, au moins un peu, de limiter les risques, quelques soient ces derniers. Ils n’étaient pas une solution miracle, ces téléphones jetables, mais dans les situations d’urgence comme celle-ci, Dieu sait qu’ils étaient toujours utiles. On n’avait pas jugé nécessaire d’utiliser un autre de ces appareils, la logique voulant que celui qu’utilisait actuellement Gabrièle soit utilisé pour poursuivre ce plan qui s’enchaîne. Ainsi, il n’aurait qu’à continuer de marcher jusqu’à ce que les appels successifs soient terminés.
- Attend. Elle a une voiture ?
Une nouvelle phrase anodine, que l’on avait innocemment posée. D’est que dans le contexte qu’on avait étalé, elle faisait sens, cette demande totalement inoffensive. Pourtant, se cachait dans cet implicite, la question de savoir si celui qu’on comptait faire jouer les messagers disposait d’un téléphone jetable, comme ceux que les deux correspondant utilisaient actuellement.
- Là où Naïm s’est cassé la gueule. [...] T’inquiètes, elle devrait comprendre.
On espérait qu’Aurèle comprenne. Parce que cette indication, elle restait vague. Peut-être un peu trop. Mais cette chute, elle avait été mémorable pour celui qui l’avait subie. Si le prénom qu’on avait mentionné était, là encore, un simple code qu’il fallait déchiffrer, il était acté que, pour le petit cercle restreint, Naïm était en fait celui que l’on demandait de venir. C'est que, même celui que l’on enverrai jouer les messagers ne savait pas à qui se référait ce prénom. Peu importe, il n’en aurait pas besoin. Si le message était restitué correctement, alors ceux qui le recevront sauront de ce qu’il s’agit vraiment.
- Non, je te l’ai dit, y’a rien de grave.
Le gamin à l’autre bout du fil ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter. Alors, une nouvelle fois, il avait voulu s’assurer que rien de grave ne s’était passé. S’il savait, cet enfant, que celui pour lequel il se souciait tant, il aurait peut-être jamais failli pouvoir revoir l’éclat de cette froideur qu’il avait appris à aimer. Lui qui s’évertuait dans la compassion, lui qui s’abandonnait dans la fragilité des émotions, comment cette immuable ataraxie avait-elle bien pu captiver son âme adoucie ? Ce lien, c’était un splendide mystère qui l’avait scellé, et pour rien au monde, cet enfant candide, il était prêt à s’en délaisser. Et comme le témoin de cette étonnante affection, l’inquiétude berçait cette conversation sur le point de s’achever.
- Sûrement pas. [...] Ouais, à plus.
Et voilà qu’ainsi, on achevait cette étonnante discussion. Alors qu’on avait chargé Gabrièle de demander à Aurèle de venir les chercher, on avait glissé dans ce drôle de manège, un troisième complice auquel on n’avait pas vraiment pensé. Il fallait seulement prier pour que ce dernier soit capable de restituer des informations dont il ne disposait pas toujours le sens véritable au destinataire final. Et pour ça, il n’y avait que sur le garçon que l’on venait d’appeler que l’on pouvait compter. À son messager qui ne disposait que quelques mots-clefs seulement, il devrait la jouer finement… Mais il pouvait être habile, et Irvine ne doutait pas de sa capacité à faire arriver le message à bon port, sans que rien de sensible ne soit échappé. Certainement qu’il avait déjà dû convenir de quelques codes avec ce dernier. D’ailleurs, on pouvait le pressentir, très certainement qu’il avait été entendu que celui qui jouerait les messagers ce soir était supposé être le copain de cette fameuse, mais inexistante, Hanaé. Et dès lors, la missive avait plus de chance d’arriver intacte.
Le petit objet que l’on tenait dans la main venait d’être éteint. Celui-ci, plus jamais il ne serait rallumé. Il n’aimait pas utiliser ces appareils, ce grand impassible, encore moins lorsque l’appel était voué à joindre quelqu’un dans un lieu aussi sensible que le local qu’ils utilisaient. Pourtant, rien ne pouvait permettre de déceler leurs identités. De même, jamais personne n’était autorisé à y emmener un de ces téléphones pourtant indispensable pour ces jeunes trop habitués à ces bijoux de technologie. Seuls quelques jetables étaient répartis, et l’achat de ces derniers n’était fait par aucun des membres autorisés à pénétrer en ces terres sacrées. De toute évidence, il y avait bien peu de chances qu’un incident intervienne à cause de ce pauvre appel. Il se débarrasserait de celui qu’il venait d’utiliser, de même que celui dont Gabrièle venait de se servir. Il l’aura sûrement jeté dans une poubelle plus loin, il n’aurait qu’à le récupérer pour se charger lui-même de sa destruction. Et pour cet autre téléphone, celui qui ne lui appartenait pas vraiment… Il trouverait bien un moyen d’effacer les traces de son passage en ces lieux désertés.
Il craignait d’avoir commis une erreur. Sûrement que la fatigue amplifiait des appréhensions irraisonnées. Après tout, dans ces conversations, aucune identité n’avait été dévoilée. Les téléphones utilisés ne pouvaient être reliés à aucun membre du petit groupe, leur achat n’étant pas effectué par eux. Et avec ce fournisseur, les contacts restaient étroits et limités. De même, ce nouveau bâtiment que l’on érigeait presque en temple, ils n’en étaient ni propriétaires, ni même locataires. Pas officiellement, en tout cas. C’est qu’on portait un soin particulier à ce que chaque élément reste sagement dissimulé dans l’ombre. Alors, non, ça n’était pas avec ces pauvres appels que tous les efforts déployés pour garder un semblant de sécurité allaient tomber.
