Plume GessieMon nom est Plume. C'est nul, oui, je sais, on me l'a déjà dit. Surtout que quand on me regarde, on ne pense pas à une plume, légère, gracieuse, qui s'envolerait grâce à une douce brise durant à la rosée du matin. Non, non, ce n'est pas ça. On pense plutôt à une fille légèrement trop formée, qui est plutôt du genre à taper dans un ballon et à rire un peu trop fort. Je suis un paradoxe à moi même, je ne remercie pas mes parents. Quoique s'ils m'avaient appelé Coquelicot, cela ne m'aurait pas plus non plus. Parce que je deviens rouge à la moindre émotion. Et rouge rouge, comme une tomate, ou comme quand j'ai mes règles, mais en général j'évite cette comparaison, paraît qu'elle déplait aux gens. Enfin bref, Coquelicot c'est ma soeur. Je me dis souvent que nos parents n'ont vraiment pas fait d'efforts pour choisir des prénoms normaux à leur progéniture. Et dire que ça fait 18 ans que je me tape ce nom stupide. D'ailleurs, je croyais qu'à mes 18 ans, le monde allait changer. Mon monde à moi, du moins. Mais pas du tout. Je sors en boîte de nuit depuis mes 16 ans, alors ça ne me change pas d'y entrer avec ma vraie carte d'identité qu'avec ma fausse. (Qui est très bien faîtes d'ailleurs! ) J'ai eu ma première cuite à 16 ans aussi, mon premier petit (fumier) copain à 15 ans, alors en fait, ça ne change rien. Mis à part le fait que je suis toujours vierge et que je sais que ça peut faire fuir les mecs, encore plus qu'avant, je me sens totalement pareille. Je bosse depuis quelques mois dans une école spéciale dans le design, mais je ne sais pas encore quoi choisir comme spécialité. En tout cas, j'ai toujours été très "famille", c'est la prunelle de mes yeux, je donnerai ma vie pour eux. Et c'est ce que j'ai fait. J'étais chez moi, avec ma famille qui ne vient qu'une fois par an, on va plus chez eux qu'eux ne viennent chez nous. Bref, on jouait au ballon, et mon cousin à envoyer le ballon trop fort, qui est allé sur la route. Mon petit cousin, de 7 ans, lui a couru après. J'ai à peine eu le temps de réaliser qu'une voiture arrivait que j'ai poussé de toutes mes forces mon bout de chou jusqu'au trottoir d'en face. Et là, ça a été le noir complet.
Oli Tarin.
J'avais 19 ans. 19 ans. 19 ans. Ces mots résonnent encore et encore dans ma tête, comme les vestiges d'un lointain souvenir. 19 ans, c'est mon âge. C'était mon âge. C'était en 1942. J'approche des 100 ans, maintenant. D'après les ressentes âmes, nous sommes en 2019. Cela va faire 77 ans. 77 années que j'attends. C'est peu, j'en convient. Certains d'entres nous sont ici depuis des millénaires. Les plus chanceux sont ceux qui accèdent à ce que nous autres appelons Le Renouveau. C'est un endroit qui semble merveilleux, surtout de notre place. Les âmes qui y accèdent ont droits à un prolongement savoureux de leurs vies d'âmes. Pour les chrétiens, je suppose que cela ressemble au paradis. Pour moi, ce n'est qu'un endroit inaccessible. Il existe aussi La Répétition. C'est l'endroit où les âmes en peine vont. Celles qui ont commis trop de pêchés pour être acceptées au Renouveau, ou bien la où je suis. Dans la zone de l'Attente. La zone noire, inexpressive, où nous attendons. Nous attendons qu'une âme nouvelle se présente à nous et demande notre aide. Mais nombreuses sont celles qui n'en demandent pas. 19 ans. 19 ans. 19 ans. Ces mots sont de retour dans mon esprit vide. Vide de sens, vide d'émotions, vide de vie et d'espoir. Lorsque j'avais cet âge, j'étais dans le maquis français. Je devais rejoindre ma famille dans les Pyrénées. Belles montagnes de mon enfance. Je me cachais depuis des années, particulièrement depuis le 17 juin 1940. Depuis l'Armistice. Je n'étais pas Juif, mais je n'ai jamais voulu collaborer avec les Allemands. L'injustice a toujours été un supplice pour moi. Enfin, avant que ma mort devienne le véritable supplice. Je m'en rappelle encore, grâce à ma bonne vielle mémoire. J'étais seul. Je courrais dans le maquis. Des villageois nous avez dénoncé. Je ne peux leur en vouloir. Personne ne voulait risquer sa peau. Seulement, tandis que les résistants avec qui je vivais depuis quelques temps partaient vers le Nord, j'ai fais diversion vers le Sud. La dernière image du monde humain dans lequel j'avais vécu 19 ans était du sang, mon sang, se glissant aux pieds de soldats nazis. 19 ans. 19 ans. 19 ans. C'est comme un refrain narguant ma pauvre existence. Je ne suis pas une âme en peine, j'ai trop d'espoir en moi. Je suppose aussi que mes actes ont aidés des gens, puisque je n'ai toujours pas vu certains de mes compatriotes. J'attends que quelqu'un vienne me chercher. Qu'il veuille mon aide, que je le guide vers la vie. Alors, je pourrai l'accompagner. Je reverrai le monde, le parfum des fleurs, la couleur des arbres, le soleil chaud réchauffant ma peau. Je sentirai les gouttes de pluies contre mon corps, l'odeur de l'air pur, le son des oiseaux gazouillants. Alors j'attends, depuis mes 19 ans. J'attends l'heure de mon retour sur terre, pour venger ma mort et celles de mes amis, et revoir le pays que j'aime tant.
Carmen Horst
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Céleste De Lazar (Lien sur l'image)
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