Dans la désinvolture, on avait jeté l’appareil sur le siège de la voiture. Récupérant le paquet de cigarettes tombé dans ce chaos que le fracas du terrible désastre avait formé, le grand garçon s’était redressé, attrapant au passage, le briquet qui, lui aussi, avait été envoyé dans les débris. Enfin, les ombres de la nuit leur avait accordé une bribe d’accalmie. Un fragment de sérénité qu’on avait cru brisé, mais cette quiétude tant priée, voilà que dans les bras de Nyx, elle venait de leur être portée. Un don qui gratifie les esprits, ces corps amochés par les manies du vice, ils avaient déjà trop subi. Les Hyades la gardent en souvenir, la mémoire du cataclysme est figée dans les étoiles, et, miroir de l’histoire, il suffira d’observer cette parure assombrie pour plonger dans les hantises du passé. Un oubli interdit, les déboires d’une avidité de gloire, ils finiront bien par révéler les failles de l’amant qui plaisante avec Moros et sa traîne perlée de létalité.
La glace glisse sur les décombres du témoin mécanique de cette violence insensée, avant de plonger dans les noirceurs de la voûte gardienne de la fatalité. Mesquin est le destin, était-ce contre lui, ou à ses côtés que l’on devrait désormais jouer ? Peu importe, si ces âmes avaient été maudites par un ciel que la perfidie avait rongé, alors soit, c’était contre leur infortune qu’il leur faudra s’élever. Oh, ils pourraient bien s’amuser, ces dieux pernicieux, mais celui qui défiait la mort, peu importe ce qu’il devait en coûter, c’étaient leurs passions qu’il continuerait de braver. La menace est lancée, l'univers est prévenu. Inébranlable, l’âme, enfant d’un monde que l’immoralité avait inondé, veille à ce que jamais son domaine ne bascule. Témérité ou imprudence, dans cette éternelle inertie, on se chargerait de faire tomber ce que, là-haut, on prévu. Elle est effrontée cette froideur, et voilà que dans son impudence, elle s’évade de cette voûte que les nuages dissimulent. Le corps se retourne, et les éclats bleutés viennent se figer sur le visage du garçon qu’on avait emmené affronter les furies. Les dieux sont oubliés, c’est qu’en réalité, l’esprit ne s’était pas délié de ces visages, lesquels, inlassables, continuaient de hanter une mémoire qui jamais ne défaille.
- Va falloir attendre encore un peu.
Et dans cette voix que le silence fait résonner, c’est l’indifférence qui éclate. Une cigarette est extirpée du petit paquet précédemment récupéré, et, sans attendre, on l’avait allumée. Portée aux lèvres, les cruels iris s’étaient de nouveau déversés dans l’océan abandonné aux calamités de la nuit. La boîte, qui ne contenait désormais plus que deux cigarettes, et dans laquelle le briquet y avait été glissé, venait d’être tendue au garçon. Une invitation à se servir, comme si elle avait été la seule consolation, qu’ici, on aurait pu offrir. L’accalmie accordée par la nuit, elle permettait à ces âmes éreintées de souffler. Dans une bonté ironique, cette voûte tâchée par les souvenirs du vice, elle leur octroyait finalement le droit d’apaiser ces corps que les affres de l’amoralité avaient meurtris. Et sur cette trêve alors permise, le grand garçon avait rejoint l’âme abandonnée dans les angoisses de l’obscurité, sur le repos de la terre. À part attendre, il n’y avait plus rien à faire. Peut-être regretterait-il le temps passé dans cette position permise par le répit, mais tant pis, un moment de détente, cela valait bien quelques courbatures lancinantes lorsqu’il faudrait se relever.
Sous les beautés nocturnes, la sérénité est retombée. La pluie, elle aussi, semble s’être apaisée. Éloignée de la tragédie, il n’y avait plus rien à pleurer. Et les esprits, il fallait seulement espérer que les griffes de la calamité ne les aient pas écroulés. Le vide enivre l’amant de ces quiétudes délaissées de sonorité, et la fumée de la consolation qu’il consume, c’est avec légèreté qu’elle s’évade dans la fraîcheur de la nuit. Une glace figée sur l'anthracite du bitume, sur la brume qu’elle dissipe, c’est l’horreur qu’elle ressasse. Inlassable. Dans une indifférence effroyable. Les minutes courent, la dernière brume s’échappe. Alors on prie le jour, de nous évader de cette amertume qui nous happe.
Le drame est gravé; la catastrophe, l’âme ne peut l’oublier.
La vie, doucement, s’est enfuie. Un peu plus détruite, elle dévoile les affres de la tragédie.
Et dans cette infortune splendide, Ésa, elle trahit ces âmes éreintées,
Douce amie, l’infamie, jusque dans le malheur de cette partie, elle vous aura poursuivie.
“Time out” ; et le sablier est retourné.
Tic, Tak ; et les grains, dans ce nouveau tour, ils continuent de s’écouler.
Une étoile attrapée, faites un voeu ; que le temps, jusqu’à la fin du jeu, les ans, il parvienne à les traverser.
Un sursaut fait danser le corps épuisé, un frisson incontrôlé que les ombres d’une présence bercée dans son silence a malencontreusement déclenché. Elle est reine, cette silhouette que les bassesses de la pénombre a couronnée. Les mouvements de l’âme que l’on venait de retrouver trahissaient les émois qui s’y agitaient. Harassé par ces obstacles fastidieux, peut-être était-on fatigué de trouver le pire lorsque l’on avait espéré le mieux. Et alors, comme pour s’abandonner dans la misère que le destin venait de leur porter, puisqu’il n’y avait plus que ça à faire, le corps s’était assis, accueillant les railleries du ciel dont on ne savait se défaire. Une main qui se frotte contre une joue, un regard qui se détourne, c’est que, le sort, il finirait par les achever, avec tous ces coups.
- On aurait pu changer une roue… mais deux…
L’affliction berçait ces paroles annonciatrices de l’infortune. Et la mer ébranlée s’était alors évadée sur le rythme de sa déception, sûrement qu’elle en voulait aux dieux, ces puissants plein de rancune. La glace ravage les vestiges du désastre. La merveille noire se trouvait dans un bien triste état, et il était de toute évidence impossible de la conduire comme ça. L’avant avait été abîmé par le choc de sa rencontre avec le mur, mais si encore, il n’y avait eu que ça… Les roues, c’est qu’elles aussi, avaient pris un sacré coup. Un malheur de plus, au coeur d’un drame que l’on était pressé de donner au passé. Sur ces paroles qui portaient en elles, les énièmes affres de la malédiction, le plus grand s’était accroupi d’abord pour observer la première roue que la balle avait traversée, avant de recommencer cette danse sur celle que l’on n’aurait pas soupçonné d’avoir souffert de la violence d’hommes que le vice avait embrasé. Par ces observations, on avait voulu espérer qu’il soit toujours possible, avec toute la précaution du monde, de diriger cette bête que les monstres avaient voulu abattre. Le grand garçon s’était relevé, et sur cette danse, l’espérance était tombée. Cette solution, elle était tout sauf judicieuse. Il fallait trouver autre chose. Et des idées, on pensait déjà en trouver. Ce téléphone qui n’était pas le sien, peut-être qu’il pourrait servir. Après tout, s’il n’était sûrement pas possible d’utiliser internet, de toute évidence, un simple appel semblait pouvoir être passé… Sinon, comment le garçon avait-il pu se plonger dans une discussion que la distance aurait pourtant dû empêcher ? La nuit, contrairement aux forteresses bétonnées, elle savait jouer les messagers. Mais, encore fallait-il contrer ces résistances qui tapissaient un esprit peut-être un peu trop prudent. Ces appareils, dieu sait qu’on hésitait à les utiliser. Pourtant, dans l’état actuel des évènements… La meilleure chose à faire était sûrement de joindre quelqu’un afin qu’il vienne les chercher. Cependant, la discrétion devait rester maîtresse des décisions, alors il était hors de question de faire intervenir un total étranger dans ces jeux que le danger avait remué. La question maintenant… C’était de savoir qui faire entrer dans ces secrets que le vice empêchait de dévoiler. Parce que ce téléphone dont il s’était octroyé la propriété, pour peu qu’on se souvienne de la suite de chiffre, il offrait de multiples possibilités. Alors, oui, cette question à laquelle l'esprit s'affairait de répondre était la suivante : qui était-il judicieux de mettre dans ces confidences que l’on se devait de garder dissimulées ?
Le premier prénom qui traversa les pensées fut évidemment celui d’Aurèle. Mais le problème était évident, il n’y avait aucun moyen de lui communiquer quoi que ce soit. Le petit groupe n’avait aucun téléphone à leur disposition et restaient tous parfaitement injoignables. Les inconvénients d’une prudence peut-être un peu trop poussée… Mais soit, des solutions, c’est qu’il y en avait forcément d’autres, restait seulement à les trouver.
Soan ? C’était à peine envisageable. Et d’ailleurs, il n’avait aucune envie d’informer ce dernier du drame qui venait d’étreindre l’enfant avec lequel les discordes avaient déjà éclaté. Un être déraisonné, qui valse avec les fantômes de son instabilité. Non, celui-là, il valait mieux que ce soit dans l’ignorance qu’il reste baigné, car Irvine, il n’avait pas envie de se justifier auprès de cet être que la bêtise avait trop souvent enlacé. D’ailleurs, il ne souhaitait pas non plus dévoiler ses difficultés à aucun de ces chefs de quartier. Une question d’ego, ou simple précaution que l’on souhaitait prendre afin d’éviter que des problèmes s’élèvent dans un futur qui ne lui avait pas encore été dérobé, ces noms, ils avaient rapidement été évincés.
Fox ? Une pensée qui aurait presque pu décrocher un rire. Oh, sincèrement, cette idée avait-elle vraiment pu ne serait-ce que traverser l’esprit ? La tête, c’était peut-être un peu trop fort qu’on l’avait frappée. Parce que de tous, c’était certainement celui dont il fallait se tenir le plus éloigné. Étonnant, n’est-ce pas ? Cet homme que l’on avait tant estimé, celui que la hiérarchie de l’ombre plaçait au-dessus de toi, celui-là même que ta confiance aurait dû embrasser… Alors pourquoi, dans ces drames que la nuit avait porté, c’était la défiance que l’on sentait s’éveiller ?
Tu ferais mieux de faire gaffe avec qui tu joues.
Et voilà comment l’avait-on porté, le pire des coups. Ils résonnent encore, ces mots crachés sur le rythme d’une menace exaltée. Vidés d’humanités, ils s’abattent avec violence pour meurtrir l’esprit, à l’image de cette chair qu’ils avaient déjà endolori, ces fous. Dans les tréfonds de la raison, l’écho de l’intimidation est emprisonné, et la voix, à jamais remémorée. Des conseils qui dansent sur l’intonation d’un vice à peine dissimulé, mais ces derniers, on comptait bien les suivre. Les dés sont à nouveau lancés, car à peine le coup adverse assimilé, le temps, qui continuait de courir, il fallait ne pas le laisser nous distancer. La bassesse des stratégies façonnées dans l’hostilité est accueillie, on intériorise ce tour que l’on n’a pas su voir venir et ce que l’on s’était promis, c’est que, de cette infamie, jamais plus on en sera la victime. Car désormais alors, on se méfiera des joueurs attablés autour de ce plateau sur lequel reposent les pions immaculés par l’immoralité. Voyez, comme plus la partie progresse, plus la débauche ronge ces compétiteurs déshumanisés. Voyez comme ces iris noircis par le vice, ils dévorent le trophée que le gagnant, le plus mauvais de ces concurrents, aura le droit de toucher. Une couronne de gloire idéalisée, sur laquelle on a cristallisé, les mirages d’une opulence que rien ne pourrait faire tomber. Et, avides de ces promesses dans lesquelles miroite la plus belle des splendeurs, ces compétiteurs, ils s'enivrent des plus viles bassesses. Peu importe, après tout, pour ce bijou tant convoité, on permettait le plus abject des coups, traîtrise et individualisme n’étaient que les amies d’une victoire divinisée. Et il n’y avait que grâce à elles que l’on sortirait de ce cruel combat, vainqueur pour toujours.
Mais aucune gloire n’est éternelle, et ce jeu qui, jamais ne se finit, il faudra, tôt ou tard, en payer le prix. Oh, comprenez-le, votre humanité, elle n’est pas immortelle.
Les ombres d’un visage se dessinent, et dans cette situation où aucune solution n’apparaissait comme étant parfaite, un énième prénom se glisse. Gabrièle ? Si l’on souhaitait garder un semblant de discrétion sans risquer que le désastre de cette soirée vienne à s’ébruiter, et forger des entraves qu’on pouvait facilement imaginer, alors cela semblait être un compromis que l’on pouvait accepter. Après tout, les choix, pour le grand garçon, étaient vraisemblablement limités. À chaque personne à laquelle l’esprit pensait, il y avait des raisons de ne pas les informer de ce léger obstacle qu’il était en train d’affronter. À tort, peut-être, mais c’est que la sécurité, on comptait, du mieux que l’on pouvait, la préserver. Alors, même si le secret, il faudrait en cette terrible soirée, le sacrifier, on n’était pas prêt de le faire dans son entièreté. Ainsi, on avait évincé les étrangers, tout comme les simples connaissances on avait préféré les éloigner. Les risques, on voulait les minimiser, mais pour chaque solution trouvée, il y avait un prix à payer, un sacrifice que l’on se devait de supporter… Et la contrepartie, finalement, on semblait l’avoir acceptée. Alors, l’appareil que l’on tenait entre les mains venait d’être déverrouillé, une application avait été ouverte, et une suite de chiffres, partiellement alignée. Cependant, une hésitation venait de suspendre les intentions du grand garçon. Ce téléphone… Était-ce réellement une bonne idée de l’utiliser pour joindre directement un lieu que l’on voulait garder dissimulé ? Il était évident que non. Et le souvenir des précautions inonde l’esprit que la vivacité commençait à lentement abandonner. C’est que la fatigue, elle commence à ronger cette réactivité qu’on avait tant loué. Alors qu’on avait chargé la petite bande de préparer les affaires afin d’affronter cette journée, sûrement avait-elle pensé à glisser dans les véhicules, un de ces appareils supposés offrir un fragment d’anonymat. Oui, ces téléphones jetables, ceux-là même qui avaient été, fut un temps, entreposés dans cet ancien bâtiment qu’ils étaient supposés avoir déserté maintenant… Peut-être qu’un esprit prévoyant avait jugé utile d’en placer un dans chaque voiture, en espérant sûrement ne pas avoir à s’en servir vraiment. Après tout, ça n’aurait pas été la première fois que l’on utiliserait ce type de transmission. Irvine ayant interdit les téléphones ordinaires que l’on jugeait beaucoup trop risqué pour être utilisés n’importe où, ils étaient au coeur de cette petite bande, l’unique moyen de communication autorisé lorsque cela paraissait justifié par la situation. La question désormais était de savoir si cette habitude, malgré les agitations d’un déménagement presque précipité, avait été consciencieusement gardée… Oh, on espérait que oui.
Et c’est alors une nouvelle intention qui vient happer l’esprit. L’espérance que, dans l’habitacle, soit disposé ce trésor que l’on voulait posséder enveloppe le corps, et ce dernier, disparaissant ainsi dans la carcasse, c’était une fouille minutieuse dans la cellule du conducteur qu’il venait d’entreprendre. N’y trouvant pas ce qu’on était venu y chercher, on s’était extirpé du véhicule arrêté afin de recommencer la même affaire, côté passager cette fois-ci. Là encore, le rangement côté portière fut exploré, avant d’ouvrir la boîte à gants pour espérer y extirper le petit appareil que l’on souhaitait voir dévoilé… Sans succès. Les possibilités se restreignaient, et sur le rythme des secondes qui s’écoulaient, on s’inquiétait de ne pas trouver cet objet que l’on priait pourtant silencieusement de trouver. Peut-être qu’une âme attentive l’avait-elle précautionneusement glissé dans la cache couverte par l’accoudoir qui trônait au milieu ?
Bingo.
Un trésor dont on s’empare, l’espoir d’une trêve accordée par la miséricorde de quelques dieux là-haut. Et le corps alors, s’évade du véhicule, le Graal à la main, mais le visage toujours façonné dans cette froide indifférence. C’est que cette infâme colère, l’espoir assouvi n’avait pas réussi à la faire s’évanouir. Un marbre que rien ne déforme, elle reste immuable, la glace qu’on ne saurait anéantir.
La droiture explose ce corps faiblement animé. Dans chacune des mains, se tenait un de ces petits outils de communication : dans la droite, le téléphone ordinaire, dans la gauche, le jetable. Et dans l’inertie la plus parfaite, ces iris aux teintes glacés se déversent sur ces deux appareils à l’utilité sensiblement comparables. Si on avait pu récupérer le petit dernier, c’est qu’alors Aurèle et les autres étaient joignables. En théorie, car Irvine était prêt à parier que ces derniers étaient restés dans les véhicules. Préférant ne pas multiplier les appels avec ce téléphone-ci, c’était l’idée d’origine que l’on préférait suivre, même s’il fallait pour cela,
Mais un énième problème se révélait au grand garçon : ce téléphone dont il avait emprunté la propriété, il n’était pas judicieux de le garder aux côtés de celui dont on se servirait une unique fois, pour contacter un lieu que personne ne devait jamais voir. Après tout, même s’il n’était pas le sien, l’intelligence de son véritable titulaire était telle que le prénom du possesseur temporaire apparaissait dans cette longue liste de contacts, sur laquelle pourtant, on avait maintes fois exprimé l’envie de ne pas y être. Une chance peut-être, ce cher Adam, il n’avait aucun réel lien avec les réalités du trafic dont il côtoyait pourtant les sombres figures. C’était déjà ça de gagné. Mais l’incertitude vacille. L’esprit chancelle, c’est que, face à la technologie, on reste interdit. Ce risque, on semblait hésiter à le courir… Mais le temps file, et ces lieux que continuent de bercer les bras du désastre, il fallait s’en échapper. Rien que pour ramener chez lui, ce garçon qu’on avait extirpé des songes d’un quotidien dans lequel il aurait dû rester. Alors, tant pis. De ce détail, il verrait plus tard comment en anéantir les indices. Après tout, il n’y avait sûrement pas à s’inquiéter… Les précautions du passé permettraient certainement de combler les risques qu’on avait pris aujourd’hui.
Le téléphone dérobé venait d’être éteint totalement. Un geste sûrement peu utile qui relevait plus du réflexe que d’une réelle persuasion de se protéger. Peu importe, quel autre choix avait-il, le grand garçon ? Le numéro avait été composé sur le téléphone dénué de toute trace de fastuosité. La mémoire de l’esprit aiguisé, on espérait que la fatigue ne lui ait pas fait d’infidélité… La confiance l’enveloppait, ces suites de chiffres, il les retenaient avec une étonnante facilité. Après tout, c’était le minimum à faire. La combinaison est entrée, et la connexion, on venait de la lancer. On espérait au moins que le numéro qu’on venait de rentrer allait fonctionner… Et que l’interlocuteur allait décrocher. La glace alors se déverse sur le fruit d’une démarche au doux goût d’erreur. L’esprit, c’étaient les futilités qui l’avait embrasé. On s’inquiétait pour rien, et de toute façon, dans leur situation, il fallait qu’ils avancent… c’est qu’elles savaient tourner vite, les heures. L’indifférence embrase le visage d’une âme pourtant abandonnée dans les doutes, mais ces multiples hésitations, les traits au moins, ne les avaient pas dénoncées. Calmement, on observait une dernière fois les pixels confirmant que la connexion avait été réussie, avant d’oser briser les douceurs d’un silence sacré.
- Eh.
Une froide interpellation lancée au garçon resté assis sur le gravier. Sur le rythme d’une liaison qui était en train de se faire, sur la cadence de cette infime mélodie d’un appel qui tentait de débuter, c’était un doux silence qui avait accompagné l'onomatopée. Détournés de l’éclatante lumière du petit écran, les iris aux terribles teintes bleutés venaient de se figer sur le visage de celui dont les plans avaient été écroulés. La froideur de l’apostrophe s’éternisait, et la suite, c’était comme si on attendait le dernier moment pour la révéler. Étaient-ce les mots qui avaient du mal à sortir ? Ce retardement, sinon, pourquoi s’immortalisait-il dans le soupir du vide ? Dans l’ivresse de la noirceur, le silence était à renouveau tombé. Les interventions de cette féroce indifférence, elles semblaient toujours être pleinement maîtrisées. Un contrôle instinctif, dont on aurait pu se demander s’il découlait vraiment d’une nature aussi inflexible. Peu importe, les secondes s’écoulent, et les mots, on les retenaient toujours prisonniers dans un marbre immaculé par l’indéchiffrable. Oh, quelle infamie s’apprêtait-il encore à déverser, le grand garçon ?
- Ça va le faire.
Le silence est à nouveau écrasé par la froideur de la voix. Enlacée par la rudesse de sa sévérité, elle explose la mémoire d’une folie impossible à oublier. Elle est cruelle, cette tonalité, et pourtant, pour la première fois peut-être, c’est l’ombre d’un réconfort qu’elle avait évadé. Quelques mots pour rassurer, valsant sur le rythme d’une insensibilité qu’on ne savait abandonner, ça n'était pas l’âme égarée qu’elle avait voulu accabler. Et même qu’entre les lignes, c’était un fragment d’excuse qui, discrètement, s’était évaporé. Mais elle reste indéchiffrable, l’infâme glace. Immuable, cette colère qui l’avait rongée, elle ne l’avait toujours pas délaissée. La sévérité continuait de gronder dans ces iris, immanquablement heurtés contre la profondeur de l’océan, et dans celui-là, c’est les lueurs d’une férocité latente qui vient s’y jeter. Oh, ils restent durs, ces joyaux indolents, et pourtant, vient se mêler à ces teintes de cruauté, l’éclat d’une infime indulgence. Les perles d’inhumanité étouffent l’océan que le drame avait remué, dessinées par l’impitoyable, peut-être saurait-on y déceler un fragment d’humanité. Une douceur presque insignifiante, qui accompagne la fuite des secondes… Car bientôt, la voilà effacée. Oh, cette âme embrasée par sa célèbre sévérité, c’est qu’elle aussi, la nuit semblait l’avoir éreintée. Une routine qu’il faudrait pourtant étreindre, car aux larmes du désastre, on continuerait de s’y confronter. Un cauchemar embaumé de fatalité, et aux affres de ce dernier, il fallait s’y habituer. Peu importe, cette sombre destinée, on l’avait embrassée, et les risques, c’était avec eux que l’on avait décidé d’avancer. Il était là, le prix que l’on tentait d’ignorer, on se persuadait que jamais, on n’aurait à le payer… Et s’il le fallait, alors tant pis, c’était le coût de la poursuite de ces songes tapissés de dorés. Car, même sur ces sentiers où le vice menaçait la vie, on ne s’imaginait plus reculer.
La faible mélodie se dissipe dans l’atmosphère que la nuit avait épuisé, et vivement, l’appareil avait été porté à l’oreille. Une conversation sensiblement codée s’apprêtait à débuter, c’est que, sous des bribes d’informations révélant la vérité, d’autres phrases cachaient des informations qu’on ne saurait deviner. Un stratagème qu’on avait subtilement élaboré dans le passé, des mots-clefs dont avait précédemment convenu pour se préparer à toute éventualité, et le manège pouvait finalement débuter.
- Ouais, c’est moi. [...]
Dans cette conversation, aucune réelle identité ne serait étalée. Pour le moment d’ailleurs, aucun prénom n’avait été prononcé. Sûrement que la voix suffisait aux interlocuteurs pour savoir de qui il s’agissait. Ce qu’on espérait maintenant, c’est que celui qu’on était en train de joindre s’en tienne aux codes autrefois élaborés. Après tout, cela faisait quelques semaines que la plupart étaient en place, et ces derniers, ça n’était pas tous les jours qu’on rappelait leur existence… Alors, c’était à l’appelant de mener la danse.
- Pas encore, je vais avoir besoin de toi… [...] Non, t’inquiète. Rien de bien grave, juste un petit accident. [...] Non je te dis, c’est pas grave. [...] Mais non… [...] Justement, ils sont déjà chez l’autre, là… [...]
À l’autre bout, on s’inquiétait, et les mots-clefs, on parvenait avec difficulté à les amener. Mais voilà, le premier enfin avait été lâché : chez l’autre, et l’interlocuteur, de toute évidence, avait saisi les sens de cette parfaite généralité. En réalité, c’était de l’ancien local dont on faisait mention. On devait jouer dans la précaution, et se remémorer les détails chiffrés, ceux qu’on voulait absolument garder occultés.
- Non, on les a perdu de vue. [...] Je sais, mais là, j’ai pas d’autres moyens… [...] Je sais, je sais, surtout que tu devais pas venir à la soirée. [...] J’ai essayé mais, ils ont plus de batterie je crois. [...]
Qu’elle paraissait étrange, cette conversation. Au fond, elle était presque d’une banalité déconcertante. C’est qu’en amont, on semblait s’être préparé à devoir gérer les difficultés, tout en sécurisant certaines données que l’on rechignait à voir exposées. Cette discrétion que l’on se tuait à garder, ça n’était pas pour que la technologie vienne éhontément la révéler.
- T’es où, toi ?
Une interrogation anodine, mais sous cette innocence, on demandait au garçon de sortir du bâtiment pour continuer la discussion. C’est qu’on l’invitait à faire comme si cet appel passé en ces lieux n’était rien de plus qu’une coïncidence. Elles étaient nombreuses les précautions, mais on les jugeait bien trop importantes pour s’octroyer le droit de les ignorer. À l’autre bout, l’interlocuteur semblait d’ailleurs comprendre ces phrases, dissimulant un autre sens que seuls les intéressés pouvaient comprendre. Heureusement alors, sa mémoire ne trahirait pas les efforts qu’on était en train de déployer pour maintenir cette confidence que l’on jugeait comme primordiale.
- Tu te promènes ? Le soir ? Ouais, bon tu peux pas quoi… [...] Tu peux toujours tester ouais, mais… [...] Hein ? Hanaé ?
Et la première identité avait été dévoilée. Pourtant, si l’on devait désigner spécifiquement quelqu’un, ce n’était pas par le biais de celui que ce dernier portait qu’on le ferait. Des pseudonymes définis à l’avance, pour que les identités ne soient pas si facilement dévoilées. De même, aucun nom, aucune information donnée ne permettait de deviner un lieu que l’on avait souhaité désigner, et ce, par aucun des deux interlocuteurs. Alors, évidemment, personne ne connaissait cette femme dont on faisait mention. Un énième code, que l’autre au bout de la ligne, avait intentionnellement lâché. C’est que, chacun savait exactement déceler les subtilités dans les mots qu’on emplissait de banalité.
Demander à Gabrièle d’aller jusqu’à l’ancien local alors que ce dernier n’avait aucun moyen, à part ses jambes, de s’y rendre, tout ça pour prévenir Aurèle qu’il devait absolument venir dépanner celui qui se retrouvait dans une difficulté pour le moment occultée, parce qu’il n’avait aucune autre possibilité de rentrer… Oui, c’était laborieux. Mais le grand garçon, il n’aimait pas trop l’idée d’immiscer quelqu’un dans des affaires qu’il préférait garder dans les méandres d’esprits familiers. Alors la proposition de cet interlocuteur, on avait un peu de mal à l’accepter.
- Elle est avec eux ?
Toutes ces phrases à double sens, elles formaient une conversation tout à fait cohérente. Peut-être même qu’Irvine ne s’était pas attendu à autant de fluidité… Quoiqu’il en était, la question, on avait marqué une courte pause avant de la poser. Entre les lignes, on demandait en réalité si la personne que l’on dissimulait sous ce doux pseudonyme était digne de confiance. La réticence éclatait, et, face à cette offre qu’au bout de la ligne, on venait de proposer, on ne savait trop quoi penser. Au fond, le garçon avait seulement suggéré de contacter quelqu’un d’autre pour faire à sa place que, cloîtré, lui ne pouvait faire. Simplement, cet homme que l’on pensait envoyer jouer les messagers à la place de celui initialement pensé… On voulait s’assurer que celui qui le conseillait savait ce qu’il faisait. Pourtant, le remplaçant proposé, on savait qu’il avait déjà pu aider le correspondant de l’autre côté de la ligne dans l’arrosage et la récolte des plantes tant chéries par ce dernier. Alors l’ancien local, on le savait, il était connu de l’Hermès en devenir. Pour autant, l’hésitation, on ne pouvait s’empêcher de la retenir. Oui, elle était de mise la prudence, à l’extrême, peut-être, mais pouvait-on vraiment le reprocher à celui que la nuit venait déjà de trahir.
- Ok bon… [...] Ouais, demande-lui. [...]
Les précautions semblaient laborieuses, mais on se persuadait qu’elles permettaient, au moins un peu, de limiter les risques, quelques soient ces derniers. Ils n’étaient pas une solution miracle, ces téléphones jetables, mais dans les situations d’urgence comme celle-ci, Dieu sait qu’ils étaient toujours utiles. On n’avait pas jugé nécessaire d’utiliser un autre de ces appareils, la logique voulant que celui qu’utilisait actuellement Gabrièle soit utilisé pour poursuivre ce plan qui s’enchaîne. Ainsi, il n’aurait qu’à continuer de marcher jusqu’à ce que les appels successifs soient terminés.
- Attend. Elle a une voiture ?
Une nouvelle phrase anodine, que l’on avait innocemment posée. D’est que dans le contexte qu’on avait étalé, elle faisait sens, cette demande totalement inoffensive. Pourtant, se cachait dans cet implicite, la question de savoir si celui qu’on comptait faire jouer les messagers disposait d’un téléphone jetable, comme ceux que les deux correspondant utilisaient actuellement.
- Là où Naïm s’est cassé la gueule. [...] T’inquiètes, elle devrait comprendre.
On espérait qu’Aurèle comprenne. Parce que cette indication, elle restait vague. Peut-être un peu trop. Mais cette chute, elle avait été mémorable pour celui qui l’avait subie. Si le prénom qu’on avait mentionné était, là encore, un simple code qu’il fallait déchiffrer, il était acté que, pour le petit cercle restreint, Naïm était en fait celui que l’on demandait de venir. C'est que, même celui que l’on enverrai jouer les messagers ne savait pas à qui se référait ce prénom. Peu importe, il n’en aurait pas besoin. Si le message était restitué correctement, alors ceux qui le recevront sauront de ce qu’il s’agit vraiment.
- Non, je te l’ai dit, y’a rien de grave.
Le gamin à l’autre bout du fil ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter. Alors, une nouvelle fois, il avait voulu s’assurer que rien de grave ne s’était passé. S’il savait, cet enfant, que celui pour lequel il se souciait tant, il aurait peut-être jamais failli pouvoir revoir l’éclat de cette froideur qu’il avait appris à aimer. Lui qui s’évertuait dans la compassion, lui qui s’abandonnait dans la fragilité des émotions, comment cette immuable ataraxie avait-elle bien pu captiver son âme adoucie ? Ce lien, c’était un splendide mystère qui l’avait scellé, et pour rien au monde, cet enfant candide, il était prêt à s’en délaisser. Et comme le témoin de cette étonnante affection, l’inquiétude berçait cette conversation sur le point de s’achever.
- Sûrement pas. [...] Ouais, à plus.
Et voilà qu’ainsi, on achevait cette étonnante discussion. Alors qu’on avait chargé Gabrièle de demander à Aurèle de venir les chercher, on avait glissé dans ce drôle de manège, un troisième complice auquel on n’avait pas vraiment pensé. Il fallait seulement prier pour que ce dernier soit capable de restituer des informations dont il ne disposait pas toujours le sens véritable au destinataire final. Et pour ça, il n’y avait que sur le garçon que l’on venait d’appeler que l’on pouvait compter. À son messager qui ne disposait que quelques mots-clefs seulement, il devrait la jouer finement… Mais il pouvait être habile, et Irvine ne doutait pas de sa capacité à faire arriver le message à bon port, sans que rien de sensible ne soit échappé. Certainement qu’il avait déjà dû convenir de quelques codes avec ce dernier. D’ailleurs, on pouvait le pressentir, très certainement qu’il avait été entendu que celui qui jouerait les messagers ce soir était supposé être le copain de cette fameuse, mais inexistante, Hanaé. Et dès lors, la missive avait plus de chance d’arriver intacte.
Le petit objet que l’on tenait dans la main venait d’être éteint. Celui-ci, plus jamais il ne serait rallumé. Il n’aimait pas utiliser ces appareils, ce grand impassible, encore moins lorsque l’appel était voué à joindre quelqu’un dans un lieu aussi sensible que le local qu’ils utilisaient. Pourtant, rien ne pouvait permettre de déceler leurs identités. De même, jamais personne n’était autorisé à y emmener un de ces téléphones pourtant indispensable pour ces jeunes trop habitués à ces bijoux de technologie. Seuls quelques jetables étaient répartis, et l’achat de ces derniers n’était fait par aucun des membres autorisés à pénétrer en ces terres sacrées. De toute évidence, il y avait bien peu de chances qu’un incident intervienne à cause de ce pauvre appel. Il se débarrasserait de celui qu’il venait d’utiliser, de même que celui dont Gabrièle venait de se servir. Il l’aura sûrement jeté dans une poubelle plus loin, il n’aurait qu’à le récupérer pour se charger lui-même de sa destruction. Et pour cet autre téléphone, celui qui ne lui appartenait pas vraiment… Il trouverait bien un moyen d’effacer les traces de son passage en ces lieux désertés.
Il craignait d’avoir commis une erreur. Sûrement que la fatigue amplifiait des appréhensions irraisonnées. Après tout, dans ces conversations, aucune identité n’avait été dévoilée. Les téléphones utilisés ne pouvaient être reliés à aucun membre du petit groupe, leur achat n’étant pas effectué par eux. Et avec ce fournisseur, les contacts restaient étroits et limités. De même, ce nouveau bâtiment que l’on érigeait presque en temple, ils n’en étaient ni propriétaires, ni même locataires. Pas officiellement, en tout cas. C’est qu’on portait un soin particulier à ce que chaque élément reste sagement dissimulé dans l’ombre. Alors, non, ça n’était pas avec ces pauvres appels que tous les efforts déployés pour garder un semblant de sécurité allaient tomber.
Dans la désinvolture, on avait jeté l’appareil sur le siège de la voiture. Récupérant le paquet de cigarettes tombé dans ce chaos que le fracas du terrible désastre avait formé, le grand garçon s’était redressé, attrapant au passage, le briquet qui, lui aussi, avait été envoyé dans les débris. Enfin, les ombres de la nuit leur avait accordé une bribe d’accalmie. Un fragment de sérénité qu’on avait cru brisé, mais cette quiétude tant priée, voilà que dans les bras de Nyx, elle venait de leur être portée. Un don qui gratifie les esprits, ces corps amochés par les manies du vice, ils avaient déjà trop subi. Les Hyades la gardent en souvenir, la mémoire du cataclysme est figée dans les étoiles, et, miroir de l’histoire, il suffira d’observer cette parure assombrie pour plonger dans les hantises du passé. Un oubli interdit, les déboires d’une avidité de gloire, ils finiront bien par révéler les failles de l’amant qui plaisante avec Moros et sa traîne perlée de létalité.
La glace glisse sur les décombres du témoin mécanique de cette violence insensée, avant de plonger dans les noirceurs de la voûte gardienne de la fatalité. Mesquin est le destin, était-ce contre lui, ou à ses côtés que l’on devrait désormais jouer ? Peu importe, si ces âmes avaient été maudites par un ciel que la perfidie avait rongé, alors soit, c’était contre leur infortune qu’il leur faudra s’élever. Oh, ils pourraient bien s’amuser, ces dieux pernicieux, mais celui qui défiait la mort, peu importe ce qu’il devait en coûter, c’étaient leurs passions qu’il continuerait de braver. La menace est lancée, l'univers est prévenu. Inébranlable, l’âme, enfant d’un monde que l’immoralité avait inondé, veille à ce que jamais son domaine ne bascule. Témérité ou imprudence, dans cette éternelle inertie, on se chargerait de faire tomber ce que, là-haut, on prévu. Elle est effrontée cette froideur, et voilà que dans son impudence, elle s’évade de cette voûte que les nuages dissimulent. Le corps se retourne, et les éclats bleutés viennent se figer sur le visage du garçon qu’on avait emmené affronter les furies. Les dieux sont oubliés, c’est qu’en réalité, l’esprit ne s’était pas délié de ces visages, lesquels, inlassables, continuaient de hanter une mémoire qui jamais ne défaille.
- Va falloir attendre encore un peu.
Et dans cette voix que le silence fait résonner, c’est l’indifférence qui éclate. Une cigarette est extirpée du petit paquet précédemment récupéré, et, sans attendre, on l’avait allumée. Portée aux lèvres, les cruels iris s’étaient de nouveau déversés dans l’océan abandonné aux calamités de la nuit. La boîte, qui ne contenait désormais plus que deux cigarettes, et dans laquelle le briquet y avait été glissé, venait d’être tendue au garçon. Une invitation à se servir, comme si elle avait été la seule consolation, qu’ici, on aurait pu offrir. L’accalmie accordée par la nuit, elle permettait à ces âmes éreintées de souffler. Dans une bonté ironique, cette voûte tâchée par les souvenirs du vice, elle leur octroyait finalement le droit d’apaiser ces corps que les affres de l’amoralité avaient meurtris. Et sur cette trêve alors permise, le grand garçon avait rejoint l’âme abandonnée dans les angoisses de l’obscurité, sur le repos de la terre. À part attendre, il n’y avait plus rien à faire. Peut-être regretterait-il le temps passé dans cette position permise par le répit, mais tant pis, un moment de détente, cela valait bien quelques courbatures lancinantes lorsqu’il faudrait se relever.
Sous les beautés nocturnes, la sérénité est retombée. La pluie, elle aussi, semble s’être apaisée. Éloignée de la tragédie, il n’y avait plus rien à pleurer. Et les esprits, il fallait seulement espérer que les griffes de la calamité ne les aient pas écroulés. Le vide enivre l’amant de ces quiétudes délaissées de sonorité, et la fumée de la consolation qu’il consume, c’est avec légèreté qu’elle s’évade dans la fraîcheur de la nuit. Une glace figée sur l'anthracite du bitume, sur la brume qu’elle dissipe, c’est l’horreur qu’elle ressasse. Inlassable. Dans une indifférence effroyable. Les minutes courent, la dernière brume s’échappe. Alors on prie le jour, de nous évader de cette amertume qui nous happe.
Le drame est gravé; la catastrophe, l’âme ne peut l’oublier.
La vie, doucement, s’est enfuie. Un peu plus détruite, elle dévoile les affres de la tragédie.
Et dans cette infortune splendide, Ésa, elle trahit ces âmes éreintées,
Douce amie, l’infamie, jusque dans le malheur de cette partie, elle vous aura poursuivie.
“Time out” ; et le sablier est retourné.
Tic, Tak ; et les grains, dans ce nouveau tour, ils continuent de s’écouler.
Une étoile attrapée, faites un voeu ; que le temps, jusqu’à la fin du jeu, les ans, il parvienne à les traverser.
à 15:25 le 03/09/2023
Le gribouilli avait été transmis sans que les autres ne soient inclus dans cette confidence sibylline. La main avait frôlé l’autre après s’être suffisamment approchée du nouvel hôte. Lukas venait de discrètement transmettre le morceau de papier qu’il avait judicieusement décoré.
Sur le morceau de papier, huit lettres, six numéros étaient inscrits. Deux plaques d’immatriculations que l’on avait grièvement relevées. Deux paires, sept caractères. Bienvenue chez vous, princes des Enfers. Il serait peut-être temps pour vous tous de réciter vos prières.
Une indication superflue ou primordiale venait d'être dévoilée. Ces fantômes, on avait peut-être une chance de les retrouver.
Au regard des Dieux, penses-tu encore que cet acte irréfléchi était judicieux ? Toi, le gamin fou, pourquoi te pliais tu en quatre pour ce voyou ?
Cette roue, c'est ensemble que vous l'aviez délibérément lancée.
Et, dans l'euphorie, elle continuait de tourner.
Mais que ferez-vous, messieurs, lorsqu'elle viendra s'arrêter ?
Faites vos jeux, rien ne va plus.
Le numéro gagnant, on ne le présente plus.
Tic, Tak, "Temps mort". Pouce. Stop. Pause. S’il vous plaît. Cessez cette prose.
L'accalmie est obscène. Comment pouvait-on rester aussi calme durant cette scène ? Moros court toujours et il traque ces âmes en peine. Défier les dieux ne les rendra pas chanceux. Il serait préférable de les ramener chez eux.
Oiseau de malheur, il est trop tard.
Bientôt sonnera l'heure du réel cauchemar.
Le Rokh était de nouveau convoqué pour que le Roi puisse asseoir ce Règne qu'il s'était juré de protéger.